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Rama Sithanen sur le Metro Express : «Sur le plan financier, ce sera un désastre absolu»

L’ex-ministre des Finances estime que le projet de métro n’est pas adapté au contexte mauricien. Trop de dépenses pour trop peu de bénéfices (financiers, économiques et sociaux), dit-il. Explications.

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Quels sont les risques que le Metro Express ne soit pas viable, selon vous ?
Pour des projets de ce genre, il y a deux types d’évaluation. Le premier est financier où l’on se concentre sur les recettes que le projet apportera au concessionnaire, celui qui le gèrera. On prend en considération d’autres recettes qui peuvent découler de la publicité etc.... Ensuite, il y a le coût financier qui comprend celui de l’acquisition des terres, la construction des rails, l’achat des trains, l’alimentation électrique et électronique et l’atelier pour la maintenance... Sans compter les frais opérationnels. Sur ce plan, je suis certain que ce sera un désastre absolu.

Pour être juste, c’est le cas dans presque tous les pays au monde. Le ratio bénéfices/coûts est bien en deçà de 1. Mais puisqu’il s’agit d’un bien public, cela fait qu’il y a des coûts et des bénéfices qui dépassent l’aspect financier. Il y a aussi l’aspect économique, social et environnemental. La question centrale est de savoir comment cela va-t-il bénéficier au public. Cela ne rapporte pas de l’argent, certes, mais c’est un élément qu’il faut prendre en considération. L’un des points avancés est l’économie sur le temps de voyage, sur lequel on met une valeur. Puis, on avance que cela a un coût de rouler en voiture et on monétise les bénéfices des conducteurs qui choisiront plutôt le métro. Les bénéfices doivent être considérables pour compenser le déficit financier.

Mais avec 19 arrêts, ce n’est pas clair que ce sera plus rapide que l’express Curepipe-Port-Louis en bus. Il faut compter le temps du trajet jusqu’à la gare, le temps d’attente, puis le confort à bord. Comme je vous l’ai dit, c’est une certitude que ce sera un désastre financier. Est-ce que les avantages économiques, sociaux et environnementaux peuvent compenser cela ? Toute la question est là.

«Je suis plutôt pour un Bus Rapid Transit utilisé dans plus de 170 pays»

Vous semblez douter des projections concernant la demande pour le Metro Express dans les années à venir. Pourquoi ?
Il nous faut des projections de ce qu’on appelle le ridership, c’est-à-dire le nombre de passagers qui utiliseront le service. Il y en a deux types. D’abord ceux qui abandonneront l’autobus pour basculer vers le métro, puis ceux qui ont leur voiture et qui choisiront aussi de les délaisser. Mais le fait est qu’avec un pays d’une population d’un ou 1,5 million, on se tourne rarement vers le métro parce qu’il n’y a pas la masse critique.

Ensuite, le métro servira surtout pendant les heures de pointe, 1h30 le matin et 1h30 l’après-midi. De 9h30 à 16 heures, à quoi servira-t-il ? Il n’y aura pas de demande. La troisième erreur concernant les projections est qu’elles prévoient une croissance de la demande chaque année. Mais la population baisse et vieillit. On aura moins d’enfants qui partent à l’école et plus de vieux qui sont moins mobiles. On parle de l’Inde et de Singapour où le métro existe.

Mais n’oubliez pas que Delhi compte 18 millions d’habitants et Singapour environ 6 millions. Ici, nous n’en avons que 1,3 million et la ligne n’en desservira que la moitié. Jusqu’en 2014, les derniers chiffres indiquaient qu’il fallait entre 15 à 20 000 passagers par heure pour que ça marche.

Devrait-on se méfier des recommandations des consultants dans un tel contexte ?
Un consultant se base tout le temps sur le best case scenario. Mais l’expérience des autres pays nous montre qu’ils ont tendance à sous-estimer les coûts, que ce soit en termes d’acquisition des terres, du prix des trains, des rails ou de la main-d’œuvre. Puis, il n’y a qu’à puiser de notre propre expérience : tous les grands projets infrastructurels entrepris ont coûté bien plus que prévu. Dans beaucoup de pays en voie de développement, les recettes ont été aussi bien inférieures aux estimations.

Est-il possible de développer le Metro Express sans menacer les employés du secteur du transport public existant ?
C’est difficile. C’est pour cela que le gouvernement ne donne aucun détail. Il faut qu’on soit clair sur ce qui arrivera aux employés du transport, mais aussi aux opérateurs individuels et aux taxis. C’est ce qu’on appelle un jeu à somme nulle. En plus, quand on parle métro, il s’agit de technologie de pointe, donc qui utilise moins de main-d’œuvre. Il y a un seul conducteur pour transporter beaucoup plus de passagers et il n’y a pas de receveur. Vous pourrez toujours recycler quelques employés mais ce sont deux métiers différents.

Le busway a longtemps été considéré comme une alternative au métro. Estimez-vous que ce système serait mieux adapté au contexte mauricien ?
Je suis plutôt pour un Bus Rapid Transit qui existe au Brésil, en Colombie et en Chine. C’est un système très moderne dans lequel il est possible d’intégrer les travailleurs actuels aussi bien que les opérateurs individuels. Plus de 170 pays dans le monde l’utilisent. La raison principale est que l’investissement initial est moindre et que les coûts opérationnels ne mettront pas de poids additionnels sur le déficit budgétaire et la dette publique. Il nous faut un système qui soit abordable. Quand on met autant d’argent dans les infrastructures du transport, on prive d’autres secteurs importants de cet argent. 

Le métro léger était un des projets phares du PTr avant les élections 2014. Aviez-vous les mêmes appréhensions à l’époque ?
J’ai exprimé mes appréhensions depuis 1991 quand j’ai été ministre pour la première fois. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un projet de prestige mais il faut avoir les moyens de se le payer. Je ne pense pas que ce soit le cas pour un pays comme Maurice.

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