
Isolement, douleurs inexpliquées, silence pesant… Dans l’entretien qui suit, le Dr Anjali Boyramboli, académicienne en psychologie, analyse le rôle des écrans, la responsabilité parentale et les outils numériques qui peuvent aider, sans remplacer le dialogue. Elle propose une approche fondée sur le dialogue, la formation émotionnelle et la création d’un environnement de confiance.
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Quels signes doivent alerter les parents et les enseignants lorsqu’un enfant est sujet au harcèlement dans le cadre scolaire ?
Cinq indicateurs principaux doivent retenir l’attention :
- Manifestations physiques inexpliquées. Douleurs abdominales récurrentes, nausées matinales, troubles du sommeil, variations de poids et marques sur le corps sans explication cohérente. Ces symptômes somatiques peuvent traduire une détresse profonde liée au harcèlement.
- Isolement social brutal. L’enfant se replie sur lui-même, s’éloigne de ses camarades, déjeune seul, évite les groupes et ne partage plus rien de sa vie scolaire. Il peut sembler présent physiquement, mais absent mentalement — comme s’il se retirait du monde.
- Effondrement émotionnel discret. Des pleurs sans raison apparente, des accès de colère, une tristesse persistante ou une peur marquée de l’école ou d’une personne en particulier sont autant de signaux souvent ignorés ou minimisés, mais qui doivent alerter.
- Comportements figés ou de dissociation. Certains enfants adoptent une posture de retrait total : immobilité soudaine, regard absent, gestes ralentis, ou encore refuge dans leur téléphone pour se couper de la réalité. Ce mécanisme de « freeze » est une réponse instinctive à une situation perçue comme menaçante.
- Évitement ciblé et mutisme partiel. L’enfant peut contourner certains lieux, personnes ou moments précis de la journée. Il devient parfois silencieux, que ce soit à l’école ou à la maison, par peur d’aggraver ce qu’il vit. Ce silence peut dissimuler un harcèlement insidieux : moqueries subtiles, manipulations affectives ou tensions familiales indirectes qui renforcent sa vulnérabilité.
Quelles formes de harcèlement sont les plus répandues chez les enfants ?
Le harcèlement verbal reste l’un des plus fréquents : moqueries, sobriquets humiliants, intimidations, menaces… Ce sont des comportements trop fréquemment banalisés. Le harcèlement relationnel ou social, plus insidieux, se manifeste par l’exclusion volontaire, la stigmatisation familiale, la diffusion de rumeurs ou le rejet. Il est invisible à l’œil nu, mais profondément destructeur. Le cyberharcèlement, lui, s’infiltre dans l’intimité : messages blessants sur WhatsApp, Snapchat ou TikTok, faux profils créés pour humilier, groupes secrets au sein desquels l’enfant devient une cible. Ce harcèlement ne s’arrête jamais, il franchit les murs du foyer. Le harcèlement physique peut survenir très tôt, parfois dès la maternelle : bousculades, vols de fournitures scolaires, coups discrets, agressions liées à la couleur de la peau ou au genre. Enfin, la manipulation émotionnelle et le chantage sont fréquents dans certains cercles dits « populaires ». L’enfant est amené à croire qu’il doit « gagner » sa place au sein du groupe, au prix d’humiliations déguisées en défis.
Les enseignants sont-ils suffisamment préparés pour prévenir le harcèlement scolaire ?
De nombreux enseignants ont eu une formation de base, mais sur le terrain, la réalité est bien plus complexe. Ils sont souvent débordés, épuisés et à bout émotionnellement. Beaucoup traversent une forme de burn-out silencieux. La peur des réactions agressives de certains parents - menaces, dénigrements, accusations - freine toute tentative d’intervention. Certains enseignants sont eux-mêmes sujets au harcèlement parental. Le manque de soutien institutionnel est criant : à Maurice comme à Rodrigues, il n’existe pas de cellule de soutien psychologique dans les établissements ni de dispositif de supervision continue.
Quelles sont les pistes d’amélioration ?
- Une formation émotionnelle régulière pour les enseignants, axée sur la gestion des conflits, la communication non violente et l’identification des signaux d’alerte.
- La mise en place d’espaces de dialogue entre les enseignants, la direction et le personnel psychosocial.
- La construction d’une alliance école-famille fondée sur la coopération : il ne s’agit pas d’être adversaires, mais de partager une responsabilité commune.
Quelles sont les conséquences à long terme d’un harcèlement non pris en charge chez l’enfant ?
- Les séquelles peuvent être profondes, durables et parfois invisibles jusqu’à l’âge adulte. Un enfant sujet au harcèlement risque de devenir :
- Un adulte en perpétuelle adaptation, évitant tout conflit, incapable de poser des limites claires.
- Ou, à l’inverse, un adulte toxique, reproduisant les mécanismes du harcèlement, faute d’avoir été accompagné dans sa reconstruction.
- Il peut développer des troubles anxieux, une dépression, des troubles de la personnalité, des comportements d’autosabotage dans sa vie professionnelle, des troubles alimentaires ou encore des conduites addictives.
- Certains fuient tout lien social, tandis que d’autres cherchent désespérément à plaire, quitte à s’oublier eux-mêmes.
Quelles approches sont efficaces ?
- Une thérapie intégrative dès l’enfance : des thérapies de soutien ou des approches sensorielles adaptées aux plus jeunes.
- La mise en place d’un environnement de confiance autour de l’enfant, avec des adultes et des espaces d’expression libres.
- Des programmes scolaires axés sur l’estime de soi, la gestion des émotions et la réparation des liens relationnels.
Le harcèlement scolaire touche-t-il davantage certaines tranches d’âge ou certains types d’établissements ?
Absolument. Et il se manifeste souvent de manière insidieuse dès les premières années. Même en maternelle, certains comportements préoccupants apparaissent :
- Des enfants qui poussent, crient ou excluent délibérément leurs camarades,
- Qui brisent volontairement les jouets des autres,
- Ou qui tournent en dérision les cris ou gestes d’enfants qui ont des besoins particuliers.
Les enfants autrement capables sont particulièrement exposés dès la petite enfance. Lorsque leurs besoins ne sont pas reconnus ni pris en charge, il y a un enchaînement de conséquences :
- Des crises répétées interprétées à tort comme des caprices,
- Un rejet social croissant,
- Et une pression parentale liée au refus du diagnostic, motivé par la peur du jugement, la honte ou le déni culturel.
Ce refus mène fréquemment à des placements inadaptés dans des classes ordinaires, sans accompagnement adéquat, alimentant ainsi un cercle vicieux difficile à briser.
Quel rôle les réseaux sociaux jouent-ils aujourd’hui dans l’aggravation ou la banalisation du harcèlement scolaire ?
Un rôle massif, inédit dans son ampleur. Les enfants sont connectés en permanence - 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 - ce qui les rend vulnérables en continu. Le harcèlement dépasse désormais les limites de l’espace et du temps : il ne s’arrête plus aux grilles de l’école.
Un autre facteur préoccupant : de nombreux parents eux-mêmes sont accros aux écrans. Ils transmettent ainsi, sans le vouloir, un modèle de comportement soit compulsif, soit émotionnellement absent.
- Pourtant, il existe des outils gratuits que je recommande aux parents. Ces dispositifs, discrets et non intrusifs, permettent d’accompagner les enfants sans les surveiller de manière excessive. Parmi eux : l’application Google Family Link, qui aide à définir des temps d’écran et à visualiser les applications utilisées, tout en favorisant le dialogue. D’autres solutions comme Bark, Qustodio ou OurPact proposent une cosurveillance bienveillante, centrée sur la confiance.
- Mais au-delà des outils, l’essentiel reste d’instaurer une véritable culture du dialogue et de la coresponsabilité.
Comment reconnaître un élève en détresse suicidaire ?
La souffrance des jeunes ne vient jamais sans signes. Il faut être attentif aux paroles inquiétantes (« Je veux que tout s’arrête », « Personne ne se soucie de moi »), aux publications sur les réseaux sociaux, à la perte d’intérêt pour les activités habituelles ou aux sautes d’humeur marquées. L’isolement soudain, la chute des résultats scolaires, le don d’objets personnels ou les comportements à risque (fugues, consommation) sont autant d’alertes. Fatigue constante, troubles du sommeil, variations de poids et négligence de l’hygiène complètent ce tableau.
Les enseignants, bien qu’ils ne soient pas des psychologues, sont souvent les premiers témoins. Leur rôle est d’observer, d’écouter sans juger, de créer un espace de parole et de signaler rapidement les cas préoccupants. Les parents, eux, doivent rester vigilants malgré la fatigue ou les écrans omniprésents : écouter activement, poser des questions ouvertes, maintenir une routine rassurante et consulter sans tarder.
Face à un risque suicidaire immédiat, il faut rester auprès de l’élève, poser la question sans détour : « As-tu pensé à te faire du mal ? » Et il faut appeler les secours. Chaque mot bienveillant peut faire la différence entre perdre un élève et lui offrir un avenir.

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