
La nomination controversée de Frédéric Curé comme Chairman d’Airport Holdings Ltd - qu’il a depuis déclinée - braque les projecteurs sur ce groupe stratégique pour l’économie mauricienne. Quelles en sont les forces et faiblesses ? Le point avec des professionnels de l’aviation et du tourisme, parlant sous le couvert de l’anonymat, au vu des enjeux et stratégies futures.
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Au cœur de l’actualité, Airport Holdings Ltd (AHL) a pour ambition de s’imposer comme un acteur clé du redressement économique mauricien. La nomination de Frédéric Curé à la présidence du conseil d’administration - qu’il a depuis déclinée - relance les projecteurs sur ce mastodonte fondé le 12 août 2021, alors que l’économie nationale était à genoux, isolée du reste du monde pendant 15 mois à cause de la pandémie de Covid-19. Les frontières, restées closes jusqu’au 1er juillet 2021, n’avaient rouvert totalement que trois mois plus tard, le 1er octobre.
En tant qu’organisation-ombrelle pour toutes les activités aéroportuaires, AHL a pour priorité de garantir que la relance du tourisme se fasse dans les meilleures conditions, avec une intensification progressive des activités pour atteindre le niveau d’avant-crise aussi vite que possible. Une telle reprise n’est possible qu’avec une action harmonisée entre l’aviation (vols commerciaux et cargo), les services au sol, et les boutiques hors-taxes, véritable source de devises.
Cela dit, les bases d’AHL sont posées dès début 2018. Airports of Rodrigues, explique-t-on, est alors en difficulté financière. Cette situation précaire inquiète les bailleurs de fonds internationaux et retarde la modernisation des infrastructures. Airports of Mauritius (AML) intervient : AML reprend Airports of Rodrigues et la boutique hors-taxe, devenant ainsi le solide actionnaire nécessaire pour obtenir et garantir le financement des futurs grands projets.
Air Mauritius K.O.
À peine la consolidation entamée, celle-ci s’accélère. Raison : Air Mauritius subit des pertes substantielles et frôle la banqueroute. Le bilan financier du transporteur national est consolidé par le biais d’échanges d’actions entre Air Mauritius et la Mauritius Duty Free Paradise. AML entre dans le capital d’Air Mauritius et rachète les parts détenues dans l’hôtel Cotton Bay à Rodrigues, redonnant un certain confort aux auditeurs, du moins pour l’année financière précédant la pandémie.
Cependant, la pandémie révèle la précarité financière du transporteur. Pour éviter la liquidation, Air Mauritius passe sous administration volontaire. À l’approche de la réouverture des frontières, AHL rachète la quasi-totalité des actions d’Air Mauritius, entraînant le retrait de la compagnie de la Bourse de Maurice. L’État avance Rs 12 milliards pour permettre à Air Mauritius de redécoller à temps. Ces transactions se déroulent sous le regard attentif et approbateur du secrétaire financier de l’époque, feu Dev Manraj.
Les Rs 25 milliards du MIC
Certes, on aurait pu limiter les engagements financiers de l’État envers AHL à ces Rs 12 milliards sous forme de prêts, destinés à relancer Air Mauritius. La logique a été tout autre. À l’issue d’une valorisation des actifs d’AHL, la Trésorerie décide de vendre 49 % des parts à la Mauritius Investment Corporation (MIC), une filiale à part entière de la Banque de Maurice. Prix du deal : Rs 25 milliards ! Cette valorisation est aujourd’hui fortement contestée.
Ce n’est pas tout. Les Rs 25 milliards sont redistribuées, et AHL n’y peut rien. La holding est appelée à rembourser à l’État ses Rs 12 milliards de prêts, tandis que la différence de Rs 13 milliards est reversée au Consolidated Fund pour réduire la dette publique. En un jour, dit-on, les Rs 25 milliards atterrissent sur les comptes d’AHL pour repartir immédiatement vers les caisses de l’État.
À sa nomination en tant que Gouverneur de la Banque centrale, le Dr Rama Sithanen a exprimé ses craintes quant aux risques que représente la MIC et son investissement – le plus conséquent à ce jour – dans AHL. En plus de la surévaluation, tout impact financier négatif venant d’Air Mauritius affectera AHL, la MIC et, en dernier lieu, la Banque centrale.
Est-ce le rôle d’un régulateur bancaire de contrôler 49 % d’une compagnie aérienne fragile ? Non. Même le Fonds monétaire international exige que la MIC (et AHL par ricochet) passe sous la tutelle de la Trésorerie. Démêler ce dossier demande prudence et patience, explique une source proche du dossier.
Le tourisme reprend des couleurs. L’économie mauricienne respire, et AHL mène un minutieux exercice de redistribution des cartes au sein de la holding. Ainsi, toutes les filiales d’Air Mauritius migrent vers d’autres segments d’AHL. Medcor, propriétaire du bâtiment emblématique de la capitale, passe sous le pôle immobilier. Chacune des compagnies sous AHL dispose d’un management et d’un conseil d’administration distincts.
Aucun changement de cap : AHL ambitionne de croître et de devenir le bras d’investissement de l’État mauricien dans des secteurs stratégiques. Il n’y a aucune limite à son expansion, l’entreprise envisage même de collaborer avec les autorités portuaires pour dynamiser le Cruise Terminal.
Autour de l’aéroport, il est question d’utiliser les « milliers d’hectares » pour la création d’un hub régional de l’aviation, une véritable Airport City. Au delà des frontières mauriciennes, AHL aurait même envisagé de répliquer ce modèle dans la région.
En trois ans, AHL s’impose comme un groupe étatique de référence. Pour l’année fiscale se terminant le 30 juin 2023, les profits avoisinent les Rs 4 milliards. Selon le site du groupe, en 2023-024, le chiffre d’affaires atteint quelque Rs 40 milliards, plaçant AHL en deuxième position du classement du Top 100 Companies.
Impact
Le groupe AHL est devenu le principal prestataire de services pour une industrie employant 100 000 personnes, directement et indirectement, partenaire de référence d’un secteur générant Rs 90 milliards de revenus, et vitrine d’une destination de rêve visitée par près de 1,4 million de touristes.
Pourtant, la question demeure : ce modèle d’affaires a-t-il réellement eu un impact positif sur l’économie et le tourisme ? Un analyste du secteur nous livre son point de vue : « D’une part, nous avons des silos tels que l’Aviation civile, la police, les douanes, AHL, Airports of Mauritius et les services de santé. Ensuite, Air Mauritius peine à s’affirmer comme le partenaire idéal de l’aéroport, pour des raisons encore inconnues à ce jour. La régie publicitaire de l’aéroport peut être qualifiée de molle et peine à impressionner. Le message central à promouvoir aurait dû s’articuler autour de la destination mauricienne et d’Air Mauritius ! »
Le futur
Le conseil d’administration a pris connaissance des recommandations contenues dans le rapport sur la restructuration future d’AHL. Le document a été préparé par un consultant indépendant. La prochaine étape consistera à informer les actionnaires, qui seront appelés à voter en faveur de certains changements concernant les activités du groupe. Il est notamment question de sociétés liées à l’immobilier ou à l’énergie. Si un acheteur se manifeste sur le marché, ces sociétés seront cédées ; dans le cas contraire, elles seront dissoutes.
Cet exercice de restruc-turation permettrait à AHL de se concentrer sur ses activités principales, qui continuent de générer de la valeur.
Le conseil d’administration
Qui sera le prochain Chairman d’Airport Holdings Ltd, après que Frédéric Curé, initialement nommé à ce poste, a décliné l’offre, hier, après ce qu’il a qualifié de « campagne malsaine » ? Après ce revirement, le conseil d’aministration se compose de Suresh Chundre Seeballuck, Secretary to Cabinet et Head of the Civil Service, Dass Thomas, Officer-in-Charge, Kishore Beegoo, président d’Air Mauritius, Anandsing Acharuz, Acting Financial Secretary, Dheerendra Kumar Dabee, ancien Solicitor General et directeur non-exécutif non indépendant, Kreeti Devi Jugasing Harrah, Officer-in-Charge de la MIC, Gilbert Noël, directeur non-exécutif non indépendant, et Swaraj Kowlessur, Company Secretary.
(Source : Corporate and Business Registration Department)
Deals incompréhensibles
Avant l’arrivée au pouvoir de l’Alliance du Changement, Air Mauritius naviguait en eaux troubles. Au-delà des finances dans le rouge, les experts pointent du doigt la vente d’avions et la délocalisation des opérations de Heathrow vers Gatwick.
Au fil des réponses parle-mentaires fournies par le Premier ministre et ministre des Finances Navin Ramgoolam et des entretiens successifs avec Kishore Beegoo, président d’Air Mauritius, on en apprend davantage sur les montages financiers et les besoins réels en capitaux de la compagnie.
Des enquêtes approfondies sont en cours pour déterminer la logique de ces transactions, ainsi que leurs tenants et aboutissants.
Les bons élèves
L’année écoulée, l’aéroport – ATOL – a accueilli un total de 3,9 millions de passagers. La capacité maximale est de 4,5 millions par an. « Il n’y a pas de goulot d’étranglement », affirme-t-on. La marge de manœuvre permet d’accueillir les voyageurs transportés par Emirates (la principale compagnie d’aviation sur Plaisance avec une part de 40 %) et les 19 autres entités, Air Mauritius incluse.
Au sein de l’industrie du tourisme et du voyage, on estime néanmoins qu’un agrandissement serait nécessaire. Pour des investissements conséquents dans les infrastructures aéroportuaires, il faudra se tourner vers Rodrigues. Le financement de la Banque mondiale est acquis, et l’exercice administratif préliminaire est déjà enclenché.
Les boutiques hors-taxes – sources de revenus et de profitabilité – opèrent à plein régime. La boutique Premium à l’arrivée s’étend désormais sur 425 mètres carrés. Au départ, la boutique principale couvre 1 400 mètres carrés. Dans cette zone, la superficie totale de l’espace hors-taxe au départ est désormais de 2 400 mètres carrés.
Tourisme en 2025
Mercredi 13 août, le Gouverneur de la Banque de Maurice a annoncé que les recettes touristiques atteindraient Rs 97 milliards. C’est un signe que les quatre prochains mois de l’année seront « plutôt bons » et qu’on devrait dépasser les chiffres de 2024, malgré le contexte politique et les conflits mondiaux.

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