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Dr Avinaash Munohur : «Je suis interpellé par la tendance de centralisation au  bureau du Premier ministre»

Le consultant en stratégies politiques et politologue, Dr Avinaash Munohur, fait le point sur une année remplie de défis. 

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Le pays a connu  il y a plus d’un mois un 3e 60-0... Le politologue que vous êtes, est-il surpris ? 
Difficile à dire en réalité. Les vainqueurs vous diront que c’était une évidence et les perdants vous diront que c’était une surprise. Les 60-0 sont le résultat d’une multiplicité de facteurs. C’est tout autant un vote sanction contre le gouvernement sortant qu’une volonté de changement. Cette volonté de changement est tout autant une réaction contre la perception d’un basculement vers des abus excessifs que la volonté d’une transformation sociétale selon moi. Ce qui est certain c’est que ce vote constitue une forme de devenir-révolutionnaire des masses qui tape du poing sur la table par le biais des urnes. Il y a même comme une apparition d’un peuple uni dans la volonté de faire barrage à quelque chose, à défaut d’adhérer à un projet commun. Ce qui est également certain c’est que l’expectative est tellement grande qu’aucun gouvernement ayant été élu dans ces conditions n’a réussi à tenir. Le désenchantement est même arrivé très rapidement en 1982 et en 1995. 

La démocratie risque de souffrir si les dirigeants actuels ne font pas preuve de discernement... 
Absolument, puisque le nouveau gouvernement a les moyens de procéder à des amendements constitutionnels qui pourraient produire de profondes déstabilisations des équilibres du pays. Mais les choses sont plus subtiles que cela en réalité. L’Alliance du Changement a dû ratisser large pour constituer sa liste de candidats. D’un côté l’éventail idéologique des différentes composantes de l’alliance est profondément incompatible sur un certain nombre de questions – et notamment sur ce que doit devenir le capitalisme à la mauricienne – et de l’autre il est clair qu’aucun parti politique n’a individuellement assez de poids pour gagner une élection tout seul, d’où l’impératif de constituer des alliances – et même si elles sont contre-nature. De ce point de vue, l’opposition aura lieu à l’intérieur même de ce gouvernement, comme nous l’avons constaté en 1982 et en 1995. 

On a eu un constat de notre économie. Le ministre des Finances sortant n’a pas réagi. Un silence assourdissant ?
Beaucoup de Mauriciens sont interpellés par le silence du gouvernement sortant, mais il n’est pas illogique en réalité. Les différents acteurs du gouvernement sortant n’ont aucun intérêt à prendre la parole dans une situation où cette parole ne sera pas entendue par le peuple. L’hystérie de l’élection est toujours présente, même si elle diminue de jour en jour, et tout communiquant politique vous dira qu’il faudra attendre que cela passe avant de parler. Je suppose que c’est exactement ce que font l’ancien Premier ministre et ses anciens ministres. 

Les accusations du gouvernement actuels envers le précédent sont graves. Il y a effectivement des questions à poser quant à la gestion des fonds de la MIC et quant aux clauses de confidentialité qui entourent certaines de ces négociations. Certains se souviennent que la MIC avait été créée dans une situation unique, celle d’un arrêt total de l’économie mondiale. La justification avait été que c’était le seul moyen d’injecter des fonds dans les entreprises afin de maintenir l’emploi et prévenir les faillites. C’est d’ailleurs ce qui a permis aux familles mauriciennes de continuer à vivre plus ou moins normalement pendant plus d’une année. Mais est-ce que la MIC a été utilisé à d’autres fins ?
Je pense qu’il est impératif de produire un audit complet et transparent – absolument complet d’ailleurs et incluant tous les bénéficiaires, et pas uniquement ceux considérés comme proches de l’ancien régime – afin que nous ayons une vision claire et précise de la situation. Et, bien évidemment, s’il y a des questions auxquelles l’ancien ministre des Finances devra répondre, alors il devra y répondre rapidement. Et si la justice doit être saisie, alors elle devra également l’être rapidement et de manière parfaitement indépendante. 

Pravind Jugnauth ne sort pas de ses réserves aussi. Pourquoi ?
Il a toujours été de nature discrète et réservée. Je suppose que c’est un trait de sa personnalité mais il n’a également aucun intérêt politique à parler pour l’instant. Il a affirmé le jour des résultats qu’il était fier de ce qu’il avait accomplie pour le pays – et notamment dans le domaine des politiques sociales et infrastructurelles -, chose qu’il a réaffirmer dans sa lettre de fin d’année à ses militants. Il semble donc confiant de son bilan et il a clairement exprimé sa position. C’est au nouveau gouvernement de venir prouver le contraire maintenant, en s’assurant que les enquêtes en cour soient menées dans la transparence, le sérieux et l’intégrité la plus absolue. 

Quelle est votre avis sur le Cabinet? A-t-on the right person in the right place ?
Seul le temps le dira. Mais je suis interpellé par le fait que le nouveau gouvernement a été élu sur la volonté de reculer sur la tendance à la centralisation du pouvoir au bureau du Premier ministre – ce que certains appellent l’autocratie -, mais une fois élu, le nouveau PM a concentré encore plus de pouvoir au bureau du Premier ministre en prenant le ministère des Finances sous sa responsabilité. En contrôlant le PMO et le ministère des Finances, et en plaçant ses plus fidèles lieutenants à la BOM et à la MBC, Navin Ramgoolam a – de facto – un pouvoir quasi-régalien sur l’appareil d’État. Nous verrons bien s’il s’agit d’une décision justifiée et sage. 

On a un Paul Bérenger sans portefeuille, agit-il en ministre mentor  comme Sir Anerood Jugnauth à l’époque ?
Je dois vous avouer ne pas comprendre la raison. Rien n’a été dit officiellement sur le sujet, donc nous ne pouvons que spéculer. Et il y a là des contradictions. D’un côté, Paul Bérenger a lui-même affirmé au Parlement qu’il fallait qu’on se serre la ceinture, préparant sans doute le terrain pour des politiques d’austérité économiques qui suivront très bientôt, mais de l’autre il bénéficie des avantages et des « perks » couteux au contribuable sans avoir un ministère. C’est étonnant venant de Paul Bérenger, et c’est le moins que l’on puisse dire. Il ne faut pas non plus occulter une autre possibilité : celle d’une carte blanche pour intervenir continuellement dans tous les ministères sous le couvert de sa position de numéro 2 du gouvernement. 

Et s’il pensait déjà à la relève, serait-ce sa fille Joanna Bérenger?
Il a lui-même affirmé dans un entretien radiophonique pendant la campagne électorale qu’il était impressionné par sa fille, qui avait toutes les qualités pour reprendre le flambeau. Je pense que tout est dit non ?  Si l’on rajoute à cela le fait que l’électorat soit incapable de penser en dehors du système des dynasties et des « fils et filles de », le job est déjà plus ou moins fait en réalité et depuis plusieurs années même. La seule question est le « comment » de la transition. 

On a constate que le problème de Mare Chicose a perdure durant des années. Et voila que s’amènent Bhagwan et Joanna Berenger pour éteindre le feu. Explications...
Je sens une certaine ironie dans votre question du fait que le feu ait repris depuis… Franchement, le ministre et la junior minister font le travail pour lequel ils ont été élus. J’espère qu’ils vont s’intéresser aux causes réelles et profondes du problème et trouver les solutions adéquates, par delà l’opération de « tir foto » pour les réseaux sociaux. Je suis pour ma part heureux de constater que certaines idées que j’ai porté lorsque j’ai créé la Commission Développement Durable du MMM sont à l’agenda du ministère, et je pense qu’elles pourront avoir un impact positif pour le pays. 

Les spécialistes évoquent une économie résiliente, notre roupie a été dépréciée intentionnellement... 
L’argument d’une dévaluation volontaire de la roupie me semble être surtout un argument politique brandit par le nouveau gouvernement pour justifier ses positions et sans doute préparer les Mauriciens pour les politiques d’austérité qui pourraient suivre à partir de 2025. 

Une dévaluation est toujours le résultat d’une volonté politique – qu’elle soit nationale ou supranationale – et la réalité est que nous n’avons pas connu de dévaluation volontaire depuis les deux dévaluations successives imposées par le FMI au début des années 1980, et qui avaient mis le pays à genou et avaient emmené le premier 60-0 de 1982.

Nous ne pouvons pas parler de dévaluation dans ce cas de figure. Nous devons plutôt parler de dépréciation, ce qui n’est pas du tout la même chose. Contrairement à une dévaluation, une dépréciation est le résultat d’une multiplicité de facteurs internes et externes comme les mécanismes des marchés financiers, la confiance des investisseurs dans l’économie nationale, les incertitudes de la géopolitique ou encore le choix de politiques économiques précises. De ce point de vue, une dépréciation peut être volontaire ou pas. 

Dans notre cas, il est certain que le pouvoir d’achat des Mauriciens a souffert depuis quelques années, et notamment depuis la COVID. En effet, une roupie faible fait que tout ce que nous importons devient plus cher, c’est logique. Mais en affirmant cela, nous ne voyons qu’une partie de la problématique. Le revers de la médaille d’une roupie faible est que cela facilite l’investissement, et une politique de la roupie faible peut très bien être mise en place pour accélérer l’investissement étranger justement. Or, il est aisé de  constater que l’économie mauricienne est aujourd’hui entièrement dépendante de trois secteurs qui sont eux-mêmes entièrement dépendants de l’investissement étranger et des flux du capitalisme globalisé. Le tourisme, l’immobilier et le secteur financier sont les trois piliers sur lesquels toute notre économie repose. Et la réalité est qu’une roupie faible permet à Maurice de garder sa compétitivité internationale et son attractivité. 

Nous avons par exemple connu une entrée de FDI de près de Rs 40 milliard en 2024, ce qui constitue un record pour l’investissement directe à Maurice. Et 75% de ces FDI étaient dans le secteur immobilier. Ces investissements constituent une entrée de devises essentielle pour soutenir notre économie et constituer nos réserves. Il me semble que l’ancien gouvernement avait consciemment fait le choix politique d’une attractivité accrue pour l’investissement étranger à Maurice afin de consolider le modèle actuel. Le problème était qu’il a forcément dû laisser se déprécier la roupie afin de conserver notre compétitivité, ce qui a impacté sur le pouvoir d’achat des ménages. La solution rectificative qu’il avait choisi à cette perte de pouvoir d’achat était la mise en place de politiques sociales dont l’objectif était justement de permettre un réajustement du pouvoir d’achat.  Je résume ici de manière très simple et schématique ce qui me semble avoir été le choix fondamental de l’ancien gouvernement en matière de politique économique. Ce choix peut bien évidemment être critiqué, mais la véritable critique est celle qui est capable de proposer une alternative et la question qui est posée aujourd’hui est la suivante : est-ce que le nouveau gouvernement pourra changer de trajectoire économique en poussant un projet de transformation sociétal ? 

Votre avis sur cette question ?
Il faudrait dire plusieurs choses ici. J’entend souvent les gens exprimer leurs frustrations quant à la cherté de la vie et quant à la capacité pour les jeunes notamment à devenir propriétaires d’un logement et à construire une vie digne dans les conditions économiques actuelles. Ces frustrations sont justifiées et elles sont le reflet de choix économiques qui se sont faits depuis l’effondrement du modèle sucrier à la fin des années 1990. 

Mais ces frustrations ne nous donnent pas de réponse en réalité au problème fondamental. La véritable question n’est pas simplement de dire que nous allons changer de modèle économique et de modèle de société d’un claquement de doigts. Il n’y a pas ici de solution magique toute faite mais un ensemble de problèmes qu’il appartient au gouvernement – celui-ci et ceux qui suivront également – de résoudre. Le premier problème est que nous ne pourrons pas reculer sur notre dépendance aux FDI tant que nous n’aurons pas augmenté la productivité économique.

Nous avons besoin d’avoir des industries compétitives qui produisent des biens ou des services que nous sommes capables d’exporter sur le marché mondial pour pouvoir approfondir notre résilience. Sans cela, nous serons condamnés à rester dans le modèle actuel. Hors, c’est là aussi que le bât blesse profondément car le vieillissement de la population et l’exode des talents Mauriciens qui préfèrent s’expatrier car ils considèrent que les avenues du progrès leurs sont fermées à Maurice font que nous sommes dans une situation où il est actuellement extrêmement difficile de relancer la productivité. Ce qui a été mise en place pour un peu contrer ce problème pour l’instant est la libéralisation du travail des étrangers. Il suffit d’ailleurs de mettre les pieds dans un hôtel, dans un restaurant, sur un chantier ou dans une usine pour se rendre compte que les travailleurs étrangers sont de plus en plus nombreux. Maurice pratique une politique migratoire extrêmement aggressive en réalité. Et même là, nous sommes seulement capables de maintenir la productivité à en croire les statistiques nationales, celle-ci n’augmente pas.

La réalité est qu’une relance de la productivité implique de revoir entièrement notre culture du travail, ainsi que le système de l’éducation et de la formation. Elle implique des investissements massifs dans des infrastructures et des dispositifs technologiques capables de « driver » une augmentation des capacités de production. 

Quel avenir pour Pravind Jugnauth ?
Difficile à dire pour le moment. Nous savons que les partis politiques historiques ont survécu aux 60-0, donc Pravind Jugnauth sait qu’il conserve des chances pour l’avenir du fait de son jeune âge. Il a vu son père revenir en triomphe en 2000 et en 2014, tout comme il a vu Navin Ramgoolam et Paul Berenger revenir cette année. Il doit également savoir que toutes les élections qui ont suivi un 60-0 ont porté une autre équipe aux affaires. 

Je suppose de ce fait que sa priorité est actuellement ailleurs. Il se doit de faire une analyse juste et avisée des raisons de cette lourde défaite, et il se doit d’en tirer les conclusions qui s’imposent s’il veut se donner les moyen d’un retour. Il y a bien évidement eu l’impact des Moustass Leaks et de la coupure des réseaux sociaux sur l’électorat, mais il se doit d’aller plus loin dans son analyse et agir en conséquence. Je pense qu’un retour de l’électorat vers lui se fera sous les conditions de certaines garanties qu’il devra donner et d’un renouvellement en profondeur de ses équipes avant les prochaines élections. 

Ce qui est certain c’est que l’alternance fonctionne à Maurice, c’est l’alternative qui n’existe pas. Les Mauriciens ont démontré qu’ils souhaitaient une alternance des partis traditionnels, mais ils n’ont toujours pas démontré qu’ils souhaitaient une alternative aux partis traditionnels. De ce simple fait, le MSM reviendra, tout comme le PMSD. À moins bien sûr qu’une alternative sérieuse et crédible se construise d’ici là.

On a vu tomber des ex-MMM, pourtant des figures de proue. Explications...
La réalité est que les ex-MMM n’avaient pas réussi à se constituer en parti politique organisé comme le MMM peut l’être, avec une base fidèle et une organisation territoriale solide. C’est peut-être le défi qu’ils se doivent de relever pour les prochaines années, si ils le désirent bien évidemment. 

Et vos déceptions les plus grandes en 2024 ?
Une seule : la décision de Toni Kroos de prendre sa retraite. L’ancien milieu du Réal Madrid est non seulement l’un des plus grands tacticiens du football mais également l’un des joueurs dont le professionnalisme, la rigueur et l’éthique de travail sont devenus malheureusement trop rares. Il a décidé de raccrocher ses crampons alors qu’il était au sommet de son art, refusant ainsi le déclin qui allait venir avec l’âge. C’est une leçon de vie qui dépasse de loin les frontières du football et qui devrait être une inspiration pour beaucoup. 

Vos attentes personnelles pour 2025 ?
Mon entreprise entre dans une phase de croissance accélérée et mes projets à long terme arrivent à maturité. 2025 s’annonce donc comme une année charnière. J’ai hâte de faire évoluer et d’élargir mon activité de conseil.  

Un défi que vous êtes arrivé a surmonter ?
Un mal de dos récurrent qui me poursuivait depuis fin 2021. Un changement de style de vie et une routine qui commence par le workout du matin ont fait toute la différence cette année. 

Pensez-vous que le tandem Ramgoolam/Bérenger va durer cette fois ?
Honnêtement, cela m’importe peu. Comme beaucoup de jeunes Mauriciens je souhaite surtout que notre pays continue d’avancer dans la bonne direction et que les avenues de la croissance économique, du développement culturel et de l’épanouissement personnel soient ouvertes à tous.

Vos vœux aux Mauriciens pour la nouvelle année ? 
L’amour pour sa patrie ; le respect pour son prochain ; l’indépendance d’esprit à tout moment ; la clairvoyance dans les moments troubles ; le courage dans les moments difficiles ; l’humilité dans les victoires ; la dignité dans les défaites ; et la tempérance dans l’usage des biens de ce monde. 
 

  • defimoteur

     

 

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