
Face à une inflation persistante et une croissance en ralentissement, le Monetary Policy Committee est sous tension, entre maintien du taux directeur et ajustement pour préserver la stabilité économique. Décryptage des enjeux et scénarios possibles.
L’événement économique de la semaine est prévu pour le 13 août, à la Banque de Maurice. Sous la présidence du gouverneur Rama Sithanen, le Monetary Policy Committee est appelé à voter en faveur d’une baisse, d’un maintien ou d’une hausse du taux directeur. Tenant compte des facteurs tels que l’accélération de l’inflation en juin et juillet, une croissance moindre en 2025 et la conjoncture internationale, le statu quo est privilégié.
Définition du taux directeur
Le taux directeur est la base de toute la panoplie de taux d’intérêt en vigueur dans le pays. Selon Sanjay Matadeen, économiste et chargé de cours à la Middlesex University Mauritius, le Key Rate constitue le taux d’intérêt fixé par la Banque de Maurice. Il s’agit d’un instrument essentiel de la politique monétaire, utilisé pour maîtriser l’inflation, souvent alimentée par un excès de liquidités dans l’économie.
« En période d’inflation, la Banque de Maurice relève ce taux directeur, incitant ainsi les banques commerciales à augmenter, à leur tour, leurs propres taux d’intérêt. Cette hausse renchérit le coût du crédit, ce qui freine la demande globale et contribue à contenir les tensions inflationnistes. En sus, un taux plus élevé encourage l’épargne grâce à une meilleure rémunération des dépôts », explique l’économiste.
Et d’ajouter : « À l’inverse, les investisseurs et les entrepreneurs privilégient des taux d’intérêt plus bas, car ceux-ci réduisent leurs coûts de financement et peuvent accroître leurs marges bénéficiaires. On observe en général une corrélation positive entre des taux d’intérêt modérés et la croissance économique.»
Situation présente
Le taux directeur a été revu à la hausse de 50 points de base (0,50 %) lors de la première réunion du MPC sous la présidence de Rama Sithanen. À la réunion de mai, le comité a privilégié le statu quo.
Au 32e paragraphe des Minutes of Meeting, il est dit :
« As such, the MPC is faced with a difficult balancing act yet again. Given existing circumstances, the MPC decided that it was better to hold and wait for further information about the likely evolution of the global environment, whilst remaining vigilant to the evolving balance of risks. »
Décision du 13 août

Sur sept économistes et observateurs économiques que Le Dimanche/L’Hebdo a interviewés cette semaine, six estiment que la Banque de Maurice maintiendra le taux directeur à 4,50 %.
Selon Sanjay Matadeen, étant donné que l’inflation à Maurice est attendue autour de 5 %, et que la lutte contre l’inflation demeure l’objectif prioritaire de la Banque de Maurice, il est plus que probable que celle-ci maintienne son taux directeur inchangé. Cette posture, souligne-t-il, reflète une stratégie de « wait and see », visant à observer l’évolution de la conjoncture internationale avant d’engager un nouvel ajustement monétaire.
« Le maintien du taux directeur offre ainsi un compromis entre la préservation de la stabilité des prix et la nécessité de ne pas freiner excessivement l’activité économique, tout en laissant à la Banque centrale la flexibilité nécessaire pour réagir avec célérité en cas de choc externe majeur », dit-il.
Et quid d’une hausse ?

Le Head of Investment Strategy chez AXYS penche pour une hausse du taux directeur. Sollicité, Cédric Béguier a communiqué cette analyse. En voici les principaux extraits :
Hausse : À la veille de la prochaine réunion du MPC, « la question du Key Rate est stratégique. C’est un énorme dilemme entre le maintien des objectifs de la Banque de Maurice et un coup de pouce à la population qui commence à s’impatienter et à plier sous le poids de l’inflation et du coût de la vie. Vu que la roupie demeure sous pression, mais que l’inflation ralentit, une hausse modérée du taux directeur (25 à 50 points de base) renforcerait la crédibilité de la Banque de Maurice et la défense de la roupie, tout en rassurant les marchés sur l’engagement anti-inflation. Cette décision s’imposerait autant pour contenir la volatilité de change que pour ancrer les anticipations. »
Inchangé : « Un statu quo, en revanche, risquerait d’alimenter les doutes sur la stratégie de stabilisation monétaire. »
Baisse : « Baisser le taux directeur aujourd’hui signifierait accepter une roupie plus faible, donc plus d’inflation et plus d’instabilité, pour tenter de stimuler minimalement la croissance. Dans le contexte actuel de Maurice, les risques d’une telle décision l’emportent largement sur les bénéfices à court terme pour la majorité de la population et pour la stabilité macroéconomique. »
Impacts d’un changement
Une hausse du taux directeur signifie que les intérêts sur tout type de prêts et les cartes de crédit seront revus, reflétant le quantum de la décision du MPC. Donc, une plus grande partie des revenus sera reversée aux institutions financières pour couvrir ces frais additionnels. Au chef de famille de revoir ses priorités... À l’autre extrémité, le taux d’intérêt à l’épargne est réajusté.
À l’inverse, une baisse du taux directeur allège le coût des intérêts, permettant ainsi aux ménages de disposer de revenus supplémentaires. Cependant, les épargnants devront chercher des alternatives plus rémunératrices pour faire fructifier leur argent.
Taux de change
Dans l’idéal, une baisse du taux directeur entraîne une dépréciation de la monnaie, tandis qu’une hausse se traduit par une appréciation face au dollar américain. À Maurice, ce mécanisme de transmission entre la décision et son impact prend du temps, voire reste quasi-inexistant, en raison de la petite taille de notre économie.
La Banque centrale privilégie une stabilité relative entre le dollar américain (principale devise pour payer nos importations) et la roupie. Le mois écoulé, le régulateur monétaire a repris ses interventions sur le marché, injectant un total de 40 millions de dollars.
Interrogé sur la politique du taux de change, Cédric Béguier est d’avis que ces interventions cumulées visent à lisser la volatilité et répondre à la demande ponctuelle de devises. Cependant, dit-il, leur portée demeure limitée par rapport aux volumes quotidiens transigés sur le marché des changes et l’ampleur des pressions extérieures (déficit courant, inflation importée). Il explique que ces mesures ont été efficaces pour éviter un effondrement brutal, mais ne suffisent pas à stabiliser la roupie face à une évolution défavorable et à des anticipations négatives des opérateurs.
Le Head of Investment Strategy chez AXYS partage son analyse sur les priorités de la Banque de Maurice en ces termes : « La Banque de Maurice semble se focaliser sur la paire dollar américain/roupie, ce qui représente un risque stratégique à court et moyen termes. Il serait donc prudent pour la Banque centrale d’éviter une focalisation exclusive sur le dollar et d’adopter à nouveau une gestion active multidevises. Cela permettrait de contenir l’inflation importée, soutenir le pouvoir d’achat, maintenir la compétitivité externe et préserver la crédibilité monétaire à moyen terme. À défaut, le risque est de voir s’installer une spirale de dépréciation continuelle face aux devises clés, difficile à enrayer par la suite. »
Quand l’inflation accélère…

La mise à exécution immédiate de certaines mesures budgétaires a résulté en une accélération de l’inflation. En glissement annuel, le taux d’inflation est passé à 5,4 % en juin dernier, le plus élevé depuis février 2024. Le mois dernier, cette mesure a été de 5,2 %. L’entrée en vigueur des nouvelles taxes sur les véhicules dès le 1er juillet a épongé les gains favorables dans le panier des légumes et épices.
C’est connu. L’inflation en glissement annuel est volatile. Et la mesure que la Banque de Maurice prend en considération est l’inflation globale, qui reflète l’évolution des prix en moyenne sur un an. Cette Annual Average Headline Inflation s’est hissée à 3,1 % en juillet, contre 2,9 % en juin. Néanmoins, elle demeure dans la fourchette ciblée de 2 % à 5 %.
Autre mesure à suivre : l’inflation dite CORE1. L’inflation CORE1 exclut les composants alimentaires (nourriture et boissons), le tabac et le taux d’intérêt sur les prêts-logements. Ce faisant, la CORE1 donne une indication plus précise des poussées inflationnistes et, par extension, si une révision du taux directeur serait appropriée.
Pour l’économiste Sanjay Matadeen : « Alors que l’inflation était initialement anticipée dans une fourchette de 3,5 % à 5 %, les dernières prévisions indiquent désormais un taux d’inflation globale légèrement supérieur à 5 %. Cette révision à la hausse s’explique principalement par l’augmentation de la Sugar Tax, ainsi que par l’augmentation de plusieurs tarifs et redevances applicables aux services publics annoncés dans le Budget. Ces facteurs exercent une pression sur le coût des produits et services dans le pays. »
Évolution de l’inflation globale sur 12 mois
Mois Taux
08/2024 4,0 %
09/2024 3,8 %
10/2024 3,7 %
11/2024 3,7 %
12/2024 3,6 %
01/2025 3,3 %
02/2025 2,8 %
03/2025 2,5 %
04/2025 2,6 %
05/2025 2,7 %
06/2025 2,9 %
07/2025 3,1 %
(Source : Statistics Mauritius, Banque de Maurice)
Facteurs externes
Petit État insulaire au milieu de l’océan Indien et à des milliers de kilomètres des fournisseurs et acheteurs, Maurice subit l’impact des guerres commerciales (les États-Unis ont imposé une taxe douanière de 15 % sur les exportations de Maurice), les fluctuations de prix des commodités (le prix à la pompe de l’essence et du diesel est resté inchangé, même si la tendance mondiale est à la baisse) et les effets des conflits en cours (dont Ukraine-Russie, deux pays engagés dans l’agriculture et l’énergie).
Expert-comptable et consultant en affaires, Shaktee Ramtohul apporte cet éclairage : « Dans le monde, les banques centrales font face à deux forces opposées. D’abord, nous retrouvons les fondamentaux économiques. Ensuite, nous constatons l’évolution des décisions politiques comme l’imposition de nouveaux tarifs par l’administration américaine sur diverses catégories de produits. Ces tarifs entraînent une hausse du taux d’inflation mondiale de même qu’une perturbation du commerce. »
Il estime qu’afin de limiter les pressions inflationnistes, « il serait approprié que la Banque de Maurice maintienne le taux directeur inchangé à 4,5 % ». Cependant, ajoute-t-il, les mois à venir seront cruciaux. « Les décisions géopolitiques affecteraient la confiance des consommateurs et des entreprises. L’analyse des chiffres de la croissance sera vitale, afin de déterminer si le taux directeur doit être augmenté pour freiner l’inflation ou réduit afin de soutenir la croissance. »
De manière générale, fait comprendre Shaktee Ramtohul, le contexte géopolitique crée des incertitudes croissantes. « Les banques centrales sont appelées à faire preuve de prudence et, surtout, à s’engager dans un acte d’équilibrage. »
Les récentes décisions
- Le 7 août, la Bank of England a dû effectuer deux rounds de vote afin d’arriver à la décision d’une baisse de 25 points de base (0,25 %) à 4 % (le niveau le plus bas en deux ans).
- Le 6 août, la Reserve Bank of India a maintenu le taux à 5,50 % après une baisse de 50 points de base (0,50 %) à sa précédente réunion.
- Le 5 août, la Banque centrale de Madagascar a maintenu le taux directeur à 12 % afin de ramener l’inflation à un niveau plus favorable.
- Le 31 juillet, la South African Reserve Bank a réduit le taux directeur de 25 points de base (0,25 %) pour passer à 7 %, parce que l’inflation est à 3 %, au bas de l’échelle du régulateur.
- Le 30 juillet, la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) a maintenu le taux directeur dans la fourchette de 4,25 % à 4,5 % sans donner une indication précise pour septembre. Patron de la Fed, Jerome Powell est la cible du président américain Donald Trump, qui estime qu’une baisse aurait dû être à l’agenda depuis belle lurette.
Entre-temps, à la Bank of Mauritius Tower…
Les médias rapportent des tensions au sein du gouvernorat, opposant Rama Sithanen et son premier adjoint, Rajeev Hasnah, au second adjoint, Gérard Sanspeur. La réunion prochaine du Monetary Policy Committee (MPC) pourrait éclaircir la répartition des forces en présence. Lors de la conférence de presse qui suivra, le gouverneur et ses adjoints présenteront-ils un front uni ?
Le 23 juillet, Rama Sithanen, en sa qualité de gouverneur, a assisté au lancement officiel du groupe ER à Moka, où il a été vu en discussion avec plusieurs personnalités. Le lendemain, il a prononcé un discours attendu sur l’intelligence artificielle et la technologie au Bank of Mauritius Innovation Hub.
En revanche, le 16 juillet, Rajeev Hasnah, premier adjoint au gouverneur, s’est excusé à la dernière minute de l’interaction trimestrielle avec la presse précédant le MPC, évoquant une réunion urgente. Ce sont alors la direction et les membres du département Economic Analysis & Research and Statistics qui ont assuré les réponses aux questions des journalistes.
Quant à Gérard Sanspeur, second adjoint, sa présence publique semble s’être faite rare ces dernières semaines.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !