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Kishore Beegoo : «Projet de scinder Air Mauritius en deux ou plusieurs entités distinctes»

Derrière les turbulences, Air Mauritius dévoile ses vérités. Dans cet entretien sans fard, Kishore Beegoo, le président du Conseil d’administration, expose un chantier colossal : restructuration, austérité interne, audits ciblés, lutte contre les passe-droits, mais aussi résistance aux pressions politiques. 

Le Premier ministre adjoint, Paul Bérenger, a tenu des propos critiques à l’encontre d’Air Mauritius. Comment réagissez-vous à ces déclarations ?
Je souhaite d’abord rappeler un principe fondamental : le management d’Air Mauritius ne se fait pas selon les caprices ou les humeurs passagères des politiciens. Nous ne gérons pas la compagnie nationale sur la base de déclarations médiatiques ou de calculs politiques, mais dans l’intérêt supérieur de l’île Maurice, de l’entreprise elle-même et de l’ensemble de ses collaborateurs.

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Notre action repose sur des données objectives, une vision stratégique à long terme et une logique de création de valeur durable. L’industrie du transport aérien ne se prête pas aux approches populistes ou aux réflexes impulsifs. C’est un secteur exigeant, où les décisions doivent être guidées par la rigueur, la technicité et la résilience.

Soyons très clairs : la vente d’Air Mauritius à Qatar Airways ou les laisser venir avec 14 vols par semaine comme souhaitée par quelques politiciens serait une erreur stratégique aux conséquences graves pour le pays. 

À ce point ?
Oui, car il ne s’agit pas simplement d’une transaction commerciale. Il en va de notre souveraineté économique, de notre autonomie dans le domaine du transport aérien, et de notre capacité à maîtriser l’outil aérien comme levier de développement national.

Les faits sont têtus. Ils démontrent aujourd’hui, sans ambiguïté, que céder la compagnie nationale dans les conditions actuelles reviendrait à hypothéquer notre avenir économique. Il ne faut pas confondre la nécessité d’alliances stratégiques – que nous explorons dans une logique de complémentarité – avec une cession pure et simple de notre outil national. Air Mauritius est un actif stratégique, et sa valeur dépasse largement son bilan comptable.

Je regrette que certains esprits à courte vue, mus par une logique de rendement politique immédiat, défendent des positions aussi périlleuses. Ce sont des visions de court terme, qui ignorent la complexité du secteur et la dynamique de redressement entamée.

Le Premier ministre est-il tenu informé de la situation ?
Absolument. Air Mauritius étant sous sa tutelle, nous tenons le Premier ministre régulièrement informé de l’évolution de la situation. Il connaît parfaitement l’état dans lequel nous avons trouvé la compagnie : un héritage lourd, légué par l’ancienne direction de MK et le gouvernement d’alors.

Notre équipe de direction travaille sans relâche — 12 à 16 heures par jour, six jours sur sept — pour remettre la compagnie sur pied. En sept mois, nous avons organisé plus de 16 réunions du Conseil d’administration.

Au lieu de dire la vérité au pays de ce qu’on a hérité et nous donner du courage, on lance des paroles en l’air sans connaissance approfondie du dossier, un peu comme les gens qui parlent au coin de la rue. Ce n’est pas digne et très décourageant. Maintenant si on a d’autres motivations ‘which the eyes cannot see’, il faudrait trouver d’autres moyens de les faire accepter au lieu de tirer sur notre propre compagnie nationale.

Les pannes s’accumulent, la flotte se réduit, les passagers expriment leur mécontentement. À l’extérieur, l’impression persiste que, malgré les changements de direction, rien ne change vraiment. Le tableau est-il plus sombre qu’il n’y paraît ?
Je comprends ce ressenti, mais il me semble excessif de dire que « tout change pour que rien ne change ». Il ne faut pas perdre de vue que nous avons pris les commandes d’une compagnie en grande difficulté structurelle, et il serait illusoire de croire qu’en l’espace de sept mois, nous puissions la transformer en une entreprise florissante. Il n’existe ni formule magique, ni solution instantanée pour remettre à flot une compagnie aérienne fragilisée, surtout dans un secteur aussi exigeant et réglementé.

Cela dit, je dois l’admettre : la situation que nous avons découverte en arrivant était encore plus dégradée que prévu. Plusieurs décisions stratégiques essentielles n’avaient pas été prises par l’ancienne direction – notamment en matière de planification de la maintenance lourde (les C-Checks), qui sont obligatoires tous les six ans pour chaque appareil et nécessitent une immobilisation de 6 à 12 semaines. Ne pas les avoir planifiés à l’avance – parfois deux ans à l’avance – a mis la compagnie dans une position périlleuse, où l’indisponibilité de deux appareils représente déjà 25 % de notre flotte long-courrier. Et s’il survient une panne imprévisible sur un troisième, c’est près de 40 % de la capacité qui se retrouve hors service.

Que s’est-il passé exactement pendant la semaine du 28 juillet au 2 août 2025, où de nombreuses perturbations ont été constatées ?
Nous avons traversé une semaine critique, d’une complexité logistique exceptionnelle. Sur les 12 appareils opérationnels que compte notre flotte, six étaient simultanément indisponibles. Cela représente une perte temporaire de 50 % de nos capacités, et cela a naturellement désorganisé notre réseau international et régional.

Voici les faits, appareil par appareil :

• Nos deux A330neo ont été immobilisés. Le premier était en maintenance programmée à Bordeaux depuis le 25 mai, mais un incident climatique a aggravé la situation : une porte de hangar arrachée par un ouragan a percuté l’appareil, causant des dégâts structurels importants. Sa remise en service est désormais repoussée de plusieurs mois.

Le second A330neo a subi une panne technique à La Réunion. Une équipe a été envoyée immédiatement, mais la fenêtre d’intervention a été limitée par les horaires de fermeture de l’aéroport, ce qui a retardé la résolution.

• Nos deux A330-200 ont aussi été affectés. L’un d’eux a connu une défaillance au départ de Bombay, comme cela a déjà été évoqué.
• Du côté des quatre A350, l’un a dû être retiré du service pour un remplacement de moteur.
• Enfin, parmi nos quatre ATR 72-500, un a été retourné à son fournisseur dans le cadre d’un échange prévu pour un ATR 72-600 plus performant, et un autre a subi un atterrissage dur à Rodrigues, nécessitant plusieurs semaines de réparations.

Au total, cette séquence a illustré toutes les conséquences d’une absence de planification rigoureuse, héritée de l’ancienne administration. Les C-Checks non planifiés nous ont pris de court, les créneaux de maintenance étant rares – et extrêmement coûteux – lorsqu’ils sont réservés en urgence. Cette crise révèle un besoin urgent de discipline opérationnelle et d’anticipation stratégique, sans lesquelles aucune compagnie aérienne ne peut fonctionner durablement.

Je tiens à présenter mes excuses les plus sincères aux passagers concernés – en mon nom personnel et au nom d’Air Mauritius.

Avec seulement deux ATR en service, faut-il s’attendre à des perturbations sur la ligne Maurice–Rodrigues ?
Non, la liaison Maurice–Rodrigues est prioritaire, et nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour garantir la continuité du service. Les deux ATR restants lui sont exclusivement dédiés. Il est vrai que ces appareils opéraient aussi vers La Réunion, mais afin de préserver la régularité et la fréquence des vols vers Rodrigues, nous avons fait le choix stratégique de redéployer des avions gros porteurs pour desservir La Réunion. 

Des passagers du vol MK749 au départ de Bombay se sont plaints d’avoir été retenus à bord durant près de trois heures, sans climatisation, ni informations claires. Que s’est-il passé ? Et à qui revient la responsabilité ?
Je comprends combien cette attente prolongée, dans des conditions difficiles, a pu être éprouvante. Cela étant dit, il est important de replacer les événements dans leur contexte technique et réglementaire, souvent méconnu du public.

Dans la nuit du 28 juillet 2025, à 3 h 18 heure locale, le vol MK749 à destination de Maurice avait terminé l’embarquement à l’aéroport international Chhatrapati Shivaji de Bombay. Les portes de l’A330-200 étaient fermées et l’appareil s’apprêtait à entamer son roulage vers la piste lorsque survint un problème technique, déclenchant une alerte à bord.

Après une première tentative de réinitialisation du système par l’équipage, la panne a persisté. L’avion a dû revenir au parking pour permettre à nos techniciens de monter à bord et tenter un dépannage sur place. La porte a été refermée afin de redémarrer les moteurs, mais le problème était toujours présent. La porte a alors été rouverte.

Après plusieurs essais infructueux, il a été décidé d’annuler le vol. Le commandant de bord a tout au long de l’attente, gardé les passagers informés.

Après les interventions techniques et la décision d’annuler le vol, plus de deux heures se sont écoulées. L’avion, non connecté aux installations de climatisation au sol et avec 250 passagers à bord, a accumulé la chaleur ambiante. À cette heure de la nuit, avec une température extérieure de 32 °C, l’atmosphère à bord est devenue naturellement difficilement supportable.

Certains passagers ont demandé à quitter immédiatement l’appareil, ce que je comprends parfaitement. Cependant, cette décision ne dépend pas uniquement de la compagnie aérienne. En Inde, une procédure très stricte encadre tout débarquement après la fermeture des portes. Elle nécessite pas moins de quatre autorisations distinctes : celles de l’immigration, de la douane, de la sécurité aéroportuaire et de l’autorité gestionnaire de l’aéroport.

Pour compliquer davantage la situation, un changement de quart au sein de l’administration aéroportuaire à cette heure-là a allongé le processus. Résultat : il a fallu patienter jusqu’à l’obtention du dernier feu vert avant de pouvoir entamer le débarquement.

Pendant ces près de trois heures à bord, notre équipage a tout mis en œuvre pour soulager les passagers : distribution d’eau, de jus, de collations, et même partage des vivres personnels de certains membres de l’équipage avec les passagers en difficulté.

La durée de ces longues procédures administratives et du changement de quart n’est pas systématiquement communiquée à l’équipage. Si de plus amples renseignements avaient pu être transmis aux passagers, ils auraient sans doute mieux supporté cette épreuve.

Des passagers se plaignent régulièrement du manque de communication en cas de retard ou d’annulation de vol. Comment y remédier ?
Air Mauritius a mis en place un système d’alerte multicanal, permettant d’informer les passagers via e-mail, SMS et WhatsApp, selon leurs préférences exprimées lors de la réservation. Toutefois, des difficultés subsistent lorsque les billets sont achetés par l’intermédiaire d’agences de voyage ou des Tours Operators qui, dans un nombre non négligeable de cas, ne mettent pas les détails de contact des clients dans le dossier de réservation.

Vous admettez ne pas être responsable des lacunes héritées dans la gestion technique. Mais concrètement, que mettez-vous en œuvre pour sortir Air Mauritius de cette impasse ?
Nous avons pris le taureau par les cornes dès notre arrivée. Un plan triennal de C-Checks programmés a été défini, structuré de manière à intervenir avion par avion, en préservant un niveau minimal de disponibilité de la flotte. Ce calendrier rigoureux implique une coordination étroite entre les équipes techniques et opérationnelles. C’est une approche progressive, mais indispensable pour remettre les choses en ordre, sans compromettre nos opérations en cours.

La vérité, c’est qu’Air Mauritius a été fragilisée par une gestion technique erratique au cours des deux dernières années. Aucun spécialiste n’a été recruté pour des postes critiques, et pire encore : l’ancien responsable du département technique avait été suspendu sans justification claire. On lui a préféré une personne nommée sans processus d’évaluation, qui a fini par partir discrètement, littéralement, pour ne jamais revenir. Il a quitté Maurice pour l’Angleterre… et il n’est jamais remonté à bord.

Ensuite, une seconde personne a été nommée, visiblement sur la base de liens d’affinité plus que de compétences avérées. Il a, lui aussi, quitté ses fonctions, invoquant des raisons de santé. Chaque nouvel arrivant a imposé sa propre vision, modifiant la composition et les attributions des équipes. Le plus grave, c’est que des ingénieurs qualifiés ont été déplacés hors de leur domaine de spécialité, créant un gaspillage de compétences et un affaiblissement technique généralisé.

En une année, nous avons eu à faire faire onze C checks sur douze avions. Ce qui veut dire que 10 à 15 % de notre flotte sera hors service presque tout le temps. C’est l’héritage lourd qu’on nous a laissé.
Comment avez-vous abordé ce problème structurel ?

Avec méthode et en renforçant immédiatement nos capacités internes. Nous avons rappelé cinq anciens managers expérimentés, sous contrat. Nous avons recruté 66 techniciens mauriciens, renouvelé les contrats de dix experts étrangers. Et deux ingénieurs de haut niveau : l’un spécialiste Rolls Royce, l’autre expert des ATR sont venus. Ce sont des profils pointus, opérationnels, qui connaissent les enjeux du terrain.

Nous avons également sécurisé un accord de soutien technique permanent avec Airbus – un appui disponible 24h/24, 7j/7. C’est une garantie supplémentaire de fiabilité pour la maintenance de nos A350 et A330.

D'autre part, pour assurer la relève locale, nous avons lancé en partenariat avec Polytechnics Mauritius un Diploma en Aircraft Engine Maintenance sur trois ans. Sur les 23 jeunes sélectionnés via un exercice rigoureux d’entretiens, cinq bénéficient d’une bourse sociale financée par Air Mauritius. À l’issue de leur formation, nous comptons bien les embaucher tous, car ce sont des talents du cru, motivés et formés aux normes les plus strictes.

Le chantier semble colossal. À quel horizon prévoyez-vous un retour à la normale ?
Je suis lucide : il faudra encore six mois au minimum pour atteindre une stabilité satisfaisante. Le processus est en marche. Nous posons aujourd’hui les fondations d’un modèle durable, centré sur la compétence, la rigueur technique et la sécurité. La fiabilité de nos avions n’est pas négociable. Elle est au cœur de la sécurité aérienne et de la confiance que le public place en Air Mauritius.

Votre conseil d’administration a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les acquisitions et ventes d’appareils durant la période d’administration volontaire. Où en est cette démarche ?
Nous avons en effet mandaté le cabinet Kroll, reconnu à l’échelle internationale pour son expertise en matière d’enquêtes financières et de diligence opérationnelle, afin de mener une évaluation indépendante et rigoureuse des décisions prises à cette époque.

Un premier rapport est attendu dans six semaines, et il devrait apporter des éléments de réponse concrets sur plusieurs choix particulièrement opaques. Je fais ici notamment référence à une décision qui continue de susciter de l’incompréhension : la vente de deux avions neufs, suivie, dans la foulée, de la location de deux appareils âgés de 18 ans.

Pour moi, cette opération n’a aucune justification rationnelle, ni sur le plan économique ni sur le plan stratégique. Si une logique existe, elle devra être clairement établie et expliquée. Et s’il s’avère que des erreurs ont été commises — ou pire, des fautes — elles devront être assumées. L’exercice de transparence est essentiel si nous voulons reconstruire la crédibilité d’Air Mauritius.

Vous évoquez une logique douteuse dans certaines décisions passées. Qu’en est-il de la commande de trois Airbus A350 par l’ancienne direction ?
Là encore, des interrogations majeures subsistent. Pourquoi commander trois gros porteurs supplémentaires, alors que le marché européen – celui auquel ils étaient destinés – se limite actuellement à deux liaisons : Paris et Londres, opérées à raison de sept fréquences hebdomadaires chacune ? Nos quatre A350 existants suffisent amplement à assurer ces dessertes dans de bonnes conditions.

Ce qui manque ici, c’est une cohérence commerciale et une vision réseau à long terme. L’investissement dans des avions aussi lourds et onéreux aurait dû être accompagné d’un projet d’expansion ou de diversification géographique. Or, ça n’a pas été le cas.

À notre sens, la stratégie aurait dû privilégier des appareils plus flexibles, de taille intermédiaire, capables de répondre rapidement à des évolutions de marché, d’ouvrir de nouvelles routes, et de renforcer certaines dessertes régionales. À titre d’exemple, Rodrigues sera bientôt doté d’une piste allongée, capable d’accueillir des avions de plus grande capacité. Il aurait été plus pertinent d’investir dans des appareils capables d’y opérer efficacement.

Est-il encore possible d’annuler ou de modifier cette commande ?
Pour l’un des trois A350, il est malheureusement trop tard. L’appareil est déjà en phase finale d’assemblage chez Airbus, ce qui signifie que nous devons l’acquérir. Il s’agit d’un investissement lourd, estimé à près de Rs 10 milliards.

En revanche, pour les deux autres unités, nous disposons encore d’une certaine marge de manœuvre. Des discussions ont été engagées avec Airbus pour réexaminer la configuration de la commande. L’objectif est clair : remplacer ces deux gros porteurs par des appareils plus adaptés à notre réalité opérationnelle actuelle qu’il s’agisse de monocouloirs de dernière génération ou de long-courriers de moindre capacité, mais plus polyvalents.

Ce réajustement viserait à réaligner notre flotte avec les besoins du marché régional et international, tout en assurant une meilleure rentabilité des investissements et une maîtrise des coûts de possession et d’exploitation.

Des candidats recalés pour le poste de copilote sur ATR ont saisi la Financial Crimes Commission (FCC), évoquant un possible favoritisme. Le cockpit du recrutement est-il vraiment étanche aux pressions et aux influences ?
Je tiens à être extrêmement clair sur ce point. Dès la conception du Mauritius Pilot Development Program 2025, j’ai donné des consignes précises à mes collaborateurs. Cet exercice devait être irréprochable, à l’abri de toute forme d’ingérence – qu’elle soit politique, administrative ou personnelle. Il n’était pas question de laisser la place à des soupçons de favoritisme, surtout dans un domaine aussi sensible que le recrutement de pilotes. Air Mauritius a longtemps été perçue, à tort ou à raison, comme une entreprise au sein de laquelle les procédures de sélection manquaient de transparence. Pour rompre avec ces pratiques du passé, nous avons volontairement externalisé tout le processus à une entité indépendante dotée d’une crédibilité reconnue à l’international. C’est ainsi qu’Interpersonal, une filiale du groupe Lufthansa, dont la réputation n’est plus à faire, a été mandatée pour conduire l’intégralité du processus de sélection.

Comment s’est déroulé cet exercice aujourd’hui remis en cause ?
Nous avons reçu 73 candidatures. Après une première évaluation en ligne, test psychométrique, 49 candidats ont été retenus pour la phase suivante. Air Mauritius a pris en charge l’intégralité de leurs frais afin qu’ils puissent se rendre en Afrique du Sud pour participer à un test en simulateur rigoureux, mené par notre partenaire externe. À l’issue de cette évaluation, seuls dix-huit candidats ont été sélectionnés pour la dernière étape. Finalement, douze candidats ont été choisis. Ce choix relève entièrement de la responsabilité de notre partenaire allemand. Bien que nous avions initialement prévu de recruter 28 copilotes pour ce programme, nous avons accepté ce chiffre restreint, car la sécurité aérienne reste notre priorité absolue. Il vaut mieux avancer prudemment que de faire des compromis sur la qualité du personnel navigant.

En clair, les dénonciations adressées à la FCC ne vous inquiètent pas ? 
Pas le moins du monde. Nous n’avons rien à dissimuler. Au contraire, j’invite les candidats malheureux à solliciter la FCC et d’autres autorités s’ils le veulent.

À votre arrivée, vous avez promis de placer la compétence et la méritocratie au cœur de la gestion des ressources humaines. Pourtant, certaines voix s’élèvent pour dénoncer des irrégularités dans les récentes procédures de promotion. Qu’en est-il exactement ?
À ce jour, aucune promotion n’a encore été entérinée. Ce que nous avons entrepris, ce sont des appels à candidatures internes pour des postes vacants. Si le nombre de candidatures internes s’avère insuffisant, nous élargirons naturellement le processus en externe. Il y a effectivement eu des transferts latéraux, mais ceux-ci n’ont eu aucun impact sur les niveaux de rémunération.

Pourtant, un syndicat conteste ouvertement le processus de sélection pour les postes de Flight Purser et Senior Flight Purser. Il n’y a pas de fumée sans feu, diront certains…
Il est important de replacer les choses dans leur juste contexte. Ce syndicat milite pour un système basé exclusivement sur l’ancienneté. Or, nous avons fait le choix assumé d’introduire des critères de mérite, de compétence et de comportement professionnel, comme cela se fait dans toute organisation moderne et performante.

Le processus en cours repose sur une méthodologie rigoureuse. La première étape a consisté en une évaluation technique standardisée. La seconde phase, en cours, tient compte du parcours professionnel de chaque candidat, de sa conduite, de ses contributions au fil des années et de ses capacités à incarner les standards de service et de leadership attendus à ces niveaux de responsabilité.

Des employés d’Airmate Ltd, ainsi que certains d’Air Mauritius Ltd, manifestent une certaine inquiétude face à ce que vous qualifiez de « fusion sélective ». De quoi s’agit-il précisément ?
Il est essentiel de replacer les choses dans leur contexte. La compagnie Airmate a été créée dans l’optique de réduire les coûts opérationnels d’Air Mauritius, en particulier sur le plan salarial. À l’époque, les employés d’Air Mauritius bénéficiaient – et bénéficient toujours – de conditions de rémunération très favorables, largement supérieures aux normes légales du pays.

Lorsque l’ancien gouvernement a introduit le principe du « same job, same pay » (à travail égal, salaire égal), il est devenu injustifiable que des employés d’Airmate effectuant les mêmes tâches que ceux d’Air Mauritius perçoivent des conditions d’emploi inférieures. 

Par conséquent, les conditions contractuelles de 166 employés d’Airmate ont été alignées sur celles de leurs homologues d’Air Mauritius. Il est donc parfaitement logique qu’ils soient réintégrés dans l’effectif de la compagnie nationale, même s’il faut le dire, cela représente un alourdissement de notre masse salariale.

Et les autres employés d’Airmate, ceux qui ne sont pas concernés par cette loi ?
Ils resteront à leur poste, sous la structure d’Airmate ou de GHS (Ground Handling Services Ltd). Cette mesure ne vise que les profils dont les fonctions, salaires et conditions ont été alignés sur ceux d’Air Mauritius, en vertu du principe d’égalité salariale.

Il se dit qu’un changement majeur se prépare dans les services de manutention au sol (Ground Handling Services). Pouvez-vous confirmer cette orientation ?
Absolument. Il s’agit là d’un virage stratégique fondamental, dicté par des impératifs de performance, de viabilité financière et d’alignement avec les standards internationaux. Dans l’aviation mondiale, les compagnies se recentrent progressivement sur leur cœur de métier : le transport aérien. C’est dans ce domaine que se jouent à la fois la rentabilité et la différenciation stratégique.

Les activités aériennes requièrent des investissements massifs : en flotte, en maintenance, en technologies, en sécurité, et en compétences humaines spécialisées. Dans ce contexte, de plus en plus de compagnies choisissent d’externaliser ou de filialiser des fonctions périphériques – comme les services au sol – qui ne relèvent pas directement de leur vocation première.

C’est exactement la logique que nous suivons. Pour qu’Air Mauritius soit durablement compétitive, nous devons opérer une séparation fonctionnelle entre les activités aériennes et les opérations au sol. Ce n’est ni une menace, ni une privatisation, mais une modernisation nécessaire, conforme aux meilleures pratiques du secteur.

Concrètement, Air Mauritius va-t-elle se désengager de ses activités au sol ?
Le projet de scinder Air Mauritius en deux ou plusieurs entités distinctes est effectivement à l’étude. C’est une condition de survie opérationnelle. Nos opérations au sol ont enregistré Rs 211 millions de pertes au cours du dernier exercice. À cela s’ajoute une concurrence croissante, notamment avec la présence de Ground to Air, et l’arrivée annoncée d’un troisième opérateur.

Dans ce contexte, nous devons professionnaliser et renforcer cette branche pour gagner en efficacité, en compétitivité et en transparence financière.

Ces employés, notamment ceux d’Air Mauritius, perdront-ils leurs avantages actuels ?
Non, absolument pas. Tous les droits acquis et avantages contractuels seront conservés. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause leur statut, mais de reconfigurer l’organisation pour la rendre plus efficiente et plus résiliente, tout en respectant les engagements de l’entreprise envers ses collaborateurs.

Vous insistez beaucoup sur votre politique visant à délester la compagnie de ses entraves financières. Pourtant, comme vos prédécesseurs à la tête d’Air Mauritius, vous semblez éviter un sujet particulièrement sensible : les abus liés aux billets gratuits accordés aux employés – anciens et actuels – à leurs familles, ainsi qu’aux anciens CEO, Chairmen et directeurs. Est-ce devenu un tabou institutionnalisé ?
Pas du tout. Je peux vous assurer que ce n’est en aucun cas un sujet tabou, bien au contraire. C’est un dossier que j’ai ouvert dès mon arrivée. En période de redressement, une compagnie nationale ne peut plus fonctionner comme à l’époque des excédents budgétaires. Nous devons faire preuve de lucidité, de rigueur, et de responsabilité.

Et j’espère sincèrement que ceux qui seront affectés par les mesures en cours comprendront que ces privilèges ne sont tout simplement plus soutenables. Les billets gratuits ont un coût réel – un coût commercial, opérationnel et réputationnel – et aujourd’hui, ce n’est plus justifiable.

Avez-vous des chiffres concrets pour illustrer l’ampleur du phénomène ?
Absolument. En 2024, Air Mauritius a octroyé environ 18 000 billets gratuits. Voici le décompte :
• 11 700 billets ont été attribués aux employés (actuels et retraités), aux membres du conseil d’administration (anciens et actuels), ainsi qu’aux anciens CEO.
• 4 600 billets ont été octroyés à des membres du personnel d’autres compagnies aériennes, dans le cadre d’accords interlignes.
• 2 200 billets ont été offerts à des opérateurs du secteur touristique.

Il s’agit là d’un volume considérable, avec un impact direct sur nos revenus.

Des réformes ont-elles été initiées ? Ou est-ce un chantier encore à l’état de réflexion ?
Les premiers ajustements sont déjà en œuvre. Par exemple, concernant les personnels d’autres compagnies aériennes, nous avons drastiquement réduit le nombre d’accords de billets gratuits, passant de 180 accords bilatéraux à moins d’une dizaine aujourd’hui. C’est un tournant stratégique.

Pourquoi ? Parce que certains cadres d’Air Mauritius utilisaient tous leurs billets gratuits ici, puis allaient négocier des billets à tarif préférentiel auprès d’autres compagnies, dans un système d’échanges croisés. Résultat : certains voyageurs étrangers ne payaient que 60 euros pour un billet international. C’est un système qui, clairement, ne tient plus la route. Dorénavant, ces bénéficiaires devront participer au coût du voyage.

Même logique du côté des opérateurs touristiques. Il ne s’agit plus de distribuer des billets gratuits de manière automatique en fonction des gens qu’on connait ou d’affinité. Le nouveau modèle est basé sur la performance, volume des ventes, encadré par des quotas stricts, avec des critères objectifs.

Reste la question la plus délicate : celle des billets gratuits pour les employés et les anciens membres du conseil d’administration… Est-ce aussi en voie de réforme ?
C’est effectivement le dossier le plus sensible, mais il n’échappera pas à la refonte. Là encore, certains abus frisent l’indécence. Je vous donne deux exemples concrets :
• Un employé a utilisé 44 billets gratuits pour ses proches et lui en une seule année.

• Un ancien CEO, qui n’a occupé ses fonctions que pendant quelques années, continue à voyager gratuitement à vie, en classe affaires.

Je pourrais aussi mentionner la clause qui permet aux enfants de plus de 25 ans ou le papa ou maman d’un employé décédé de bénéficier de billets gratuits à vie. Est-ce une règle encore défendable dans le contexte actuel ? Je ne le pense pas. Le bon sens doit prévaloir et on est en train de tout revoir.

Vous attendez-vous à une résistance en interne ?
Certainement. Toute réforme de privilèges établis suscite des résistances, mais il faut comprendre que nous ne menons pas ces réformes par esprit de revanche ou par austérité aveugle. Nous les conduisons par nécessité. Air Mauritius ne pourra retrouver sa stabilité financière que si nous éliminons les distorsions structurelles, aussi symboliques soient-elles.

 

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