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Dépénalisation de la drogue : entre avantages et risques

Le Dangerous Drugs (Amendment) Bill a été introduit à l’Assemblée nationale avec l’objectif de mettre en œuvre les recommandations de la Commission d’enquête sur la drogue. Ainsi, si une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction liée à la drogue pour sa consommation personnelle, elle ne sera pas poursuivie. Par contre, sur recommandation du Directeur des Poursuites Publiques, elle sera envoyée devant le Drug Users Administrative Panel. Cette mesure est considérée comme une avancée pour certains, alors que d’autres estiment qu’il faut des garde-fous pour éviter des abus.

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Une personne retrouvée en possession de drogue sera invitée à suivre un programme de réhabilitation tel que l’éducation, le conseil, le traitement, la réinsertion sociale ou toute autre thérapie dans un établissement de santé public ou tout autre établissement approuvé par le ministère de la Santé et du bien-être. C’est ce que prévoit le Dangerous Drugs (Amendment) Bill. Le travailleur social, Sam Lauthan, affirme qu’il était grand temps de venir de l’avant avec une telle mesure. « Cela fait longtemps qu’on le dit. Nos prisons sont congestionnées. Sans parler des dépenses pour la nourriture et l’administration. Nous pensons que si une personne est prise pour la première fois, cela reste une offense, mais nous pouvons ne pas l’envoyer en prison. Il faut lui donner une chance et si elle récidive, elle doit payer une amende ou aller en prison », explique-t-il.

Délai

Il affirme que souvent des jeunes tombent dans la spirale de la drogue « bêtement », et souvent, « par la pression des pairs ». « Dans beaucoup de cas, c’est la curiosité qui fait que des personnes deviennent des consommateurs habituels. Il faut donc miser sur la réhabilitation, mais en instaurant un délai. Vu que la population carcérale baissera, on peut libérer des officiers pour le suivi des personnes afin de voir si elles vont aux traitements », estime ce dernier.

Prévention de la rechute

Sam Lauthan pense que le plus difficile est après la désintoxication. « La prévention de la rechute est un travail assez compliqué. Il y a toute une chaîne de services qui est de mise pour éviter que des personnes ne rechutent. La tentation est là. Après la réhabilitation, on peut les aider à ne pas succomber encore une fois à la drogue », indique le travailleur social.

Échappatoire

Le président de l’association des travailleurs sociaux de l’île Maurice, Ally Lazer, croit lui que cette mesure va encourager d’autres personnes qui ne sont pas accros à la drogue à se laisser gagner par la tentation. « La crainte que des jeunes prennent cela comme une échappatoire est réelle. Ils vont se dire qu’ils n’auront pas de problème et voudront essayer de se droguer. Ce qui va faire augmenter davantage le nombre de toxicomanes », prévient-il.

Campagne de prévention

Il s’appesantit sur le fait que la consommation d’héroïne fait des ravages depuis ces deux dernières décennies et la drogue synthétique qui gangrène notre société depuis 2021. Ally Lazer déclare qu’il est urgent de venir avec un plan national de prévention. « On doit pouvoir faire la balance. Si on vient de l’avant avec la dépénalisation, on doit avoir une campagne nationale de prévention, car on a du retard à rattraper. Au cas contraire, il n’y a pas de doute que la drogue continuera à faire plus de victimes », soutient-il, mettant l’accent sur la féminisation et le rajeunissement de ce fléau qui ne fera que s’empirer.

Ressources

José Ah-Choon, responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, se demande lui si on a suffisamment de ressources pour la réhabilitation. « Avant de venir avec une telle mesure, on doit s’assurer qu’on a suffisamment de centres. Un programme dure pendant neuf semaines et 20 personnes peuvent être internées. Si on veut miser sur la réhabilitation, on doit mettre sur pied d’autres centres », soutient ce dernier.

Table ronde

Face à la situation qui va de mal en pis, José Ah-Choon plaide pour une table ronde. « C’est dommage qu’on souhaite venir avec des mesures, alors que ceux qui sont sur le terrain n’ont pas été concertés. Il n’est pas trop tard pour une table ronde. Des concertations avec tous les acteurs concernés sont de rigueur si on veut trouver une solution », lance notre interlocuteur.

Décriminalisation versus dépénalisation

Mieux comprendre 

L’avocat Neil Pillay explique qu’il faut tout d’abord faire la distinction entre dépénalisation et décriminalisation. Décriminalisation veut dire qu’il ne s’agit plus d’un crime, alors que dépénalisation signifie que la personne n’a pas de peine d’emprisonnement. « Dans le cas présent, il s’agit d’une dépénalisation partielle, car ce sera à la discrétion du DPP de référer un cas au panel », souligne l’homme de loi.

Me Neil Pillay pense aussi qu’il y a d’autres éclaircissements à apporter. « Il faut définir la quantité de drogue qui sera considérée comme usage personnel. Il faut aussi savoir de quoi on parle quand on dit drogue. Est-ce les drogues dures ou les soft drugs comme le cannabis ? » se demande ce dernier.

Il met aussi l’accent sur le fait qu’une personne peut être en possession d’une certaine quantité de drogue, mais qui est divisée en plusieurs doses. « Dans le passé, il y a eu plusieurs cas où des personnes ont été arrêtées et qualifiées de dealers, tout simplement parce qu’elles avaient plusieurs doses, bien qu’il s’agisse que d’un gramme de drogue », ajoute Me Neil Pillay.

Il recommande aussi que les interrogatoires soient enregistrés et une copie remise à la défense et une autre à la poursuite. « Dans le passé, il y a eu des cas où les confessions ne corroborent pas avec ce que la police met dans l’enquête. On doit faire de sorte que les interrogatoires se fassent in camera et que ce qui est dit en dehors ne soit pas admissible », conseille-t-il.

Pour ce qui est du cannabis médicinal, il préconise que ce soit contrôlé. « On a vu ce qui se passe avec la méthadone. Il ne faut pas que cela se répète avec le cannabis médicinal. Que des personnes le gardent pour ensuite le revendre. On doit savoir comment sera administré le cannabis médicinal », souligne notre interlocuteur.

Questions à Kunal Naik, addictologue et psychologue : « Pourquoi pas une personne formée en addiction sur le panel ? »

Que pensez-vous des propositions au Dangerous Drugs (Amendment) Bill ?
Pendant longtemps, la société civile et moi-même avons milité pour que les consommateurs ne soient pas envoyés en prison. C’est en passe de devenir une réalité. Il faut reconnaître que c’est un pas en avant dans le combat.

Désormais, ceux qui sont cueillis pour consommation personnelle ne seront pas poursuivis et pourront être référés au Drug Users Administrative Panel. Votre avis ?
Je trouve dommage qu’il y aura un ancien juge, un ancien avocat, deux médecins et deux travailleurs sociaux sur le Drug Users Administrative Panel. Or, pourquoi ne prend-on pas une personne qui est formée en addiction ? Est-ce que ces personnes auront une formation sur l’addiction ?

L’addiction est vaste. Cela ne concerne pas que la médecine, mais aussi la psychologie. Il y a aussi l’aspect social, environnemental et éducatif. Pourquoi n’y a-t-il personne du ministère de la Sécurité sociale pour l’aspect du combat contre la pauvreté ? Ou encore personne du ministère de l’Éducation ?

Ce ne sont pas tous les consommateurs qui ont une addiction. Ceux qui consomment de façon récréationnelle, comme ceux qui consomment l’alcool que durant le week-end, qu’adviendra-t-il d’eux ?

Que faut-il faire davantage ?
Est-ce que les centres ont suffisamment de staff formé et les moyens financiers pour l’accompagnement nécessaire ? Il est également très important de songer aux personnes qui ont été arrêtées dans le passé comme consommateurs. Il faut revoir leur certificat de caractère.

Il y a aussi un aspect important, soit le cannabis médical. Qu’en pensez-vous de la proposition ?
J’ai déjà fait des recommandations sur un rapport qui comportait des erreurs factuelles. Je n’ai jamais eu de réponses et ces erreurs n’ont jamais été corrigées. Le cannabis médical est une grande avancée pour les personnes qui souffrent. On a lutté pour cela pendant longtemps. J’espère que ce sera un soulagement pour ces personnes.

Tout sera contrôlé par l’État. Mais pourquoi pas dans le privé, avec un contrôle bien sûr ? C’est dommage que le cannabidiol (CBD) n’a pas été déclassifié. Cela, pour pouvoir s’en procurer sans aucune prescription.

J’espère qu’il y a un plan pour qu’on commence à produire notre propre cannabis médical à l’avenir. J’espère de plus qu’il y aura un projet pilote qui sera réajusté pour les personnes qui ont besoin de cannabis médical. On ne peut pas commettre les mêmes erreurs du passé avec les programmes mis en place.

Les autres amendements proposés au Dangerous Drugs (Amendment) Bill

Cannabis médicinal : On prévoit qu’un patient puisse être traité avec du cannabis médicinal lorsqu’il souffre de conditions thérapeutiques spécifiques et que ces celles-ci n’ont pas répondu à un traitement conventionnel. De ce fait, un Medicinal Cannabis Therapeutic Committee sera mis en place dans chaque hôpital régional et déterminera, au cas par cas, si un patient a besoin de cannabis médicinal pour son traitement. 

Échantillonnage : Il faut également savoir que le Forensic Science Laboratory sera habilité, comme c’est le cas dans plusieurs autres juridictions, à analyser un échantillon de drogues dangereuses saisies.

Pouvoir élargi : La police se verra attribuer des pouvoirs plus étendus afin de lui permettre de détecter les infractions liées aux drogues. Elle pourra, sur ordre d’un magistrat, détruire les drogues dangereuses saisies plutôt que de les garder pour les produire devant la cour.

Imran Dhunnoo : « La place des consommateurs n’est pas en prison »

Le directeur du centre Idrice Goomany, Imran Dhunnoo salue l’initiative du gouvernement de venir de l’avant avec de nouvelles mesures. D’ailleurs, il est de ceux qui plaident pour que les consommateurs de drogue ne soient pas pris pour cibles mais qu’on se concentre sur les trafiquants. « La place des consommateurs n’est pas en prison. On doit les réhabiliter et les aider à réintégrer la société. C’est une bonne initiative de mettre sur pied le panel. Toutefois, encore faut-il qu’il y a les personnes qui ont de l’expérience voulu », souligne notre interlocuteur.
Il poursuit qu’il reste encore des choses à être définies. « On ne sait pas encore quel modèle sera adopté. Ou encore comment on définit consommation personnelle. Il faut aussi des éclaircissements sur comment fonctionnera le panel », indique ce dernier. A ce jour, Imran Dhunnoo affirme que c’est le DPP qui a le dernier mot sur la poursuite des usagers de drogues dont ceux qui en consomment de façon récréationnel. « Il y a des cas où le DPP décide de ne pas aller de l’avant avec un cas surtout concernant des mineurs qui n’ont pas d’antécédent. Reste à savoir comment le panel fonctionnera », dit-il.

Des « kits » distribués aux consommateurs de drogues injectables

S’insérant dans le cadre du programme d’échange de seringues du ministère de la Santé, des « kits » seront distribués aux utilisateurs de drogues injectables. Le gouvernement a donné son feu vert.

C’est une décision qui fait suite aux preuves scientifiques que le VIH et l’hépatite C peuvent être transmis par le partage de matériel de consommation de drogues. La loi sera ainsi amendée pour inclure les kits de matériel de consommation.

Les ONG, dont PILS, s’en réjouissent. « C’est une très bonne décision. Cette pratique met l’accent sur l’aspect santé et l’aspect pratique d’injection », affirme Anette Treebohun, directrice de PILS.

L’héroïne : la plus prisée des drogues

On compte quelque 55 000 usagers de drogue à Maurice. Six sur 10 sont des consommateurs d’héroïne. C’est ce qui ressort du premier sondage national commandité par le National Drug Secretariat rendu public en début d’année.

Selon ce sondage, 63% sont des consommateurs d’héroïne, faisant que c’est la plus prisée des drogues, suivie du cannabis à hauteur de 61%. 11% des consommateurs de substances illicites prennent uniquement du cannabis. Parmi, 32 % sont des jeunes de 18 à 24 ans. L’âge moyen pour la consommation du cannabis est de 17 ans alors que le plus jeune est de 11 ans.

S’agissant de drogue synthétique, elle concerne 57% des usagers de drogue. Parmi, 32% sont âgés de 18 à 24 ans. Plus de 60% de cette catégorie ont consommé du Batte dans la tête, Strawberry, Wasabi et la Poussière tombe. 81% de ceux qui ont un penchant pour les synthèses en consomment deux à trois fois par jour.

Par ailleurs, 13% de consommateurs de produits illicites sont des femmes de 18 à 24 ans. Une grande majorité, soit à hauteur de 75%, prennent du cannabis deux à trois fois par semaine. Il y a 39% de cette catégorie qui utilisent du cannabis deux à trois fois par semaine.

L’usage du cannabis dans le monde :
Australie Consommation tolérée dans certains États pour usage médical
Brésil Consommation tolérée pour usage médical et religieux
Canada Légalisé
Colombie  Dépénalisé
Corée du Nord  Légalisé
Costa Rica Décriminalisé
Croatie Décriminalisé
Danemark  Dépénalisé 
Espagne  Dépénalisé pour usage médical
Estonie Décriminalisé
États-Unis Toléré dans plusieurs États pour la consommation récréationnelle et médicale
Finlande  Décriminalisé pour usage médical
Géorgie  Dépénalisé
Inde Légalisé
Israël  Décriminalisé pour usage médical
Italie  Dépénalisé
Jamaïques  Légalisé
Liban Décriminalisé pour usage médical
Luxembourg Décriminalisé
Mexique  Décriminalisé
Nouvelle-Zélande Décriminalisé pour usage médical
Pays-Bas Décriminalisé
Pérou  Légalisé
Portugal Dépénalisé
Royaume-Uni Décriminalisé pour usage médical
Russie Consommation tolérée
Suisse  Décriminalisé
Thaïlande  Légalisé
Uruguay  Légalisé
 

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