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Me Siddharta Hawoldar : «L’accusation provisoire est une pratique qui ronge l’État de droit»

Me Siddharta Hawoldar jette un regard critique sur les premiers mois de l’Alliance du Changement au pouvoir, analysant les promesses non tenues, les réformes et les nominations controversées. Dans cet entretien, l’avocat questionne leur impact réel sur le paysage politique mauricien. 

Dans moins de deux mois, cela fera un an depuis l’avènement de l’Alliance du Changement. Quel bilan en tirez-vous ? 
Moins d’un an aura suffi pour bouleverser le paysage politique et juridique de notre République. Les premiers actes du nouveau pouvoir se sont traduits par une pluie de réformes et de nominations. Dans les directions parapubliques comme dans nos représentations diplomatiques, de nouveaux visages ont été propulsés, des ambassadeurs désignés, des conseillers installés, tandis que d’autres ont été écartés sans ménagement. Sur le plan législatif, des textes majeurs se succèdent à un rythme effréné : Senior Counsel and Attorney Act, Bail Amendment Bill, Finance Bill, Legal Aid and Legal Assistance Bill, Criminal Amendment Bill. Et à cela s’ajoute une décision qui frappe de plein fouet le cœur de la nation : le report de l’âge de la retraite. Ces mesures traduisent une volonté ferme de centralisation, de contrôle et d’efficacité. Mais derrière l’apparence d’ordre et de rigueur, une question demeure : cette main de fer renforcera-t-elle la solidité du pays, ou enfermera-t-elle la démocratie dans une cage dorée ?

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Ce qui est indéniable, c’est que l’Alliance du Changement a hérité d’un pays meurtri, mis à genoux par les fautes accumulées. Les caisses sont vides, la confiance s’est effritée, et l’économie ploie sous les erreurs passées. Mais la solution n’est pas de frapper aveuglément. La retraite, notamment, ne devait pas être touchée. Dans un pays où la majorité est vieillissante, nos anciens sont les colonnes qui soutiennent la maison mauricienne. Les contraindre à attendre cinq ans de plus est une injustice, un sacrifice qui nie leur contribution et leur fatigue. La question n’est plus seulement celle des lois ou des nominations : elle est celle de la justice, du respect et de la dignité. Et comme toujours, le temps sera juge. Car les réformes peuvent être de pierre ou de sable : solides ou vouées à s’écrouler dès la première tempête.

L’Alliance du Changement avait promis un certains nombre de réformes. Presque une année plus tard, qu’en est-il ?
Comme souvent en politique, l’éclat des promesses se heurte à la dureté du réel. L’Alliance du Changement avait promis un nouvel élan : restaurer l’ordre, donner du souffle à l’économie, rendre à chaque Mauricien une vie digne et un pouvoir d’achat décent. Mais aujourd’hui, les visages des files d’attente devant la FCC disent une autre vérité : celle d’une population encore meurtrie, encore frustrée. Ces queues interminables ne sont pas seulement des files administratives, elles sont la matérialisation d’une désillusion.

Bien sûr, ce serait mensonge de dire que rien n’a été fait. Certaines réformes sont réelles, certains pas concrets ont été franchis. Mais il est indéniable qu’un gouffre subsiste entre les discours flamboyants et les résultats palpables. Les ambitions étaient peut-être démesurées et aujourd’hui, l’écart se voit au grand jour. Gouverner, ce n’est pas seulement lancer des slogans ni multiplier les symboles. Gouverner, c’est transformer les promesses en pain, en emploi, en sécurité, en avenir. C’est porter la charge de la confiance donnée par le peuple et ne pas la laisser se dissoudre dans la rhétorique. La véritable épreuve de cette alliance commence maintenant : démontrer que derrière les mots, il y a la volonté et la capacité d’agir, vraiment, pour le bien du peuple.

La réforme de la pension de vieillesse a-t-elle été un caillou dans la chaussure de l’alliance au pouvoir ?
Il faut rendre justice au nouveau pouvoir : pour la première fois depuis longtemps, le peuple peut s’exprimer sans craindre le bâillon. La rue parle, les voix s’élèvent, et l’État ne les étouffe pas. C’est là une rupture avec l’ancien régime, où le silence forcé était la règle. Le gouvernement a prêté l’oreille aux plus vulnérables, il a tendu la main à ceux qui souffrent le plus. C’est un signe de considération et de volonté de soulager. Mais une vérité s’impose : écouter n’est pas suffisant. Gouverner, c’est aussi informer, préparer, éduquer le peuple sur les choix cruciaux. Prenons l’exemple de la réforme des pensions. Oui, beaucoup reconnaissent qu’elle est inévitable face aux défis démographiques. Mais telle qu’elle a été imposée, elle a frappé comme un coup de tonnerre. Trop vite, sans explication, sans pédagogie. Le peuple s’est retrouvé face à un décret, pas à une décision partagée. Résultat : colère, incompréhension, sentiment d’injustice.

Le droit de s’exprimer est sacré, et il est heureux qu’il soit désormais respecté. Mais la grandeur d’un État se mesure à sa capacité d’écouter pour comprendre, pas seulement pour entendre. Car gouverner, ce n’est pas tendre l’oreille, c’est tendre la main.

Le vieillissement de la population est un défi important  et tellement un politicien a trouvé qu'il faut subventionner des couches pour personnes âgées...
L’idée d’offrir des subsides pour les couches aux personnes âgées mérite qu’on s’y arrête. Elle touche au cœur même de la question de la dignité. Dans une société vieillissante comme la nôtre, ce geste peut représenter un soulagement immense pour des familles écrasées par les charges financières et pour des aînés qui refusent de perdre leur autonomie et leur confort.

Mais un État doit agir avec discernement. La sécurité sociale fournit déjà des couches aux malades et aux personnes en situation de handicap : généraliser cette aide sans distinction risquerait de transformer une noble intention en gouffre budgétaire. Chaque roupie dépensée par la nation doit être pesée à la balance de la justice sociale. Le défi est double : préserver la dignité de nos aînés, mais ne pas faire croire que l’argent public est une source inépuisable. La grandeur n’est pas dans le gaspillage, elle est dans le ciblage intelligent, dans l’équilibre entre compassion et responsabilité. La République ne peut pas tout donner à tous indistinctement, mais elle doit tout faire pour que ceux qui souffrent ne soient jamais abandonnés.

Certaines nominations suscitent des interrogations.  Des observateurs y voient une reconnaissance des services rendus aux différents partis...
Tous les gouvernements, ici comme ailleurs, cherchent à consolider leur pouvoir en plaçant des personnes de confiance aux postes stratégiques. Mais la question essentielle est celle-ci : ces nominations servent-elles la nation, ou seulement le parti ? Le cas récent de la Financial Crimes Commission en est l’illustration frappante. Des personnes compétentes, choisies pour leur expérience et leur sincérité, ont préféré se retirer dès que leur nomination a suscité la moindre polémique. Voilà un acte de responsabilité rare, presque noble, qui montre que la fidélité à l’institution doit toujours passer avant l’orgueil personnel. Et pourtant, le soupçon plane. Car trop souvent, le peuple voit revenir sur le devant de la scène d’anciennes figures usées, plus connues pour leurs fidélités politiques que pour leurs mérites. Alors la confiance chancelle et l’idée s’enracine que l’État distribue les postes comme des récompenses à ses alliés plutôt que comme des charges confiées aux meilleurs fils et filles de la patrie.

Si l’Alliance du Changement veut tenir sa promesse de renouveau, elle doit briser ce cycle. Les nominations doivent se faire sur le mérite, sur la compétence, sur l’honnêteté. Car sans cela, la République ne sera jamais plus qu’un échiquier où les pièces changent de couleur sans que la partie change de nature.

À quand la mise sur pied de l’Appointments Committee promis ? Qui sera chargé des nominations et selon quels critères ? Certains s’interrogent sur le risque de voir ces nominations influencer l’équilibre du jeu politique.

Les récentes nominations ont réveillé de vieilles ombres. Oui, certains visages connus, parfois contestés, refont surface. Et la question se pose avec insistance : est-ce la compétence qu’on recherche, ou bien la fidélité qu’on récompense ? Car lorsque l’on voit revenir sur le devant de la scène ceux que l’histoire avait relégués, il n’est pas interdit de penser que l’on rejoue le vieux théâtre des « services rendus », où l’expérience devient prétexte et la loyauté prime sur le mérite. Mais un peuple n’a pas besoin de fidélités partisanes. Il a besoin d’hommes et de femmes capables, honnêtes, sincères — des bâtisseurs, non des débiteurs d’un passé politique. Le risque est immense : que l’institution perde sa crédibilité, que la population croie que le mérite est secondaire, que l’on entretienne l’idée que l’État appartient aux initiés. Or, un État digne de ce nom ne se fonde pas sur la reconnaissance des faveurs, mais sur le choix des meilleurs. L’Alliance du Changement n’aura de sens que si elle brise cette mécanique infernale et ose placer la compétence avant l’appartenance.

En tant qu’avocat de carrière, que pensez-vous du fait que Paul Bérenger siège au Cabinet sans être ministre, ni Mentor, et sans portefeuille officiel ?
Il est de ceux dont l’expérience ne peut être balayée d’un revers de main. Paul Bérenger, aujourd’hui, n’est pas un simple figurant du pouvoir : il en est l’un des moteurs silencieux. Dans l’ombre, il assiste le Premier ministre, traite des dossiers lourds, prend la relève en son absence. Sa fonction n’a pas le nom de « ministre », mais sa voix pèse comme celle d’un gouvernant. Comparons-le à l’ancien mentor, dont l’inaction fut un désert. Ici, au contraire, l’expérience d’un homme se met au service de la nation. Et l’on se rend compte que, dans les arcanes du pouvoir, les titres importent moins que l’influence réelle. Ce que montre Bérenger aujourd’hui, c’est qu’on peut continuer à servir son pays sans occuper le fauteuil ministériel. Il incarne, qu’on l’aime ou qu’on le conteste, une forme de responsabilité et de continuité. Dans cette République fragile, où la mémoire politique est souvent courte, cette continuité est un rempart contre les errements. Mais là encore, l’exigence demeure : servir le peuple, et non le pouvoir.

Parlons de la police. Certains de vos confrères et vous plaidez pour la suspension de l’accusation provisoire jusqu’à ce qu’une enquête approfondie ait été menée et que des preuves solides soient réunies. Pourriez-vous nous en dire plus ? 
Il est une pratique qui ronge l’État de droit : celle de l’accusation provisoire. En principe, nul ne devrait comparaître devant un tribunal sans qu’il n’existe de preuves claires, d’éléments solides. Mais trop souvent, on inverse la logique : on accuse d’abord, on cherche ensuite. Cette méthode crée une injustice profonde. Le citoyen devient « prévenu » sans fondement solide, marqué au fer rouge par une accusation qui peut traîner des mois, des années. Pendant ce temps, sa vie est suspendue : réputation détruite, carrière brisée, famille humiliée. La présomption d’innocence, joyau de notre Constitution, devient une illusion. Et pourtant, le combat contre le crime ne s’oppose pas à la justice : il en dépend. Car une enquête mal préparée, une accusation hâtive, c’est une arme qui se retourne contre l’État lui-même. Nous, avocats et citoyens, n’exigeons pas l’impossible. Nous demandons que la police enquête sérieusement avant de poser une accusation. Non pour protéger les coupables, mais pour respecter les innocents. La justice ne gagne rien à la précipitation. Elle perd tout lorsqu’elle oublie que son premier devoir est la vérité.

Les avocats plaident pour des réformes en profondeur, dénonçant certains travers qui, selon eux, nuisent au bon fonctionnement de la justice…
On demande souvent aux juristes : quelle réforme faudrait-il adopter ? Mais la vérité, c’est que les réformes ne valent que si elles sont portées par l’unité de la profession. Imposer un changement sans consensus entre avocats, c’est risquer de construire un édifice sur des fondations fissurées. La loi, pour être respectée, doit être acceptée par ceux qui la servent au quotidien. Elle doit être le fruit d’une réflexion commune, non l’instrument d’une volonté isolée. Maurice est aujourd’hui à la croisée des chemins : moderniser son droit, renforcer ses institutions, ou sombrer dans la fragmentation. Le rôle des avocats est d’être plus que des praticiens : ils doivent être des gardiens du pacte social. Ce n’est donc pas seulement une question technique, mais une question de confiance, de légitimité, de patriotisme. Sans cette union, aucune réforme ne peut s’ancrer durablement dans la conscience collective.

Venons-en au Reward Money…
Il fut un temps où l’on croyait qu’il fallait récompenser financièrement la délation pour mieux combattre le crime. Mais la République ne peut pas s’abaisser à transformer la justice en marché, où l’information devient une monnaie et où la vérité se troque comme une marchandise. Abolir le Reward Money n’est pas une perte, c’est une purification. Car un État digne ne doit pas acheter les consciences : il doit susciter le courage, la probité, le patriotisme. La dénonciation d’un crime ne doit pas être motivée par l’appât du gain, mais par le sens du devoir. Oui, la justice a besoin d’informateurs. Mais elle ne peut s’appuyer sur des récompenses qui corrompent le geste initial. La vérité, lorsqu’elle est dite pour de l’argent, n’est plus qu’un simulacre fragile. Lorsqu’elle est dite au nom de la République, elle devient indestructible. Ainsi, en abolissant ce mécanisme, nous ne faisons pas un pas en arrière : nous restaurons la dignité de la justice et nous rappelons que servir le bien commun est une récompense en soi.

Sans les whistleblowers, la police ne pourrait-elle pas démanteler les réseaux de trafic de drogue ? 
On parle souvent des whistleblowers, ces citoyens qui révèlent l’invisible, ces voix discrètes qui murmurent à la justice les secrets du crime. Ils sont utiles, parfois essentiels. Mais ne croyons pas que la police ne peut fonctionner sans eux. Un informateur est un point de départ, jamais une fin en soi. L’action policière ne peut pas se contenter d’indications : elle doit enquêter, recouper, traquer les preuves, coopérer au-delà des frontières. Sans cela, une dénonciation reste un souffle dans le vent, incapable de tenir debout devant un tribunal.

Et soyons honnêtes : à Maurice, tout le monde sait, d’une manière ou d’une autre, où se trouvent les plaies, qui sont les acteurs, où sont les zones d’ombre. Le vrai problème n’est pas l’information, mais la volonté. La volonté de transformer ces confidences en preuves, ces murmures en condamnations, ces suspicions en vérités établies. La République ne manque pas de voix. Elle manque parfois de courage pour écouter et agir.

L’enquête sur l’affaire Reward Money a débouché sur l’arrestation de l’ex-Commissaire de police et des certains membres de la Special Striking Team, mais tous affirment que la procédure a été strictement respectée...
Il est des dossiers dont on parle dans les rues, dans les cafés, dans les foyers, et que l’on voudrait commenter avec passion. Mais la sagesse commande le silence : ces affaires sont encore devant les instances compétentes, et la loi, dans sa rigueur, poursuit son cours. Il faut se souvenir que la justice n’est pas un théâtre où l’on commente chaque scène, elle est une institution sévère, qui ne supporte ni l’ingérence ni le jugement prématuré. Les citoyens peuvent observer, s’indigner, espérer — mais nul ne doit oublier que, tant qu’un verdict n’est pas prononcé, l’accusé demeure innocent, et l’affaire demeure ouverte. La République se tient droite lorsqu’elle respecte ce principe. Car céder aux pressions, commenter les procès en cours, c’est miner l’autorité même de la justice. Ce qui doit prévaloir, c’est la loi — non pas nos colères ou notre impatience, mais cette sévérité impartiale qui protège le peuple en protégeant d’abord la vérité.

Le blanchiment d’argent serait-il devenu monnaie courante à Maurice, à en juger par les arrestations et les saisies de voitures vintage valant une fortune ?
Aujourd’hui, nul ne peut l’ignorer : le blanchiment d’argent est devenu l’une des grandes plaies de Maurice. Les saisies spectaculaires, les voitures de collection, les villas luxueuses confisquées par la justice ne sont pas des anecdotes : elles révèlent l’ampleur d’un phénomène qui s’est infiltré dans l’immobilier, le commerce de luxe, les importations, et jusque dans les veines discrètes de la finance. Mais dire que le blanchiment est devenu la norme serait une injustice envers notre pays. Ce que l’on constate, surtout, c’est que les enquêtes sont plus visibles, les mécanismes de surveillance plus vigoureux. Les projecteurs se braquent désormais sur ce qui, hier encore, se faisait dans l’ombre.

Le défi, cependant, reste immense. Il ne suffit pas de frapper les figures visibles — celles qui roulent en voitures rutilantes et s’exposent dans le faste. Il faut atteindre les sommets des filières, les cerveaux cachés, les réseaux transnationaux. Car sinon, chaque saisie n’est qu’une victoire éphémère, vite contournée par des organisations souples, mouvantes, insaisissables. Maurice joue ici son image internationale. Notre réputation de centre financier est à la croisée des chemins : ou bien nous prouvons que la justice peut frapper jusqu’au sommet, ou bien nous laissons croire que nos lois sont des filets percés. L’avenir du pays en dépend, car la confiance internationale est une monnaie plus précieuse que l’or.

 

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