Face à un pouvoir d’achat en baisse, la précarité alimentaire prend de l’ampleur à Maurice. Selon une série de données récemment publiées, de nombreuses familles se voient contraintes de n’acheter que l’essentiel tandis que des milliers de foyers vivent désormais au jour le jour, dans un mode de survie alimentaire. Une situation qui appelle à des réponses urgentes.
La réalité des chiffres

60% des Mauriciens ont réduit leur consommation alimentaire
Selon une étude d’Analysis Kantar dévoilée cette semaine, six Mauriciens sur dix ont diminué leur consommation alimentaire cette année. Un phénomène qui traverse toutes les couches sociales, mais qui affecte de manière plus aiguë les foyers les plus vulnérables. Cette baisse ne résulte pas d’un changement volontaire de comportement, mais bien d’une contrainte économique. En cause : la hausse des prix, la perte du pouvoir d’achat et l’inflation alimentaire, qui expliquent à elles seules près de 80 % des décisions de réduction. Les ménages les plus touchés n’ont souvent d’autre choix que de supprimer des repas, réduire les quantités ou se tourner vers des produits moins nutritifs, faute de moyens.
22 000 personnes en détresse alimentaire dans le Sud du pays
Sur environ 260 000 habitants répartis dans trois districts du Sud, quelque 22 000 personnes vivent en situation d’insécurité alimentaire. Ce sont principalement des familles nombreuses, des mères isolées ou encore des foyers qui prennent en charge des personnes âgées. Ces données proviennent d’une étude menée par Analysis Kantar entre juin et octobre, et présentées par FoodWise fin octobre. Face à cette précarité croissante, les habitudes alimentaires évoluent vers un mode de vie au jour le jour, dit « tire-ration ». L’achat se concentre sur des produits de base - riz et grains en conserve - au détriment des protéines, fruits et légumes frais.
1 habitant sur 6 n’a pas les moyens de manger sainement
15,2 % de la population mauricienne, soit environ 200 000 Mauriciens, ne dispose pas des ressources nécessaires pour accéder à une alimentation saine, selon le rapport « The State of Food Security and Nutrition in the World » (SOFI) 2025, publié fin juillet. Autre donnée : selon le Food and Nutrition Analysis Report*, seulement 26,9 % des ménages mauriciens, soit 1 Mauricien sur 4, suivent une alimentation équilibrée.
*Rapport publié par Statistics Mauritius en juillet dernier.

Le constat…
…des gérants des grandes surfaces Les consommateurs achètent l’essentiel
Le comportement des consommateurs a nettement changé ces derniers mois, observe Raakesh Bhageerutty, General Manager de Simla Way. « C’est un peu la tendance actuelle. Les gens achètent avec modération, uniquement ce dont ils ont besoin. Le pouvoir d’achat a diminué, et cela se reflète directement dans la composition du panier de consommation, qui n’est plus le même qu’avant », constate-t-il.
Les subsides sur certains produits de base atténuent l’impact, mais la baisse des allocations telles que la CSG Income Allowance se fait ressentir. « En dehors des produits réglementés, de nombreux prix continuent de grimper, ce qui pèse sur les familles », ajoute-t-il. Le mois de novembre est jugé morose par les acteurs de la distribution. « L’activité est ralentie. Mais nous anticipons une reprise avec l’approche de décembre, une période traditionnellement plus dynamique grâce aux bonus et aux promotions de fin d’année », espère-t-il.
Uttam Sumaroo, secrétaire général de Masters Express, constate, pour sa part, une baisse de plus de 40 % sur les achats alimentaires. Selon lui, les consommateurs se recentrent désormais sur l’essentiel, privilégiant uniquement les produits de base ou ceux proposés en promotion ou à bas prix. « Le pouvoir d’achat est clairement en baisse. C’est la vraie raison. Et qui dit moins de pouvoir d’achat, dit moins de clients, donc forcément moins de ventes », explique-t-il. Uttam Sumaroo note aussi un changement dans les habitudes de consommation. « Par exemple, les consommateurs n’hésitent plus à se tourner vers des marques alternatives, plus abordables, dès qu’un produit qu’ils achètent habituellement devient trop cher », souligne-t-il.
De son côté, Vicky Hanoomanjee, CEO de SaveMax, confirme une légère baisse des ventes, mais nuance l’impact sur les produits de base. « Ce n’est pas au niveau des produits essentiels que ça baisse, car ils restent subventionnés ou sous contrôle des prix. Ce sont surtout d’autres catégories alimentaires qui sont concernées, notamment les produits dits « de luxe » comme le chocolat ou certains articles plus haut de gamme », explique-t-il. Selon lui, les consommateurs font toujours leurs courses essentielles, mais arbitrent davantage sur les produits secondaires : « On observe une diminution des ventes sur les boissons gazeuses, par exemple, mais la demande pour l’eau reste soutenue. »
…des travailleurs sociaux Quand un seul repas par jour devient la norme
Sandra Casimir et Laurie Anne Modeste, travailleuses sociales au Kolektif Rivier Nwar, tirent la sonnette d’alarme : de plus en plus de familles sombrent dans une précarité alimentaire alarmante. « Certaines familles ne consomment qu’un seul repas par jour, soit uniquement le dîner. Des rares fois, le matin, il leur arrive d’acheter du pain, mais sans rien pour le garnir », expliquent-elles. La pause thé de l’après-midi, autrefois une habitude, disparaît peu à peu dans certains foyers. Dans d’autres familles, l’on se contente d’une tasse de thé nature, sans lait ni sucre.
« Si certaines familles dans la classe moyenne peinent à joindre les deux bouts, alors imaginez ce qu’il en est pour les familles plus modestes. D’autant plus que les petites boutiques de quartier n’accordent plus facilement de crédit », alertent-elles.
Le nœud du problème, selon Sandra Casimir et Laurie Anne Modeste, est la baisse du pouvoir d’achat. Bien que certains produits de base comme l’huile ou le lait soient subventionnés, ils restent hors de portée pour les ménages à faibles revenus. « Beaucoup de familles ne peuvent plus remplir leur caddie à la fin du mois. Même les fruits et légumes, pourtant essentiels à une alimentation saine, sont devenus des produits de luxe. Une betterave coûte Rs 70, un kiwi Rs 40. Comment une famille avec plusieurs enfants peut-elle suivre les recommandations nutritionnelles ? Même les conserves sont désormais trop chères », déplorent-elles.
Sandra Casimir et Laurie Anne Modeste s’inquiètent également d’une recrudescence de cas d’enfants sous-alimentés. Beaucoup ne mangent pas à leur faim, soulignent-elles. Ce qui pousse d’ailleurs plusieurs familles à envoyer leurs enfants passer la journée dans les ONG en cette période de vacances scolaires. Ces enfants peuvent ainsi obtenir des jus, des biscuits ou encore des fruits.
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