Depuis la Covid-19, Ramnarain Bidassee, 80 ans, habitant de Fort Aubervilliers, s’est pris de passion pour les objets anciens dénichés au marché aux Puces de Paris. Deux fois par an, il les transporte dans deux valises jusqu’à Maurice pour les exposer dans sa maison familiale à Goodlands. Rencontre avec un personnage hors des sorties battues.

À l’ère des appareils électroménagers des plus sophistiqués et d’autres « bidules » de communication connectés, le contenu de la chambre de Ramnarain Bidassee à Goodlands appartient à un autre temps. Rencontré chez lui, ce dernier a choisi d’endosser un costume à mi-chemin entre le milieu du cirque et celui du personnel de l’Élysée.
« En fait, je voulais un costume comme Charlie Chaplin qui est mon héros. Mais, à Paris où j’en ai vu un, c’était trop cher. J’ai alors acheté une sorte de redingote que j’ai fait retoucher par un tailleur mauricien et à laquelle j’ai rajouté d’autres détails afin que l’ensemble ressemble un peu au personnel du palais de l’Élysée », confie-t-il.
« Fantasque »
Mais la description de ce personnage un tantinet « fantasque » serait incomplète sans mentionner sa passion pour des objets « anachroniques ». Il les déniche au Marché des Puces de Paris, à Saint-Ouen, le plus grand marché de ce type au monde.
L’endroit est tout indiqué pour les collectionneurs et autres chiffonniers et brocanteurs à la recherche d’objets anciens. C’est un véritable musée à ciel ouvert où se côtoient des objets d’antiquités authentiques et d’autres de provenance douteuse. Mais, c’est ici, chaque week-end, que Ramnarain Bidassee trouve son bonheur avec seulement quelques euros en poche. « Je ne dépense jamais une fortune et je négocie toujours. Lorsque le vendeur me voit partir, il finit souvent par me rappeler pour qu’on trouve le juste prix », confie-t-il.
Dans le Sentier à Paris
L’avant-dernier frère d’une fratrie de six enfants d’une famille de Goodlands, Ramnarain Bidassee, muni d’un visa d’étudiant part en France à l’âge de 26 ans afin de fuir le chômage ambiant des années 70 de Maurice. Avec l’aide d’un autre jeune Mauricien déjà sur place, il parvient à se faire embaucher dans un atelier de confection dans le Sentier à Paris. « J’y ai appris les rudiments de la couture, mais le salaire ne suffisait pas, aussi j’ai trouvé un autre job à temps partiel dans la soirée comme nettoyeur de bureau. J’ai pu m’en sortir », raconte-t-il.
Bilingue comme d’autres jeunes Mauriciens, il fait valoir ses talents lorsque son patron doit converser avec des clients anglophones. Grâce à un gros contrat que ce dernier décroche auprès du ministère des Finances, Ramnarain Bidassee quitte le travail au Sentier et devient salarié.
Il relate : « J’ai pu renouveler ma carte de séjour jusqu’à régulariser ma situation et obtenir la nationalité française en 1979 ». Deux années plus tard et après un divorce, un deuxième mariage et la naissance de trois enfants, il part à la retraite. « Même si du point de vue matériel, je n’avais rien à craindre, je ne voulais pas vivre seul. Ma femme exerce toujours comme garde-malade et elle s’y est fait une petite réputation dans le HLM ou on habite à Aubervilliers », ajoute notre interlocuteur.
En 2020, alors que la France est confinée comme le reste du monde, Ramnarain Bidassee découvre à la télévision une émission consacrée aux musées de son pays natal. « Je connaissais déjà le musée de Port-Louis et celui de Mahébourg et voilà que je tombe sur celui de Guruduth Chuttoo qui est consacré aux objets anciens. Ça fait tilt dans ma tête et c’est à partir de là que je commence petit à petit à acheter des pièces vintage françaises au marché aux Puces de Clignancourt. J’avais un peu d’argent de côté, il fallait tout juste trouver des objets rares », se souvient-il encore.

Rolex Daytona
L’endroit reflète parfaitement ses ambitions. On y trouve de tout : des objets insolites sans grande valeur, comme des verres en acier, des figurines en bois ou des pipes chinoises. Mais aussi des pièces plus rares, tels un chandelier juif à sept branches ou une montre Rolex Daytona, dont Ramnarain Bidassee ignore le prix.
« Lorsque je vais aux Puces, je n’apporte pas beaucoup d’argent. Pas plus de 20 euros. Il y a bien une autre place au marché où on vend de la brocante, mais c’est plus cher et très règlementé. Ce sont des objets destinés à la revente, moi c’est pour collectionner », indique-t-il.
Il en a acheté tellement que la place a commencé à manquer chez lui. « Ma femme m’a même fait remarquer qu’avec ces objets je prends ses espaces à elle », dit-il, alors que son garçon lui demande ce qu’il pense faire d’une telle quantité d’objets.
Mais lui ne compte pas s’arrêter. « J’ai encore deux valises remplies d’objets achetés aux Puces que je compte rapporter lors de mon prochain séjour sur l’île », indique-t-il, tout en réfléchissant sur l’avenir de sa collection. Qui va s’en occuper après lui, d’autant que l’immense majorité des objets sont en métalliques et doivent être entretenus et préservés, se demande-t-il. « J’y ai pensé. L’époux d’une de mes nièces m’a assuré qu’il va prendre la relève pour la préservation de ces objets », répond-il.
Une chose est sûre : Ramnarain Bidassee ne risque pas de mettre fin de sitôt à sa passion pour ces objets du passé sans trop se soucier des haussements de sourcil au sein de sa famille à Fort Aubervilliers.
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