Le ministre de l’Énergie et des Services publics revient sur la situation de l’eau et de l’électricité. Des mesures concrètes sont prises pour éviter le pire dans l’immédiat, dit Patrick Assirvaden, mais aussi pour assurer une transition énergétique vers les énergies renouvelables.
Quelle est la situation au niveau de la fourniture d'électricité après les craintes du mois dernier ?
J’ai hérité d’un secteur énergétique dans une situation particulièrement délicate. En près de 10 ans, pratiquement rien n’a été fait pour renforcer nos capacités de production. Le dernier grand projet énergétique reste celui de Saint-Louis. Aujourd’hui, la réalité est que la majorité de nos moteurs, qu’ils appartiennent au Central Electricity Board (CEB) ou aux Independent Power Producers (IPP), ont plus de 30 ans. C’est ce vieillissement du parc de production qui explique nos difficultés dès qu’un moteur tombe en panne. Pour vous donner un exemple concret, un moteur d’un IPP est à l’arrêt depuis près de 10 mois.
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Lors du lancement de notre campagne énergétique, le mercredi 15 octobre, nous avons connu un double incident : un moteur d’un IPP et celui de Fort George sont tombés en panne simultanément, nous obligeant à passer en alerte jaune. Heureusement, les équipes du CEB ont pu réparer rapidement le moteur de Fort George.
Je tiens à souligner que sans le soutien exemplaire de la population et du secteur privé, la situation aurait été bien plus critique. La population a immédiatement répondu à l’appel à la sobriété énergétique, et dès l’après-midi, nos relevés ont montré une nette amélioration sur le réseau. Le secteur hôtelier, lui aussi, a apporté sa contribution, ce qui nous a permis de récupérer environ 20 mégawatts. À ce jour, la situation est revenue à la normale. Toutefois, notre campagne de sensibilisation se poursuit, car il est essentiel que les bons gestes de sobriété énergétique deviennent une habitude nationale.
Le risque de black-out demeure-t-il réelle ? si oui qu'est-ce qui est fait pour l'éviter ?
Je suis quelqu’un de pragmatique. Lorsque j’étais dans l’opposition, j’ai à plusieurs reprises interpellé mon prédécesseur au sujet de nos réserves énergétiques. Mais il a toujours adopté une attitude de laisser-aller, se voulant rassurant en affirmant que tout allait bien. Malheureusement, la situation que nous connaissons aujourd’hui confirme les doutes que j’avais alors exprimés.
Pour répondre à votre question, je préfère éviter de parler de « black-out ». Ce terme dramatise inutilement les choses. Je parle plutôt de la possibilité de délestage, c’est-à-dire des coupures temporaires et ciblées, si la demande dépasse nos capacités de production.
C’est justement pour prévenir ce genre de scénario que nous avons mis en place un système d’alerte énergétique, calqué sur celui des alertes cycloniques. Quand le niveau est vert, tout va bien. Lorsqu’il passe au jaune, cela signifie qu’il faut commencer à prendre des précautions et réduire la consommation. Si la population ne réagit pas suffisamment et que la situation se détériore, on atteint alors le rouge, et c’est à ce moment-là qu’un délestage devient nécessaire — autrement dit, couper l’alimentation dans certaines zones pour pouvoir maintenir l’approvisionnement ailleurs.
Notre objectif, à travers cette démarche, est justement d’éviter d’en arriver là. La clé, c’est la vigilance et la responsabilité collective. Si chacun fait un effort de sobriété énergétique, nous pouvons préserver la stabilité du réseau et garantir un approvisionnement continu.
Il était question un temps de centrales flottantes et de centrales mobiles. Est-ce toujours d'actualité ? Si oui, les barges flottantes ne sont-elles pas trop coûteuses et trop dangereuses pour l'environnement ?
En tant que ministre, j’ai pris le temps d’étudier avec pragmatisme toutes les options envisageables pour renforcer la sécurité énergétique du pays. Deux pistes avaient initialement émergé : l’installation d’une barge flottante et des centrales mobiles que nous aurions pu raccorder à nos machines existantes.
S’agissant de la barge flottante, je précise que cette option avait déjà été évoquée par mon prédécesseur. Nous avons alors décidé d’explorer cette piste, ce qui nous a conduits à lancer un exercice d’appel d’offres. Nous avons également lancé un exercice d’appel d’offres pour les centrales mobiles, mais dans les deux cas, les procédures se sont révélées non concluantes.
Aujourd’hui, ma vision est celle d’un bouquet énergétique équilibré et moderne, fondé sur la diversification et la transition vers les énergies propres.
Quels projets y a-t-il dans ce domaine ?
Le projet de panneaux solaires flottants à Tamarind Falls, réalisé en partenariat avec la National Thermal Power Corporation Ltd (Inde), prévoit une production de 17,5 MW d’électricité ainsi qu’un système de stockage (BESS) de 12 MW, dans le cadre d’un accord gouvernement-à-gouvernement. Parallèlement, 10 projets solaires au sol de 10 MW chacun, tous équipés de batteries, fourniront une capacité totale de 100 MW. Trois autres projets solaires majeurs, d’une capacité de 40 MW chacun et eux aussi dotés de systèmes de stockage, ajouteront 120 MW supplémentaires au réseau.
Un programme d’agrisolaire hybride, combinant activités agricoles et production d’énergie solaire, viendra contribuer à hauteur de 40 MW. Le CEB révise actuellement son scheme afin de permettre des installations allant jusqu’à 4 MW dans le secteur agricole, contre une limite de 500 kW actuellement, favorisant ainsi la production énergétique tout en renforçant la sécurité alimentaire.
Par ailleurs, le projet éolien de Plaine-des-Roches, longtemps resté en sommeil, sera relancé avec un nouveau parc de 15 à 20 MW équipé de batteries BESS, marquant un symbole de renouveau et d’innovation après 10 années d’immobilisme. En matière de stockage d’énergie, 20 MW de batteries seront intégrés au réseau d’ici juin 2026, et tout nouveau projet solaire devra inclure un système de stockage afin de garantir la stabilité du réseau. Le CEB prépare également l’introduction d’une tarification différenciée (time-of-use tariff) destinée notamment aux grands consommateurs pour mieux gérer la demande.
Enfin, dans le cadre du National Biomass Framework, le gouvernement accompagne les producteurs indépendants, comme Terra, Alteo et Omnicane, dans la transition progressive du charbon vers des sources locales renouvelables, consolidant ainsi la diversification énergétique du pays.
Et je tiens à ajouter un point essentiel : nous parions aussi sur le GNL (Gaz Naturel Liquéfié), une filière qui aurait dû être développée depuis longtemps. Le rapport de faisabilité est aujourd’hui en préparation, et plusieurs pays amis ont déjà manifesté leur intérêt pour accompagner Maurice sur ce projet stratégique. Le GNL jouera un rôle d’énergie de transition, garantissant la stabilité de notre réseau tout en réduisant nos émissions.
Notre ambition est claire : tourner la page du retard accumulé, sortir du charbon et construire un mix énergétique résilient, propre et tourné vers l’avenir.
En cette approche de l'été, quelle est la situation de l'eau ?
Je suis quelqu’un de très pragmatique et ma stratégie repose toujours sur des approches réalistes. Concernant la situation de l’eau, nous la gérons quotidiennement, en adoptant une approche basée sur la diversification des sources — forage, CPF et autres — ce qui nous a permis de traverser cette période sans crise majeure. Cela dit, je ne crie pas victoire : la gestion de l’eau reste un défi permanent.
Depuis mon arrivée, mon ministère a décidé d’adopter une nouvelle approche, notamment plus régionalisée, afin de mieux répondre aux spécificités locales. Certaines régions rencontrent des difficultés particulières et doivent être traitées séparément. Par exemple, dans le Nord, nous supervisons de manière très rigoureuse l’irrigation de la canne à sucre, afin d’optimiser l’utilisation de l’eau et de garantir l’approvisionnement de la population.
Cette stratégie vise à combiner efficacité, prudence et adaptation locale, pour assurer une gestion durable de nos ressources hydriques.
Quels sont les trois principaux objectifs que vous vous êtes fixés pour votre mandat au ministère ?
Pour mon mandat au ministère, j’ai décidé d’adopter une approche multidimensionnelle. Une des premières décisions a donc été de cesser le gaspillage et l’opacité de l’ancien régime et de mettre fin aux largesses et à la mauvaise gestion des fonds publics. Chaque sous-dépense est désormais scrutinée minutieusement. Par exemple, les overdrafts contractés par la CWA sont examinés de très près. Fini les pratiques d’antan, où tout se faisait sans transparence. Chaque décision financière doit aujourd’hui être justifiée et efficace. Une autre priorité consistait à garantir l’accès à l’eau et à l’électricité pour tous les Mauriciens car il est essentiel que tous les citoyens, quelle que soit leur classe sociale, aient un accès équitable à l’eau et à l’électricité. Je prends personnellement soin de veiller à ce que chaque Mauricien reçoive justice dans ces secteurs. Pour illustrer cela, j’avais été mis au courant qu’une vingtaine de familles à Bambous étaient privées d’eau et d’électricité depuis plus de 10 ans. J’ai exigé que le CEB et la CWA interviennent rapidement, et les travaux ont été terminés en deux mois, permettant à ces familles de retrouver dignité et confort.
Il me faut aussi assurer la sécurité énergétique du pays. Il m’est inconcevable que le pays souffre de pénuries ou de délestages, car les répercussions pour notre économie et notre population sont énormes. C’est pourquoi nous mettons en place des projets durables, diversifiés et innovants pour garantir un approvisionnement stable et résilient
Face à la hausse des coûts énergétiques mondiaux, comment protégez-vous les consommateurs mauriciens contre l'augmentation des factures d'électricité ?
Nous sommes conscients des coûts énergétiques mondiaux, qui ne sont pas sous notre contrôle à Maurice. Cependant, comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, ma stratégie repose sur la création d’un bouquet énergétique diversifié, fondé sur plusieurs piliers : l’éolien, le solaire, les batteries de stockage, la biomasse, ainsi que l’agri-solaire.
Pouvez-vous nous parler des projets en cours pour moderniser les infrastructures d'approvisionnement en eau potable ? Quelles initiatives sont en place pour réduire les pertes d'eau dues aux fuites dans le réseau de distribution ?
Notre stratégie pour moderniser les infrastructures d’approvisionnement en eau potable ne se limite pas aux seuls grands projets, même si ceux-ci restent bien sûr essentiels. Prenons l’exemple du barrage de Rivière-des-Anguilles : comme je l’ai déjà indiqué, un appel d’offres international sera lancé, et j’ai insisté pour que cela se fasse à la fin du mois de novembre, afin que les travaux puissent démarrer vers août 2026.
Mais je mise également sur des solutions plus rapprochées du consommateur, telles que les services-réservoirs, dont l’objectif est de rapprocher l’eau des populations, réduire les pertes sur le réseau et améliorer la résilience locale. Ces installations permettent de capter et distribuer l’eau de manière plus efficace, tout en limitant la dépendance aux grands réservoirs distants.
Parallèlement, le remplacement des conduites défectueuses se poursuit. Grâce à l’appui de l’Inde, le gouvernement bénéficie d’une ligne de crédit d’environ Rs 2,9 milliards pour remplacer environ 114 km de tuyaux défectueux dans 13 localités. Les procédures d’appel d’offres ont été engagées en toute transparence, et l’attribution du contrat est prévue pour mai/juin 2026.
Je dois également préciser que nous comptons miser sur la construction de mini-barrages, qui nous permettront de récupérer les eaux perdues et ainsi d’améliorer notre capacité de stockage.
Parlons des finances du CEB, de la CWA et de la WMA : quelle est leur situation réelle et quelles actions sont entreprises pour rétablir une gestion saine ?
Tous ces trois organismes sont dans le rouge, et j’en suis bien conscient. C’est pourquoi, depuis ma prise de fonction, je veille personnellement à ce que chaque dépense soit effectuée dans la transparence et selon un principe de responsabilité. Les projets sont désormais conçus en termes de priorités, avec comme mot-clé la transparence.
La FCC à récemment publié un rapport sur la CWA avec des conclusions alarmantes et des soupçons de corruption. Quelle réponse et actions suite à ce rapport ?
Je l’ai moi-même déclaré à plusieurs occasions au Parlement : j’ai dénoncé le fameux Pipe Replacement Programme mené par l’ancienne direction de la CWA, pour un coût de Rs 700 millions. Je dois préciser que tout le dossier a été référé par la CWA elle-même, et que celle-ci apporte son entière collaboration à la FCC afin de mener à bien cette enquête. Quant aux recommandations formulées par la FCC à l’intention de la CWA, elles seront mises en œuvre dans un délai de six mois.
Comment le ministère collabore-t-il avec le secteur privé pour développer des projets énergétiques durables ?
Notre collaboration avec le secteur privé s’étend à plusieurs niveaux, et pas uniquement dans le domaine des énergies renouvelables. Nous entretenons une bonne coopération avec plusieurs partenaires privés pour le partage et l’utilisation de leurs forages, sans compter qu’ils nous donnent également accès à leurs cours d’eau, où nous installons des containerized pressure filter plants. Dans le domaine énergétique, nous travaillons avec les producteurs indépendants d’électricité afin de les accompagner dans leur transition vers la biomasse. Nous bénéficions aussi du soutien du secteur privé dans le cadre de notre programme de sensibilisation à l’efficacité énergétique. À titre d’exemple, nous avons conclu un accord avec les hôteliers à travers l’Ahrim, ainsi qu’avec Business Mauritius, ce qui nous a permis d’économiser 10 MW lors de la situation difficile que nous avons connue le 15 octobre dernier.
Sur le plan politique, ces derniers jours ont été marqués par des secousses entre le PTr et le MMM. Quelle est maintenant l’état des relations entre les deux partenaires ?
Je dois dire que je ne m’attends pas à ce que nous soyons d’accord sur tout — et c’est bien ainsi. Si nous étions d’accord sur tout, ce serait artificiel. Chacun a sa vision des choses sur certaines questions, chacun son regard, mais au bout du compte, un consensus se dégage toujours, et c’est l’intérêt du pays qui prime. Il y a eu des désaccords, il y en a, et il y en aura encore. C’est tout à fait normal. Ce n’est qu’en Corée du Nord qu’existe la pensée unique — ici, nous en sommes loin. Moi-même, personnellement, il m’arrive de ne pas partager l’avis de certains de mes collègues. Mais j’ai la responsabilité d’exprimer mes points de vue au Cabinet, et je le fais. Une fois la décision collégiale prise, je m’y rallie pleinement. C’est pourquoi je n’ai aucune inquiétude à ce sujet.
Êtes-vous confiant que cette alliance rouge-mauve va durer pendant quatre ans ?
Bien sûr que je suis confiant que cette alliance va durer. Nous le devons à la population. Je suis convaincu que Navin Ramgoolam et Paul Bérenger sont deux dirigeants matures. Lors des dernières secousses, j’ai joué le rôle de pompier en chef du côté du Parti travailliste.
Pour le moment, on semble encore loin des promesses de la campagne électorale. Quelle est votre perception du bilan gouvernemental ?
Nous avons accompli beaucoup de choses, et je peux vous en donner quelques exemples. Le Parlement respire enfin, sans le ‘loud Speaker’. Deuxièmement, nous jouons la carte de la transparence : nous avons publié les rapports sur le scandale des dialyses, sur le Wakashio, sur l’atterrissage du jet privé, tout est rendu public, y compris le rapport sur la prison.
En ce qui concerne la liberté des Mauriciens, ils ont désormais le droit de s’exprimer librement sur les réseaux sociaux et dans les journaux, sans craindre d’être inquiétés par des actions de ‘planting’. Même les proches du gouvernement ne sont pas épargnées par les enquêtes de la police et de la FCC. Ce n’était pas le cas auparavant.
L’argent de la Banque de Maurice et de la MIC est désormais utilisé de manière plus transparente et responsable. Nous savons que, par le passé, les fonds de la MIC ont été dilapidés par milliards, mais il reste encore beaucoup à accomplir. Tout n’est pas encore parfait. Pour ma part, j’aurais souhaité que les avancées soient plus rapides, mais certaines mesures prennent du temps, car des éléments du MSM restent embusqués dans certaines institutions et continuent de freiner le changement.
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