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Me Yuvir Bandhu : «Si la tolérance zéro devient correction physique ou intimidation, c’est un abus»

Me Yuvir Bandhu porte un regard lucide sur le rapport de la National Human Rights Commission (NHRC) concernant les incidents survenus à la prison de haute sécurité de Melrose. Tout en rappelant que les droits de chaque détenu doivent être strictement respectés, il reconnaît que des gardiens profiteraient de leur position vis-à-vis de certains prisonniers à des fins lucratives.

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Le concept de « politique de tolérance zéro » visant à « corriger » des détenus est-il une approche totalement proscrite, ou fait-il malgré tout partie, même officieusement, de la culture de gestion des détenus récalcitrants ?
En théorie, une politique de tolérance zéro vise à dissuader la violence, les troubles et la non-conformité au sein des établissements pénitentiaires. Elle indique que les infractions entraîneront des sanctions rapides et proportionnées en vertu des règles établies dans les prisons. 

Cependant, dans un cadre fondé sur les droits de l’homme et l’État de droit, la « tolérance zéro » doit toujours être exercée dans les limites procédurales et constitutionnelles. Si cette politique se transforme en justification d’une « correction » physique ou d’intimidation, elle cesse d’être une mesure disciplinaire légale et devient un abus institutionnalisé.

Le rapport mentionne que la force était « grossièrement disproportionnée ». Pour un détenu déjà sous contrôle, le fait de lui demander de se déshabiller et de le frapper nu au sol, est-il, à votre avis, constitutif d’un traitement dégradant ou d’une forme de torture au-delà de la peine de prison ?
Oui, selon mon avis juridique, ce traitement constituerait un traitement dégradant et, selon son intensité et son intention, il pourrait être assimilé à de la torture au regard du droit constitutionnel national et du droit international relatif aux droits de l’homme.

Le rapport souligne que deux hauts gradés se sont « effectivement distanciés des opérations ». Faut-il l’interpréter comme un signe qu’ils voulaient à la fois autoriser la « correction » tout en se protégeant de la responsabilité des violences ?
L’observation de la Commission selon laquelle deux officiers supérieurs « se sont effectivement distanciés des opérations » soulève des questions relatives à la responsabilité en matière de supervision et de commandement, plutôt qu’à l’intention. Dans le contexte de l’administration pénitentiaire, les officiers supérieurs chargés de tâches de surveillance restent responsables de veiller à ce que tout recours à la force soit conforme aux normes légales. 

En conséquence, le fait de « prendre ses distances » n’implique pas en soi l’intention d’autoriser la violence ; toutefois, cela peut constituer un manquement à la responsabilité hiérarchique si cela a entraîné une défaillance de la supervision légale à un moment critique.

La NHRC a noté que le déploiement massif était « grossièrement disproportionné ». Dans des circonstances normales, quel niveau d’autorisation doit précéder l’usage d’une telle force pour éviter les représailles ?
Dans des circonstances normales, le déploiement d’unités spécialisées ou armées (comme la SMF ou le GIPM) dans une prison nécessite l’approbation explicite de la chaîne de commandement. Ce n’est qu’après avoir obtenu cette autorisation qu’une unité tactique externe peut intervenir dans un établissement pénitentiaire, et toujours en dernier recours, lorsque les méthodes non violentes et les mesures de confinement internes ont échoué. 

Le seuil d’intervention est élevé et l’autorité habilitée à donner le feu vert doit justifier à la fois la nécessité et la proportionnalité de l’opération.

La combinaison de peur et de corruption sape l’autorité, la sécurité et le contrôle légal, créant un environnement propice à l’émergence d’un pouvoir informel»

Comment expliquez-vous la présence de gardiens corrompus et l’existence d’une « économie souterraine » (téléphones à Rs 150 000) dans cette prison de haute sécurité qu’est Melrose? Cette corruption est-elle la racine qui permet aux « politiques de correction » de s’épanouir ?
Les prisons, en particulier celles à haute sécurité, fonctionnent comme des environnements fermés caractérisés par une surveillance restreinte, un contrôle hiérarchique et un pouvoir discrétionnaire. De tels environnements créent naturellement des opportunités pour des comportements de recherche de rente. 

La corruption devient ainsi une sous-culture économique, une « économie souterraine » parallèle alimentée à la fois par l’offre (les agents à la recherche de revenus) et la demande (les détenus à la recherche de confort ou de communication). En ce sens, oui, la corruption peut être considérée comme une cause profonde et une condition qui favorise les pratiques « correctionnelles » abusives.

Face aux faits d’obstruction et de commandement défaillant, quelles sanctions disciplinaires urgentes et exemplaires doivent être prises pour restaurer la confiance et dissuader toute future « politique de correction » ?
La première étape consiste à veiller à ce que les procédures disciplinaires soient engagées rapidement et menées de manière transparente. Cela devrait inclure : 

  1. l’interdiction immédiate (suspension) des agents directement impliqués, dans l’attente de l’enquête, afin d’éviter toute ingérence auprès des témoins ou des preuves ;
  2. des commissions disciplinaires indépendantes (non limitées à la hiérarchie pénitentiaire) afin de garantir l’impartialité 
  3. La publication des résultats des procédures disciplinaires, sous forme de résumé, afin de démontrer que la responsabilité n’est pas internalisée ou symbolique. À ce stade, la transparence est essentielle pour rétablir la confiance du public et lui garantir que les fautes professionnelles ne seront pas « gérées en silence ».

Au-delà de la discipline individuelle, le Cabinet et le commissaire des prisons devraient mettre en œuvre de toute urgence des réformes institutionnelles, telles que 

  1. un protocole obligatoire de signalement des incidents, examiné par un organisme d’inspection externe 
  2. la mise en place de caméras corporelles ou d’un système de vidéo-surveillance dans toutes les zones d’intervention 
  3. l’introduction de la rotation du personnel dans les ailes sensibles afin de réduire les réseaux informels bien établis 
  4. une formation obligatoire en matière de droits de l’homme et de désescalade pour toutes les unités opérationnelles.

Ces mesures empêchent la réapparition de cultures « correctionnelles » informelles en réduisant l’impunité et en renforçant la discipline procédurale.

Comment appréhendez-vous la remise en liberté de votre client, tout en restant conscient des risques potentiels de récidive ?
En tant qu’avocat, mon devoir n’est pas de juger la personnalité du client ni de prédire son comportement futur, mais de veiller à ce que ses droits légaux actuels soient pleinement et équitablement protégés. Le système judiciaire fonctionne selon le principe que la liberté est la norme et que la détention doit être justifiée par la loi et non par des spéculations personnelles. 

Si la loi autorise la libération de mon client, que ce soit sous caution ou après avoir purgé sa peine, mon devoir est d’obtenir cette libération de manière légale.

Votre avis sur le monde carcéral ?
À Maurice, les prisons remplissent une fonction essentielle en matière de sécurité publique et d’application de la loi, mais des faiblesses systémiques — notamment la corruption, le manque de formation et les défaillances procédurales — ont parfois conduit à des violations des droits humains.

Il est essentiel d’améliorer la surveillance, la responsabilité et le respect des normes internationales afin de garantir que les prisons ne deviennent pas des lieux d’impunité ou d’abus et que la réinsertion et la gestion légale restent les principes.

Certains gardiens de prison expriment une forte appréhension vis-à-vis des détenus violents, notamment ceux en liberté conditionnelle. Parallèlement, des cas de manquements, comme l’introduction de téléphones portables ou d’autres objets contre rémunération, ont été signalés. Quelle est votre analyse de cette situation ?
Cette situation reflète une défaillance systémique : les gardiens craignent les détenus violents, mais exploitent cette crainte à des fins lucratives en faisant passer des marchandises de contrebande. Cette combinaison de peur et de corruption sape l’autorité, la sécurité et le contrôle légal, créant un environnement propice à l’émergence d’un pouvoir informel et à des pratiques « correctionnelles » abusives.

 

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