
L’infarctus n’est plus une maladie de seniors. Avec l’âge moyen de la crise cardiaque chutant à 60 ans et des cas dès 30 ans, le premier National Cardiac Registry sonne l’alarme. Diabète, hypertension, tabac et friture : les quatre bombes qui font s’effondrer le cœur des Mauriciens.
Publicité
À quelques mètres à peine de la salle d’opération à la Coronary Care Unit de l’hôpital Dr A.G. Jeetoo, Shariff est allongé dans son lit. Il vient de faire une crise cardiaque. Pendant qu’une patiente ressort rassurée de son angiographie, lui sait ce qui l’attend : une intervention chirurgicale au Cardiac Centre de Pamplemousses. Ses artères, gravement endommagées par plus de trente ans de tabagisme, doivent être réparées.
Un visage parmi d’autres. En 15 ans, l’âge moyen de la crise cardiaque est passé de 72 à 60 ans, avec 35 % des cas survenant dans la tranche d’âge 40-49 ans. Une première étude nationale révèle l’ampleur du désastre. Selon le National Cancer Registry, 36 % des patients ayant fait un infarctus sont des fumeurs.
Jusqu’à récemment, Shariff, électricien en bâtiment, menait une vie qu’il qualifie de « normale ». Le jour de sa crise cardiaque, il se sentait « bien », raconte-t-il. En fin de journée, après une visite chez des proches, une douleur à la poitrine se manifeste. « Mo pann tro pran li kont, me a enn sertin moman monn santi li inpe for », explique-t-il.
Pensant qu’il s’agit d’une douleur musculaire, il se frictionne avec une crème antidouleur avant de se coucher. Un léger soulagement. Il s’endort rassuré. Le lendemain matin, la douleur revient. Plus insistante cette fois.
Shariff décide de se rendre dans un centre de santé de sa localité. Après un électrocardiogramme, le médecin lui remet un mémo pour se présenter à l’hôpital. « C’est à l’hôpital Jeetoo que j’ai appris que je faisais une crise cardiaque », confie-t-il.
Le choc de l’hospitalisation
Il pensait repartir avec quelques médicaments. Contre toute attente, il est hospitalisé. « Cela a été un choc. Je menais une vie normale, je ne m’attendais pas à un tel problème de santé », avoue-t-il.
Shariff n’a jamais eu de souci de santé nécessitant une hospitalisation. Mais il reconnaît fumer entre 12 et 15 cigarettes par jour depuis plus de trente ans. Il estime qu’il n’avait pas besoin d’activité physique supplémentaire : son métier l’oblige à monter et descendre constamment de l’escabeau. Côté alimentation, il consomme souvent des repas pris à l’extérieur : fritures, roti, dholl puri, mine frit…
Selon ses médecins, la principale cause de sa crise cardiaque est la cigarette. Hospitalisé depuis trois jours, Shariff affirme qu’il se sent déjà mieux sans tabac. « Quand je fumais, je me réveillais chaque matin avec la toux. Depuis que j’ai arrêté ces deux ou trois jours, je me sens mieux », dit-il.
Il admet que c’est la pression de ses amis qui l’a poussé à fumer dans sa jeunesse. « Kan ou zen, kan ou trouv ou kamarad fime, ou osi ou bizin fime pou fer parti group-la », reconnaît-il. Avec ses amis, il partageait cigarettes et boissons gazeuses, sans penser aux conséquences.
L’envie d’arrêter de fumer lui a quelquefois effleuré l’esprit. Mais il ne s’était pas résigné à le faire pour autant. « J’ai toujours pensé que j’allais arrêter un jour. Là, je crois que le moment est arrivé », confie-t-il avec regret.
Une vie qui ne sera plus la même
Shariff se dit conscient aujourd’hui que sa vie ne sera plus la même. Lui, qui était très actif, doit désormais faire face à une réalité imposée par son addiction au tabac.
Le Dr Nilesh Mohabeer, cardiologue, explique que le patient, étant diabétique, souffre d’une neuropathie qui a masqué les symptômes typiques de la maladie cardiaque, tels que l’essoufflement à l’effort. L’intervention prévue consistera à prélever des veines dans ses pieds pour les greffer sur son cœur et réparer les artères endommagées.
L’équipe médicale l’a averti : s’il recommence à fumer, il risque de graves complications. Selon le cardiologue, les images échographiques réalisées après sa crise montrent les dégâts provoqués par le tabac : le ventricule gauche de son cœur est endommagé et ne parvient plus à pomper le sang correctement.
Dans son lit, Shariff attend. L’intervention approche. Trente ans de cigarettes se sont transformés en une date sur un calendrier chirurgical. Une vie « normale » qui bascule en quelques heures.
Un registre pour mieux prévenir
Maurice dispose enfin d’un outil pour mieux comprendre et prévenir les maladies cardiaques. Lancé le lundi 29 septembre, le premier registre national a collecté des données dans quatre hôpitaux régionaux depuis 2022, et doit désormais inclure le Cardiac Centre et les centres privés, selon le Dr Nilesh Mohabeer, coordonnateur national.
Avant ce registre, seules les statistiques de décès et quelques diagnostics existaient, rendant la prévention difficile. Aujourd’hui, les chiffres parlent : 54 % des cas concernent des artères bouchées, 18 % des arythmies, et 36 % des patients ayant subi une crise cardiaque continuent de fumer. Parmi les arythmies, 45 % présentent des fibrillations auriculaires, facteurs de risque d’AVC.
Pour le Dr Mohabeer, il est urgent d’agir dès le jeune âge : dépistage régulier du diabète, de l’hypertension et du cholestérol, suivi médical personnalisé et campagnes de prévention ciblées. « On peut avoir les meilleurs médecins et centres de traitement, mais c’est sur la prévention qu’il faut concentrer nos efforts », insiste-t-il.
Le registre permettra enfin d’identifier les populations à risque et de mieux orienter les mesures de prévention, pour que chaque Mauricien puisse réduire ses risques cardiaques avant qu’il ne soit trop tard.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !