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Restauration - Quand l’hygiène n’est pas au menu

Dans de nombreux restaurants mauriciens, c’est souvent l’insalubrité qui accompagne les plats. Les autorités concernées disent se montrer intransigeantes contre ce type de manquements, qui tend pourtant à se banaliser. Quant au Food Act 1998, de nombreux opérateurs semblent avoir tout simplement oublié son existence... «On n’est jamais si bien servi que par soi-même », dit l’adage. Et il prend tout son sens chez les brebis galeuses de la restauration, qui font fi des normes sanitaires sans la moindre gêne. Le ministère de la Santé dit être aux aguets, mais malgré les descentes et les contraventions, les règles sont loin d’être respectées. « Vous allez vous régaler ! » indique la pancarte d’un restaurant spécialisé dans la cuisine mauricienne à Centre-de-Flacq. Cet établissement promet monts et merveilles et nous sommes enclins à le croire. Pourtant, dès que nous en franchissons le seuil, nous revoyons nos attentes à la baisse. Le tableau qui s’offre à nous est très loin de ce qui était promis. Une forte odeur de renfermé, mêlée à de la fumée de cigarette, nous saute aux narines. Malgré le panneau « No Smoking » affiché derrière le comptoir où il était assis, le propriétaire fumait. Sur une table, les assiettes des précédents clients faisaient le délice des mouches. Le service client n’étant, semble-t-il, pas la priorité du restaurant, nous nous dirigeons nous-mêmes vers une table, choisissant celle qui paraissait la plus propre. Après quelques minutes d’attente, une dame portant un tablier noir de moisissure amène notre commande. Tout porte à croire que c’était elle la cuisinière et que la présentation du plat était le cadet de ses soucis.

Sol jonché de déchets

Le robinet du lavabo des toilettes étant défectueux, nous avons eu la « chance » d’utiliser celui réservé aux membres du personnel. En franchissant la porte, nous comprenons mieux pourquoi cette pièce est strictement interdite aux clients. Le sol humide était jonché de déchets. Les restes des plats étaient entreposés tout près du plan de travail où gisaient les légumes découpés. Une odeur nauséabonde couvrait celle des aliments. Après Centre-de-Flacq, cap sur la capitale. Nous nous rendons dans un restaurant spécialisé dans la cuisine chinoise, réputé tant pour ses plats que pour son manque d’hygiène. « Restoran la inpe malang me so manze bon », nous disent les habitués. Mais c’est peu dire : là-bas, le non-respect des normes prend une tout autre dimension. Un ancien employé témoigne : « Il y avait plusieurs pratiques douteuses dans le but de baisser les coûts de production. Nous recevions souvent les ordres du propriétaire pour l’utilisation du strict minimum au niveau des ingrédients, mais aussi au niveau des produits de nettoyage. Pis, si certains aliments déjà cuisinés n’étaient pas commandés, nous avions ordre de les laver pour les réutiliser dans une autre recette. Ainsi, un chop suey de poulet peut être reconverti en curry. »

16 locaux alimentaires fermés depuis décembre 2015 Selon les statistiques du ministère de la Santé, 889 descentes ont été effectuées dans des locaux alimentaires en décembre 2015 et 183 en janvier 2016. 240 Improvement Notices ont été émises en décembre 2015 contre 17 en janvier dernier. Par ailleurs, les autorités ont procédé à la fermeture de 15 établissements qui ne répondaient pas aux normes sanitaires en décembre et un autre en janvier. D’autre part, 295 contraventions ont été émises en 2015 et 9 en janvier 2016. L’article Food and Hygiene du Food Act 1998 énumère toutes les normes d’hygiène à respecter. Le propriétaire doit veiller à ce que le bâtiment soit bien entretenu pour que la qualité de la nourriture ne soit pas affectée. Des peines sont applicables en cas de non-respect. C’est d’abord un avertissement écrit qui est envoyé au propriétaire, puis les officiers font une descente. Le propriétaire a un délai d’environ un mois pour se conformer aux exigences sanitaires. Si les inspecteurs ne sont toujours pas satisfaits, ils demandent la fermeture de l’établissement.

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Par ailleurs, les normes sur le stockage des aliments n’étaient que rarement respectées, affirme cet ancien employé. « Pour que le riz soit le plus rentable possible, on nous demandait de l’étaler sur une planche après cuisson afin d’éliminer l’humidité. Je n’ai rien contre cette méthode mais parfois, le riz attirait des mouches et c’était très peu hygiénique. On ne recevait presque jamais la visite des inspecteurs de santé. Il est impossible pour les clients de savoir ce qui se passe en cuisine », affirme-t-il. Niveau insalubrité, les marchands de gâteaux qui sillonnent les rues de Port-Louis ne sont pas en reste. Notre route croise celle d’un marchand de gato delwil qui ne passe pas inaperçu. Son allure n’a rien à voir avec celle prescrite dans le Food Act. Est-il même au courant de l’existence de ce texte de loi ? Nous nous permettons d’en douter. Nous l’observons pendant quelques minutes. La pâte qui sert de base pour les gâteaux est manipulée à mains nues. L’eau utilisée pour humecter les aliments est stockée dans un seau à l’apparence douteuse que le marchand remplit avec l’eau du robinet des toilettes publiques d’à côté. L’odeur de friture se mêle aux effluves d’urine et d’excréments qui émanent des toilettes.

Rats et insectes

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"13371","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-22066","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"restaurant"}}]] Et ce marchand est loin d’être le seul à ne pas respecter la loi. Un peu plus loin, un marchand de dholl puri et de fritures attire notre attention. Ses préparations sont exposées à l’air libre, et surtout à la fumée des autobus. Quant aux gants, ils sont, encore une fois, inexistants. Et il n’y a pas que Port-Louis qui regorge de ce genre de restaurateurs et de marchands. Curepipe est connue comme la ville lumière, mais certains restaurants et snacks sont toujours dans l’obscurité en ce qui concerne les règles d’hygiène. Le bâtiment du marché, par exemple, pullule de rats et d’insectes. Leur présence passe inaperçue. « Les gens s’y sont presque habitués », nous explique une responsable du nettoyage du bâtiment employée par une société privée. « Les rats font beaucoup de dégâts, surtout là où il y a des aliments. Plusieurs restaurants dans cet espace sont confrontés à ces rongeurs. Cependant, les personnes qui y travaillent ne font qu’encourager leur prolifération. Par exemple, les restes d’aliments sont jetés dans des boîtes en carton et celles-ci sont laissées à même le sol, sans être recouvertes. Elles attirent non seulement les rats, mais aussi les chiens errants. Nous avons tenté de parler aux responsables des restaurants mais ils font fi de nos recommandations », confie notre interlocutrice.
 

Jayen Chellum, de l’Acim: «un manque de personnel pour les vérifications »

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"13369","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-22064","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"250","height":"350","alt":"Jayen Chellum"}}]]Compte tenu de l’état de certains restaurants, tout porte à croire qu’il y a un certain laxisme au niveau des autorités. Le porte-parole de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (Acim), Jayen Chellum, précise que les lois sur l’allocation de permis existent depuis toujours, mais il est d’avis que certains inspecteurs ne feraient pas leur travail comme il se doit. « S’il existe toujours des restaurants qui continuent à opérer malgré le manque d’hygiène, il y a un problème au niveau du suivi. D’ailleurs, c’est inévitable, car depuis quelques années, on assiste à une réduction du personnel pour diminuer les coûts. Les officiers du ministère de la Santé auraient pu travailler en collaboration avec les officiers sanitaires des collectivités locales. Pour le moment, il est difficile d’améliorer le système », déplore-t-il. Une érosion du personnel, qui est arrivée au même moment qu’une augmentation du nombre de restaurants et snacks. En effet, selon Jayen Chellum, « avec le Business Facilitation Act 2006, les restaurants et les snacks ont poussé comme des champignons. Comme il y a un manque de personnel pour les vérifications, il y a eu des abus en ce qui concerne le non-respect des normes sanitaires ». Enfin, le porte-parole de l’Acim laisse entendre que les interventions politiques pourraient être un obstacle qui empêchent les inspecteurs de sévir quand c’est nécessaire. Cependant, Jayen Chellum rappelle que le client détient tous les pouvoirs en tant que consommateur. « Les clients qui ne sont pas satisfaits ou qui constatent des irrégularités doivent rapporter les cas. S’ils constatent qu’il y a un manquement au niveau de l’hygiène, c’est de bouche-à-oreille qu’on peut aider les autres. De plus, chaque descente doit être rendue publique pour informer le public ».

Suttyhudeo Tengur, de l’Apec: «Les institutions régulatrices doivent s’activer»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"13370","attributes":{"class":"media-image alignleft size-full wp-image-22065","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"250","height":"350","alt":"Suttyhudeo Tengur"}}]]«Il est malheureux que les institutions qui devraient réglementer n’ont pas évolué au fil des années. Ce sont les consommateurs qui sont affectés à cause de leur inefficacité », lance Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (Apec). Il précise qu’il y a très peu de visites dans les Food Premises. « Les Mauriciens consomment de plus en plus de fast food. Certains restaurants ont une part de responsabilité quand on parle des problèmes de santé comme les infections et les intoxications alimentaires. Il est grand temps de mettre en place une Enforcement Agency pour qu’il y ait un suivi continu de la part des autorités. Je suis d’avis qu’il y a une mauvaise organisation au sein du ministère de la Santé. Y a-t-il une base de données fiable avec le nombre de visites exact effectuées dans les restaurants ainsi que leur profiling?» s’interroge-t-il. Suttyhudeo Tengur est d’avis qu’il est peut-être temps de s’inspirer des pays européens tels que la France, où les organisations de consommateurs classent les restaurants. « Les experts en gastronomie effectuent des visites et font le profile des restaurants. »
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