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Consommation : le manque d’hygiène passé à la casserole

Adopter la culture du respect de l’hygiène est comme la mer à boire pour certains commerçants. Ils refusent de le faire car cela comporte des contraintes d’ordre pratique. Quitte à bafouer la Food Act.

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Depuis une dizaine d’années, quatre à cinq commerces ont dû fermer pour non-respect de la loi. La majeure partie des délits concerne l’exposition de la nourriture à la poussière et aux mouches, les murs ou le sol mal entretenus ou encore l’accumulation de graisse sur certaines structures du commerce, comme les vitrines et la cuisine.

Le respect de l’hygiène semble être un concept auquel certains commerçants refuseraient d’adhérer. En témoignent les chiffres enregistrés ces dernières années. En 2015 et en 2016, 266 552 kilos de produits alimentaires ont été saisis par les services sanitaires du ministère de la Santé. En 2016, plus de 33 600 kilos de produits avariés ont été confisqués.

La même huile de friture est utilisée encore et encore par certains commerçants.»

Pour un ancien responsable des services sanitaires, c’est la preuve irréfutable que nombre de commerçants et de marchands de rue ne veulent toujours pas adhérer aux normes d’hygiène en vigueur. « Le plus grave, c’est la préparation de la nourriture. »

Ce technicien souligne que les produits utilisés ont évolué et qu’il en va de même pour la façon dont la vente est effectuée. « Certes, ils utilisent des vitrines en aluminium au lieu du bois. Ils servent aussi les clients à l’aide de pincettes. Mais les conditions de préparation sont, elles, restées les mêmes. »

L’ancien responsable prend le cas de l’huile de friture qui est utilisée plusieurs fois avant d’être jetée. Autre problème qu’il fait ressortir : le non-respect des normes élémentaires d’hygiène lors du maniement des aliments. « Qu’elle porte des gants ou pas, c’est la même personne qui, la plupart du temps, manipule à la fois la nourriture et l’argent », fait comprendre l’ancien cadre.

À ce chapitre, le Dr Ishaq Jawaheer dit constater que le lavage des ustensiles et des aliments ne se font pas dans le respect des normes sanitaires. « Les fruits et les légumes sont souvent lavés dans la même eau pendant toute une journée. Idem pour les ustensiles. »

Ce qu’il déplore aussi c’est le fait que la nourriture soit vendue dans la rue. « Les aliments restent des heures durant dans des vitrines exposées au soleil. Sans compter la poussière et la fumée auxquelles ils sont exposés », fait ressortir le médecin.

Toutes ces pratiques, dit-il, contribuent à augmenter les risques de maladies, car certaines personnes pourraient être porteuses de la salmonelle et de bactéries responsables de la dysenterie : « Ces gens ne tombent pas malades à cause de ces bactéries. Mais ils peuvent contaminer d’autres personnes qui sont vulnérables. »

La nutritionniste Diane Desmarais rejoint le Dr Ishaq Jawaheer dans ses propos au sujet de l’huile de friture et de l’exposition des aliments. Constatant que la même huile est utilisée pour plusieurs fritures, elle souligne que certains aliments vendus dans la rue sont exposés à la fumée des véhicules. Cela signifie que pendant plusieurs heures, des particules de monoxyde de carbone, d’oxyde d’azote et d’hydrocarbure se déposent sur ces aliments. « Ces substances sont néfastes pour la flore intestinale et l’estomac », explique la nutritionniste.

Pourtant, il y a la Food Act. Mais nombre de spécialistes du domaine de la santé s’accordent à dire qu’il y a un manque de sévérité, voire un laisser-aller au niveau de l’application de la loi.

Diane Desmarais et le Dr Ishaq Jawaheer se rejoignent sur un autre point. Ils estiment que les inspections devraient être plus régulières afin de mettre la pression aux commerçants.

Ce qui pousse l’ancien responsable des services sanitaires du ministère à réagir. Il martèle que des inspections sont menées régulièrement. Toutefois, souligne-t-il, beaucoup de marchands de rue opèrent après les heures de bureau. « Pour contrer cela, nous nous basons sur des dénonciations. À partir de là, des équipes d’inspecteurs, accompagnées de la police, font des descentes. Nous avons une équipe d’une demi-douzaine de personnes dans chaque district. »

Ces opérations sont menées les jours fériés et durant le week-end. Il ajoute que dans la majeure partie des cas, les commerçants qui sont épinglés remédient à la situation dans le délai de 14 jours que leur imposent les inspecteurs.

Points saillants de la Food Act

La Food Act contient les paramètres de transportation, d’importation, d’exportation, de vente, de distribution, d’exposition et de préparation. Voici quelques extraits de la loi :

1. La nourriture doit rester loin d’un environnement insalubre – nul ne doit préparer, stocker ou vendre des aliments ou des boissons à proximité de toilettes ou près de tout endroit où des substances nocives ou de la fumée est émise.

2. Une personne qui prépare des aliments doit les transporter dans un récipient propre. Ils doivent être conservés en tout temps. Le commerçant doit aussi protéger, de manière adéquate, les aliments contre toute contamination.

La loi parle aussi des conditions de vente, dont l’utilisation de gants et d’une casquette ou d’un bandana, ainsi que l’assistance d’une personne pour manipuler l’argent, entre autres.

Questions à…Jayen Chellum, secrétaire général de l’ACIM : «Il faut tacler le problème»

Avez-vous déjà évoqué le non-respect de la Food Act auprès des autorités ?
Je l’ai fait à plusieurs reprises. L’Association des consommateurs de l’île Maurice a envoyé des lettres au gouvernement, dénonçant des violations à la Food Act. Ce que nous avons constaté c’est que les collectivités locales n’ont fait qu’enlever les marchands de nourriture des rues. L’accent n’a pas été mis sur leurs méthodes d’opérer. Certains vendent de la nourriture dans des conditions en effraction à la Food Act.

La situation s’est-elle détériorée ou note-t-on une amélioration ?
En 2006, l’introduction des lois sur la business facilitation ont incité beaucoup de personnes à se ruer vers la vente de la nourriture. Les méthodes ont grandement évolué, mais pas le respect des conditions sanitaires. De nombreux commerçants ont commencé à opérer sans certificats de santé.

C’est là que réside le danger, car des maladies pourraient être propagées de cette manière. Il est vrai que des marchands portent désormais des gants. Le hic c’est que certains manipulent la nourriture et l’argent en même temps. Nous attendons toujours l’application des lois avec plus de sévérité.

Comment appliquer la loi dans toute sa rigueur ? 
Il faut d’abord amender la Food Act. Depuis 2010, des règlements attendent d’être instaurés. Cela fait donc sept ans que ces amendements sont prêts. Entre-temps, la consommation évolue et de nouveaux produits inondent le marché. Il faut une volonté politique pour faire respecter la Food Act et tacler le problème du manque d’hygiène.


Food Act : Un bouledogue de 20 ans sans dents

La Food Act prend des rides. Mais avec l’âge, au lieu de faire craindre, cette loi vieille de 20 ans se ramollit, au point où ceux directement visés la contournent allègrement sans état d’âme. Le manque d’hygiène est la racine du mal.

La Food Act de 1998 est une loi répressive censée assurer l’hygiène alimentaire. Bien manger mais sainement. Toutefois, force est de constater que 20 ans après, nombreux sont ceux qui n’adhèrent toujours pas aux règlements. En particulier des opérateurs de la restauration de rue.

C’est un fait. La restauration de rue est comme épargnée par les provisions de cette Food Act. Rien qu’un détour au marché central ou dans les rues de la capitale suffit pour relever un nombre impressionnant d’infractions. Des pains fourrés exposés au grand air, des marchands sans bonnet ni tablier, des gants d’une propreté douteuse… Pourtant, les Mauriciens sont nombreux à faire la queue devant les étaux ou autres vitrines ambulantes pour une paire de dholl-puri ou quelques gato delwil.

En toute discrétion, Feyzal confie que généralement, les marchands de rue ne sont pas inquiétés par les inspecteurs sanitaires. « Kapav trouv zot enn fwa letan. Ils épinglent plutôt les restaurants et les supermarchés, en faisant l’impasse sur les marchands de rue. »

Du coup, les petits commerçants ne font pas grand cas des normes d’hygiène en vigueur. Et même si certains affirment le contraire et veulent montrer patte blanche, le constat est accablant. Des ongles vernis, des mains recouvertes de bijoux qui manipulent les ready-made foods. Shanti, derrière ses fourneaux, surveillant la friture de ses baja, déclare d’un air contrit : « Je sais qu’on n’a pas le droit de cuire sur place. Me nou bizin gagn nou lavi. Et la clientèle est là. »

Des pains fourrés exposés au grand air, des marchands sans bonnet ni tablier, des gants d’une propreté douteuse…

Comme cette quinquagénaire, les marchants de rue et autres opérateurs qui ont des petits gargotes de mines et de boulettes, bénéficient d’une clientèle fidèle et assurée. « Nou bizin manze et si ce qu’on nous propose est bon, on ne pose pas de questions sur l’hygiène ou la façon dont la nourriture est préparée », affirme un jeune homme, dégustant ses rôtis à la sortie du marché central.

Ainsi, les Mauriciens en cravate ou en bermuda ne s’encombrent pas de chichi quand il s’agit de se remplir la panse. « Pour Rs 50, on mange deux pairs de dholl-puri et un grand verre d’alouda avec glace. » Un must pour quiconque passe par le bazar de Port-Louis. Ce type de restauration à la va-vite remplace souvent le repas quotidien de bon nombre de ceux qui travaillent dans la capitale.

Les infractions à la Food Act sont aussi légion dans les petits restaurants. Un service à la chaîne où on manipule la nourriture avec les mêmes mains qui tiennent l’argent. Comble de l’absurdité, certains commerçants, portant des gants, se permettent même une pause cigarette sans les enlever. Pourquoi les enlever quand on peut faire avec ?

Des aberrations alimentaires à chaque coin de rue de Port-Louis ou de villes ou de villages du pays ne sont pas près de disparaître. Au contraire, elles deviennent tenaces, comme une deuxième vilaine nature difficile à s’en défaire. Pour cause, manger dans la rue est ancré dans les mœurs mauriciennes et l’offre ne fait que suivre la demande. Quant à savoir si l’engouement pour la restauration de rue est dû à un manque d’éducation ou de sensibilisation au danger d’une mauvaise hygiène alimentaire, les autorités compétentes devraient se poser la question et agir en conséquence.

Les marchands de rue connaissent trop bien les faiblesses de leurs clients. La vitrine montrée au public est, pour eux, plus importante que le souci de ce qui se fait réellement dans l’arrière-cuisine. L’important est que le produit fini, vendu comme des petits pains, se présente bien. Pour le reste, basta !

Micro-trottoir

Qu’est-ce qui attire le Mauricien, quoi que conscient du manque d’hygiène, vers la restauration de rue ?

Marco, 32 ans :

« C’est le besoin de manger qui guide mon choix. Ce qui est disponible au moment où j’ai faim. L’aspect de l’hygiène ne m’effleure même pas l’esprit. Je recherche ce qui est attirant et qui donne envie. À titre d’exemple, un pain kari mais avec une salade ou encore une paire de dholl-puri avec piment. Ce sont des petits plus qui me donnent envie d’acheter. »

Malinee, 43 ans :

« Les marchands de rue ne respectent aucune norme d’hygiène. Mais on aime ces aliments typiquement mauriciens comme les faratas, dholl-puri et les gâteaux frits. Cette habitude est ancrée en nous. De plus, cela ne coûte pas cher. Avec Rs 50, on se remplit bien le ventre. »

Olivier, 26 ans :

« Je suis un fan de roti, mais je n’en mange pas n’importe où. J’ai mes marchands habituels. Idem pour les autres plats. Je ne m’aventure pas vers des restaurants que je ne connais pas. À moins bien sûr qu’il m’ait été recommandé par quelqu’un. Plus jeune, je mangeais n’importe où sans me poser de questions. Maintenant que je suis marié et père de famille, je suis plus responsable et je fais plus attention. Mais pour rien au monde je ne renoncerai à mes roti. »

Ashwin, 18 ans :

« Je ne connais pas du tout les provisions de la Food Act. Ce n’est pas le fait qu’un marchand porte un bonnet, des gants ou un tablier propre qui me décidera à manger chez lui. Mon critère de choix c’est la longueur de la file d’attente chez le marchand. Plus elle est longue, plus cela signifie que son produit est bon. »

Dana, 29 ans :

« Je mange n’importe où sans vraiment faire attention aux normes d’hygiène. Certes, il y a une différence entre la rue et les restaurants, mais même au restaurant on ne voit pas dans quelles conditions sont préparés les plats. La seule différence c'est le service : une personne à la cuisine, une autre pour servir et une autre à la caisse. Autrement, sans inspections régulières, nous sommes exposés aux mêmes risques.

Exemples de non-respect de la loi

  • Vente de poisson ou de viande fraîche : Exposition de produits aux mouches et à la poussière pendant plusieurs heures.
  • La vente du kebab : Il s’agit-là de l’unique aliment qui ait causé le plus d’empoisonnements alimentaires au pays. Le poulet restant et à moitié cuit est souvent congelé la veille pour être cuisiné le lendemain puis vendu. « Les bactéries présentes dans la chair mi-cuite émettent des toxines dangereuses pour l’être humain », affirme le Dr Ishaq Jawaheer.
  • Les aide-cuisiniers opèrent parfois sans certificat de santé. Il y a des risques de transmission de maladies.
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