
Reza Uteem dénonce les dérives du passé et esquisse une nouvelle ère pour le monde du travail à Maurice. De la protection des plus vulnérables à la refonte du système de médiation, en passant par l’affaire Star Knitwear et les droits religieux au travail, il dresse une feuille de route sans concessions pour plus de justice, d’équité et de transparence.
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Pourquoi le besoin de ces Assises que vous avez annoncées pour bientôt ?
La Convention du Bureau international du travail (BIT) exige que des réunions tripartites gouvernement-syndicats-employeurs se tiennent afin de se concerter conformément aux droits des travailleurs.
Dans le passé, sous les gouvernements MSM, ils profitaient du Finance Bill pour amender les lois du travail en catimini, sans aucune consultation au préalable. Il y a eu très peu de débats sur le Finance Bill et les amendements étaient enfouis dans les 300 pages du texte. Au niveau du gouvernement de l’Alliance du Changement, nous avons opté pour des consultations entre les représentants des employés et des employeurs avant d’apporter tout changement sur leurs droits respectifs.
L’idée de tenir ces Assises du travail est de débattre de plusieurs sujets, allant des droits des travailleurs, comme annoncés dans notre manifeste électoral, aux relations industrielles avec les syndicats, à la santé physique et mentale, aux questions liées à l’accès à l’emploi, comment améliorer les disputes entre les travailleurs et leurs employeurs dans un délai raisonnable.
Un employeur ne peut restreindre les droits d’un employé que si cela nuit objectivement au bon fonctionnement de l’entreprise»
Ces Assises sont prévues pour quand ?
En septembre prochain, et la date n’est pas encore fixée. On peut toujours améliorer le système. J’ai eu des consultations avec différents stakeholders et j’ai reçu des suggestions pour l’amélioration des réglementations existantes.
Les syndicats n’ont pas le droit de représenter les travailleurs devant le Redundancy Board, alors qu’il y a des pertes d’emplois dans plusieurs secteurs, principalement le textile. Pourquoi cet entêtement ?
C’est une des questions qui seront à l’ordre du jour lors de ces Assises du travail. Il y a beaucoup de différends entre différentes institutions concernées, entre employés et employeurs. Il y a la Conciliation and Mediation Tribunal, l’Employment Relations Tribunal, le Redundancy Board, la Cour industrielle. Pour moi, il y a doublon.
Comment ?
Dans certains cas, les travailleurs peuvent être représentés soit par un syndicat, soit par un officier du ministère du Travail, notamment devant le Conciliation and Mediation Tribunal ou la cour industrielle. En l’absence de ces options, l’employé doit alors faire appel à un avocat.
Il arrive que le ministère représente les travailleurs devant la Cour industrielle et obtienne gain de cause. Toutefois, si l’employeur fait appel de la décision devant la Cour suprême, le ministère n’est plus habilité à intervenir pour défendre les travailleurs.
Il y a manifestement un bon nombre de Mauriciens, ainsi que des travailleurs étrangers, qui sont exploités, parfois abusés sexuellement»
Cette procédure ne pénalise-t-elle pas les travailleurs qui ne disposent pas des moyens financiers pour s’offrir les services d’un homme de loi ?
Effectivement, au stade de l’appel devant la Cour suprême, les travailleurs se retrouvent désavantagés. Comme je l’ai déjà affirmé publiquement, le ministère du Travail ne dispose pas d’un panel d’avocats dédiés. C’est pourquoi j’ai soumis une requête afin qu’un avocat et un avoué soient officiellement rattachés à mon ministère, afin de représenter les travailleurs lors des appels en Cour suprême initiés par les employeurs.
Mais cette mesure ne constitue qu’un volet du problème : il est nécessaire de revoir l’ensemble du mécanisme de règlement des litiges, notamment le Dispute Resolution Mechanism.
Pourriez-vous être plus explicite ?
Je soutiens la création d’un organisme suprême (Apex Body) chargé de superviser la médiation et la conciliation, le licenciement économique ainsi que les conditions de travail. Ce cadre juridique doit garantir le respect de délais stricts pour le règlement des litiges. Aujourd’hui, les conflits s’éternisent devant les tribunaux. J’ai moi-même représenté des travailleurs dans un cas qui a traîné pendant des années devant la cour industrielle.
Star Knitwear a longtemps été un fleuron de notre industrie textile à l’exportation. Cette entreprise a bénéficié de subventions publiques s’élevant à plusieurs millions. Pourtant, elle a récemment mis la clé sous le paillasson, jetant à la rue des milliers d’employés. Est-ce dû à une mauvaise gestion, à un manque de commandes, ou les repreneurs ont-ils profité des largesses accordées ? Comment expliquer cette situation ?
Le cas de Star Knitwear est avant tout un drame humain, affectant des milliers de travailleurs mauriciens et étrangers qui se retrouvent aujourd’hui sans ressources. Il illustre également comment le régime MSM a dilapidé les fonds publics via la Mauritius Investment Corporation (MIC), qui favorisait des entreprises proches du gouvernement.
Star Knitwear est actuel-lement en receivership. Je fais confiance au Receiver Manager pour conduire des enquêtes approfondies, afin de déceler d’éventuelles fraudes et détournements de fonds, notamment à travers des pratiques de over invoicing, et pour signaler tout cas suspect à la Financial Crimes Commission (FCC).
Il est établi qu’avant que la MIC ne débourse plus de 400 millions de roupies en faveur de Star Knitwear, le rapport d’un cabinet d’experts-comptables faisait état d’un détournement allégué de fonds par cette entreprise. De plus, Star Knitwear ne disposait pas de comptes audités, et la MIC a pourtant continué à lui prêter de l’argent.
Et Star Knitwear devait utiliser cette manne financière de la MIC pour se remettre en selle…
Les 400 millions de roupies octroyés n’ont pas été investis dans l’achat d’équipements pour l’usine, mais ont servi à éponger des dettes et à libérer des garanties personnelles, ainsi que des biens saisis auprès d’anciens propriétaires de l’usine.
Par ailleurs, cette entreprise a également bénéficié de prêts de plusieurs centaines de millions de roupies de la MauBank. De plus, Star Knitwear a accumulé un arriéré de taxes impayées auprès de la Mauritius Revenue Authority.
Beaucoup de Mauriciens rechignent à travailler dans certains secteurs, notamment lorsqu’il s’agit de postes de nuit ou durant les jours fériés, pour des raisons familiales et sociales»
On parle de combien en termes de millions de roupies ?
On parle ici de Rs 1,2 milliard envers toutes les instances gouvernementales. Le comble, c’est que, quand j’ai rencontré le directeur de Star Knitwear, il m’a fait part du fait que la MIC avait l’intention de leur verser encore plus d’argent après les législatives de novembre 2024, en cas de victoire de l’Alliance Lepep, pour financer l’usine.
Concernant les travailleurs étrangers, sont-ils indis-pensables à notre économie ?
Face au vieillissement de la population, avec une augmentation du nombre de personnes de plus de 60 ans, le pourcentage de la population active en dessous de 60 ans diminue naturellement. En clair, la population active est en recul. Le recrutement de travailleurs étrangers devient donc essentiel pour compenser le déficit de main-d’œuvre locale et soutenir la croissance économique.
Pourtant, le taux de chômage à Maurice reste préoccupant.
Beaucoup de Mauriciens rechignent à travailler dans certains secteurs, notamment lorsqu’il s’agit de postes de nuit ou durant les jours fériés, pour des raisons familiales et sociales. C’est pourquoi il est nécessaire de faire appel à des travailleurs étrangers.
Toujours concernant les travailleurs étrangers, lorsque ceux-ci se plaignent auprès de notre ministère de mauvais traitements, du non-respect de leur contrat ou du non-paiement des heures supplémentaires, les employeurs réagissent souvent en demandant leur expulsion via le Passport and Immigration Office (PIO). Pouvez-vous nous expliquer ce mécanisme ?
Au ministère du Travail, un département est spécialement dédié aux travailleurs étrangers. Je reconnais que de nombreux cas de non-respect des droits de ces travailleurs ont été constatés, incluant, malheureusement, des formes d’exploitation, tant physique que sexuelle, qualifiées de forcing expat workers.
Nous envisageons désormais d’être systématiquement informés avant qu’une entreprise ne procède au rapatriement de ses travailleurs étrangers. Par exemple, des procédures sont coordonnées entre le PIO et mon ministère à la suite des plaintes déposées.
Une solution ?
J’ai mis en place une politique stricte visant à sanctionner toute entreprise qui maltraite ses travailleurs étrangers, en lui refusant toute nouvelle demande d’embauche de travailleurs étrangers.
Le gouvernement avance qu’il existe une pénurie de main-d’œuvre à Maurice. Pourtant, 45 % des chômeurs sont des femmes. Pourquoi ne pas instaurer un programme de « discrimination positive » au sein de certaines institutions publiques et privées, accompagné de formations adaptées, comme cela se pratique ailleurs ? Cela nous permettrait de nous aligner sur le modèle international, incarné par l’initiative Women at Work.
Le problème est bien identifié : il existe un mismatch entre les demandes d’emploi et les offres disponibles. En collaboration avec le ministère de l’Éducation, nous envisageons de proposer des formations via le Mauritius Institute of Training and Development et le Mauritius Qualifications Authority, avec des certificats agréés par le Human Resource Development Council, afin d’améliorer l’employabilité des femmes et d’autres catégories. Plusieurs plans existent déjà pour soutenir les femmes et les jeunes.
Je souscris pleinement au concept de Women at Work, sans oublier en particulier les jeunes femmes en situation de handicap.
La Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP) a déposé une plainte auprès du Bureau international du travail, dénonçant le non-respect de la Convention 144, qui impose une consultation tripartite obligatoire avant toute décision unilatérale d’un gouvernement, notamment sur des mesures telles que l’augmentation progressive de l’âge d’éligibilité à la Basic Retirement Pension (BRP).
Le débat sur la réforme de la BRP, visant à faire passer l’âge d’éligibilité de 60 à 65 ans de manière progressive, n’est pas récent. Dès 2008, lorsque Pravind Jugnauth était ministre des Finances, il avait introduit un système de ciblage. Depuis, plusieurs rapports du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et d’experts actuaires ont souligné que le régime actuel de la BRP est financièrement insoutenable.
Comme annoncé dans le Budget 2025-26, le gouvernement va créer un comité chargé de revoir et d’améliorer le National Pensions Fund (NPF). Ce comité mènera des consultations larges impliquant toutes les parties concernées, y compris les travailleurs et les retraités.
Maurice avait été placée sur la liste rouge de la traite des êtres humains (human trafficking). Sommes-nous devenus des esclavagistes des temps modernes ?
Les États-Unis avaient placé Maurice sur la liste des pays concernés par le Trafficking in Persons et par le travail forcé (forced labour). Il y a manifestement un bon nombre de Mauriciens, ainsi que des travailleurs étrangers, qui sont exploités, parfois abusés sexuellement. Ce sont des personnes vulnérables, souvent sans ressources financières, qui craignent de dénoncer leurs bourreaux.
Et que faites-vous pour empêcher que cela perdure ?
Mon ministère, avec l’aide de la police et du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), œuvre à protéger les victimes et les dénonciateurs. Nous nous engageons également à démanteler les réseaux qui exploitent ces travailleurs – mauriciens comme étrangers – en situation de vulnérabilité, face à ces prédateurs des temps modernes.
Venons-en à la question qui fait polémique : le port du voile islamique dans un lieu de travail, public ou privé…
La Constitution de Maurice garantit à chacun la liberté de religion et interdit toute forme de discrimination fondée sur les croyances religieuses. La Workers Rights Act renforce cette protection. Un employeur ne peut donc restreindre les droits d’un employé que si cela nuit objectivement au bon fonctionnement de l’entreprise. Rien ne justifie d’empêcher un salarié de s’habiller décemment, tant que sa tenue reste conforme aux exigences de son poste.
Et si jamais un employé porte des signes religieux ostentatoire sur le lieu de travail, est-ce normal dans un État laic que nous sommes ?
Si un employé veur porter une croix à son cou, le sindoor, ou le hijab, par respect pour elle-même et pour les autres, où est le problème ?
On vous sent très concerné par cette polémique…
Je vais vous raconter une anecdote : quand j’étais étudiant en Grande-Bretagne, le House of Lords avait sanctionné un établissement scolaire qui avait refuse l’admission d’un étudiant qui portait un turban, un Sikh. Après, cette même instance avait statué que la police ne pouvait forcer un Sikh à enlever son turban.
Il se peut que la nature de l’entreprise impose un certain type d’habillement ; nous le respectons. Prenons l’exemple d’un site de construction, l’obligation est faite de porter un casque pour sa propre protection.
Mais un employeur n’a pas le droit de forcer un employé à renoncer à ses pratiques vestimentaires religieuses, simplement parce que cet habillement ne lui plaît pas ou parce qu’il adhère à une religion différente.
Reza Uteem, on est dans un pays dit laïque. Les signes ostentatoires religieux ne devraient-ils pas rester du domaine privé ?
Maurice n’est pas un pays laïque, mais multiculturel. C’est un pays où toutes les religions sont reconnues et respectées. C’est là notre force, notre fierté, et ce qui fait le charme du pays aux yeux des touristes. Cette tolérance, c’est le respect de l’autre.

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