Dans le cadre de la Journée internationale des droits de l’homme, Sheila Bunwaree souligne la nécessité d’inscrire les droits socio-économiques et culturels dans la Constitution. Estimant que la démocratie est en danger, elle plaide pour un réveil de l’engagement citoyen.
L’ONG People’s Voices Network (PVN), dont vous êtes la présidente, et le think tank Mauritius Society Renewal (MSR), dont vous êtes une des membres-fondatrices, vont organiser une table ronde sur le thème « La constitutionnalisation des droits socio-économiques à Maurice », ce mercredi 13 décembre, de 17 heures à 19 h 30.
Cela se déroulera à l’Institut Cardinal Jean Margéot, à Rose-Hill, pour ceux qui pourraient être intéressés. Tout le monde est le bienvenu. Le 10 décembre est la Journée internationale des droits de l’homme et le thème retenu par l’ONU cette année est « Dignité, Justice et Liberté ». Les membres de PVN et les dirigeants du MSR réfléchissent depuis de nombreux mois maintenant sur la nécessité de réviser la Constitution mauricienne.
L’heure de réviser la Constitution est venue ?
Plus de 50 ans après l’indépendance, nous sommes toujours coincés avec une Constitution imposée par les colonisateurs et qui n’est pas nécessairement adaptée aux dynamiques contemporaines. Plusieurs aspects doivent être repensés, avec la participation des citoyens.
PVN et MSR ont décidé, pour l’instant, de mobiliser pour entamer une conversation avec nos concitoyens sur la question des droits socio-économiques et culturels. Ils doivent prendre conscience que lorsque certains droits fondamentaux de la société sont bafoués, privant les gens de besoins essentiels, alors que d’autres en ont beaucoup trop, il n’y aura pas de paix durable à long terme.
La compensation salariale et la forte hausse du salaire minimum national, applicables fin janvier, n’amélioreront-elles pas automatiquement la situation socio-économique ?
Sans aucun doute, le travailleur mauricien au bas de l’échelle verra son salaire augmenter, mais qu’en est-il de l’inflation croissante, du niveau d’endettement et du piège de la dette dans lequel nous sommes en train de sombrer, du déficit persistant de la balance des paiements, du manque de productivité ? Lorsque les fondamentaux macroéconomiques restent médiocres et que l’économie est stimulée uniquement par la consommation, des problèmes sont inévitables à moyen et long termes.
De plus, nous devons nous demander ce qu’il advient de la classe moyenne et de tous ceux qui sont au chômage, en particulier les femmes et les jeunes sortis de l’école, ou les diplômés, sans aucun revenu. Qu’en est-il de leurs droits socio-économiques ?
Pourquoi mettre l’accent sur les droits socio-économiques et non sur les droits civils et politiques ?
Ne me comprenez pas mal, les droits civils et politiques sont extrêmement importants, peut-être même plus maintenant qu’il y a un régime autoritaire qui n’hésite pas à utiliser toutes sortes de dispositifs et de mécanismes pour réprimer les gens, faisant ainsi éroder nos libertés chaque jour.
Vous faites référence au controversé Financial Crimes Commission (FCC) Bill ?
La proposition des pouvoirs que l’on compte accorder à cette FCC, par exemple, est aberrante, et est un bon exemple de la façon dont le régime actuel cherche à réprimer nos institutions, affectant ainsi les droits civils et politiques. Dieu merci, nous avons un certain nombre de concitoyens responsables qui sont de vrais démocrates et qui choisissent de dénoncer la réduction de l’espace civique.
Mais les droits socio-économiques ne sont pas dans la Constitution et beaucoup de gens ne réalisent même pas qu’il s’agit de droits humains fondamentaux et que l’État, en tant que garant des droits, devrait veiller à ce que les citoyens puissent pleinement en jouir. Cette deuxième génération de droits est devenue encore plus cruciale.
La proposition des pouvoirs que l’on compte accorder à cette Financial Crimes Commission, par exemple, est aberrante.»
N’ont-ils pas toujours été importants ?
Ils sont importants car nous parlons ici de questions qui affectent directement la vie et les moyens de subsistance. Le droit à un travail décent, le droit à l’alimentation, le droit à une éducation de qualité et à l’alphabétisation, le droit à des soins de santé de qualité, le droit à l’eau, le droit au logement ou à un abri adéquat sont tous très importants. Malheureusement, l’État, signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ne semble pas accorder une attention suffisante au nombre croissant de concitoyens vivant en marge et dont les droits sont bafoués.
Des crises qui se chevauchent et se renforcent mutuellement, telles que la crise alimentaire, la crise de l’inflation, le changement climatique, les guerres et conflits, les évolutions géopolitiques rapides, rendent les pauvres et les vulnérables encore plus exposés à des risques accrus d’érosion de leurs droits. Les politiques adoptées par l’État ne protègent pas nécessairement au mieux les intérêts des citoyens. Nous pensons donc qu’engager un débat sur la manière dont de tels droits peuvent être inscrits dans la Constitution est pertinent et opportun.
L’on peut aussi soutenir que Maurice dispose d’un État-providence relativement fort…
En effet, nous avons un État-providence relativement fort et nous devons reconnaître l’engagement de sir Seewoosagur Ramgoolam envers l’amélioration du bien-être des pauvres et des opprimés. En ayant embrassé les idées de Lord Beveridge sur le bien-être, SSR a introduit l’État-providence à Maurice. Mais, regarder les questions de citoyenneté d’un point de vue purement welfariste n’embrasse pas nécessairement une approche des droits au développement.
L’éducation, par exemple : c’est gratuit, mais le régime actuel ne prête pas attention aux enfants rendus illettrés par le système. Le nombre d’échecs au PSAC et aux Extended exams, le nombre d’élèves qui sont déscolarisés faute d’avoir obtenu cinq credits témoignent de lacunes sévères au droit à une éducation de qualité par exemple.
Lorsqu’un pays perd sa direction, la société civile doit intervenir et aider à interroger et à remodeler les politiques pour un avenir meilleur pour tous. Un bon point de départ est la protection et la réalisation des droits socio-économiques. Nous devons également nous rappeler que ce débat a commencé avec la Commission Justice et Vérité. C’est l’une de ses nombreuses recommandations de son rapport de 2009. Où en sommes-nous aujourd’hui en ce qui concerne ces droits ?
À quel point pensez-vous qu’il soit difficile d’inscrire les droits socio-économiques et culturels dans la Constitution ?
Rien n’est facile, mais cela ne signifie pas que ce n’est pas possible. Nous devons commencer à examiner quels sont les défis et les opportunités pour le faire. Certaines personnes pourraient, par exemple, soutenir que l’inscription des droits socio-économiques dans la Constitution ouvrirait la voie à des litiges. D’autres pourraient soulever des questions sur la séparation des pouvoirs. Certains aborderont la question des ressources et de la faisabilité. Bref, la justiciabilité des droits socio-économiques peut être perçue comme problématique sous différents angles.
Mais, en même temps, nous pouvons nous inspirer des pratiques et du niveau croissant d’activisme judiciaire ailleurs, qui cherchent de nombreuses manières à protéger les droits socio-économiques des personnes. Le cas de l’Afrique du Sud, où les droits socio-économiques sont inscrits dans la Constitution, est un exemple intéressant. On pourrait s’en inspirer.
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