Outre les accumulations d’eau, les averses de ces dix derniers jours posent la question du captage. Comment se fait-il qu’avec autant de pluie, le pays connaisse des difficultés pour répondre à la demande en eau potable ? Des éléments de réponse avec les experts du secteur.
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L’Île Maurice est suffisamment arrosée tous les ans pour ne pas manquer d’eau. Sur ce fait, tout le monde s’accorde. Les récentes averses ont fait grimper le niveau de tous les réservoirs du pays en quelques jours. Mais alors, comment expliquer que ce problème de fourniture en eau revient sur le tapis chaque année ? Des experts évoquent la topographie et l’urbanisation sauvage comme défis à relever. Quant aux options visant à augmenter la capacité de captage et de stockage de l’eau, diverses solutions sont proposées telles que la construction de minibarrages, le dessalement de l’eau de mer ou la construction de barrages de retenue de taille.
« La moyenne de pluie annuelle tourne autour des 1 900 mm », explique Farook Mowlabucus, hydrologue et ancien employé de la Water Resources Unit (WRU). « Autrefois, nous étions à 2 100 mm. Certains pays reçoivent à peine 70 mm de pluie et arrivent quant même à fournir de l’eau potable sur une base 24/7. » Le volume de pluie n’est donc pas, à priori, le problème, même si l’hydrologue nuance ses propos.
Il faut compter environ 100 millions de m3 d’eau qui se perdent annuellement en mer.
« Il faut faire attention, car en hiver nous ne recevons pas des pluies aussi intensives qu’en été. Ces pluies fines ne causent pas de ruissellement. » L’eau ne coule pas en surface pour gonfler les réservoirs et les nappes phréatiques. Selon lui, c’est en été, en période cyclonique, que les réservoirs se remplissent. Les chiffres de la météo (voir en tableau) lui donnent raison. « Les 1 900 mm indiqués peuvent être trompeurs, même si ce niveau n’est pas négligeable», précise Farook Mowlabucus. Si l’on ajoute à cela les effets du changement climatique, l’écart entre les périodes où il pleut et celles où il ne pleut pas s’accroît.
Prem Saddul, géomorphologue et ancien président de la Central Water Authority (CWA), estime également que le volume de pluie annuel n’est pas un problème. «En Israël, l’eau est disponible 24/7, alors que le pays reçoit bien moins de pluie que Maurice », dit-il. Nous ne sommes pas, à proprement parler, un water stressed country, car il pleut environ 4 000 mm de pluie annuellement dans les régions des réservoirs. » Selon les données de la Banque mondiale, 99,9% de la population ont accès à l’eau courante, ce qui confirme l’analyse de Prem Saddul. « Ce qui manque, c’est la capacité de gestion de l’eau. Il faut compter environ 100 millions de m3 d’eau qui se perdent annuellement en mer », déplore l’expert.
« Le problème, c’est le relief, explique Vasant Jogoo, urbaniste et consultant auprès de la Banque mondiale, entre le plateau central et la mer, il n’y a pas de grande distance. » Capter l’eau de pluie dans un espace naturellement restreint devient donc compliqué. Tout comme Farook Mowlabucus, l’urbaniste rappelle les effets du changement climatique qui font qu’il pleuve plus intensément sur un nombre restreint de jours. « Il faut trouver une solution à long terme, » estime-t-il.
« Bâtir cinq barrages d’ici 2040 »
Cette planification à long terme du captage de l’eau relève justement des attributions de la WRU. « En 1996, nous avions un plan pour créer d’autres moyens de captage de l’eau, explique Farook Mowlabucus. Cela incluait la construction de cinq barrages d’ici 2040 pour satisfaire les besoins en eau de Maurice.» Parmi ces cinq barrages, deux ont été construits: Midlands Dam et Bagatelle Dam. Le premier dans les délais, le deuxième avec plusieurs années de retard. Le troisième ouvrage, le Rivière-des-Anguilles Dam (voir encadré) est en cours de planification.
Quid des deux autres ?
« À l’époque, nous prévoyions l’arrivée de 400 000 touristes», indique Farook Mowlabucus. Maintenant, il faut tout revoir par rapport à la demande en hausse. L’important, ce n’est pas de construire des réservoirs pour capter l’eau qui se perd en mer, mais répondre à la demande en eau potable.» Les deux réservoirs restants devraient être construits à Calebasses dans le Nord et à la confluence de la Rivière-du-Rempart et la rivière Papaye dans l’Ouest. Entre-temps, les plans de la WRU ont changé.
Hong-Kong utilise le dessalement pour ses besoins non-potables.
Plutôt que des barrages massifs qui coûtent cher, Vasant Jogoo et Prem Saddul suggèrent la construction de minibarrages qui répondraient mieux aux besoins de la population. « Il faut des minibarrages - qui auraient un millième de la capacité de la Mare-aux-Vacoas - sur les cours d’eau pour capter l’eau de pluie avec des stations de traitement mobiles », soutient Prem Saddul. En Europe, il existe des châteaux d’eau partout. Un seul suffit à approvisionner 5 000 personnes. L’ex-président de la CWA relate qu’il avait déjà écrit aux grandes surfaces pour qu’elles utilisent leurs toits pour capter l’eau de pluie qui servirait à satisfaire aux besoins non-potables, en vain.
Vasant Jogoo reste convaincu des bienfaits de cette solution : « Il a été démontré dans de nombreux pays que de telles mesures sont plus efficaces que de grands barrages. Cela n’aura pas de gros impact environnemental (en termes de végétation) et cela coûte moins cher. »
« Imperméabilisation du sol »
Une thèse que récuse Farook Mowlabucus : « Un barrage coûte cher et on ne peut le construire que sur les rivières qui ont la topographie d’un bol. On ne peut en bâtir partout, comme certains le croient à tort. Puis il y a la question de l’altitude afin que l’on ne soit pas obligé d’utiliser des pompes.» Les minibarrages seraient toutefois une solution idéale pour la topographie vallonnée de Rodrigues, afin de retarder le flot de l’eau de pluie qui coule vers la mer.
Outre la construction de barrages, nos interlocuteurs suggèrent une révision de notre modèle de développement. «L’imperméabilisation croissante du sol fait que l’eau ruisselle et se perd », déplore Vasant Jogoo. Le sol perd ainsi sa capacité à absorber les eaux de pluie.» Selon l’urbaniste, les autorités devraient se montrer plus strictes concernant les règlements (de construction- Ndlr) et s’assurer que, lors du développement d’une parcelle, le propriétaire conserve une partie à l’état naturel pour permettre l’absorption de l’eau par le sol. « Nous avons atteint un taux d’urbanisation qui tourne autour de 26% ou 27%. C’est un niveau trop élevé pour notre petite île », insiste Vasant Jogoo. « Il faut récupérer la fonction éponge du sol. » Prem Saddul se réfère, lui, aux métropoles de Singapour et de Séoul où la récupération de l’eau de pluie sert aux usages non-potables.
Autre point de désaccord: le dessalement de l’eau de mer. « Nous avons assez d’eau de surface pour se débrouiller sans. Le dessalement n’est pas une nécessité», estime Farook Mowlabucus. Ce dernier explique que, vu les coûts inhérents à cette méthode, il est préférable d’exploiter l’eau de surface abondante. Un avis que ne partage pas Prem Saddul : «Hong-Kong utilise le dessalement pour ses besoins non-potables. Le dessalement partiel gagne en popularité. Pour les hôtels, cette méthode serait idéale.» Le Bureau du Premier ministre, sous l’impulsion du conseiller Georges Chung, voulait lancer un projet de dessalement à Maurice l’an dernier, mais le projet s’est heurté au manque d’intérêt d’Ivan Collendavelloo, ministre des Utilités publiques. Une source au bâtiment du Trésor confirme au Défi Plus que ce dossier est au point mort.
Les plans de la WRU pour les années à venir
C’est à la Water Resources Unit (WRU) qu’il revient de décider de la planification à long terme pour le captage d’eau de pluie. Toutefois, depuis les années 90 et le plan que mentionne Farook Mowlabucus, les demandes du pays ont évolué de même que les plans de la WRU. Le directeur, Lormus Juggoo, s’explique.
« Nous avons le Rivière-des-Anguilles Dam pour le Sud et nous en sommes au niveau de la planification des études, explique Lormus Juggoo. La construction va probablement démarrer l’année prochaine. Cette année, ce sont les investigations et les analyses. » Conformément au plan élaboré dans les années 90, le Midlands Dam a été construit pour alimenter le Nord via La Nicolière.
Au cours de l’année, le Bagatelle Dam, figurant également dans le plan initial, devrait entrer en action. « Bagatelle alimentera la région de Mare-aux-Vacoas, c’est-à-dire la région de Rose-Hill et les Plaines-Wilhems, ajoute Lormus Juggoo. Une partie de l’Ouest sera aussi desservie par le barrage. »
C’est là que les plans de la WRU divergent des anciens. « Pour l’Ouest, nous voulons en même temps réhabiliter et agrandir La Ferme, poursuit Lormus Juggoo, il est possible qu’il y ait une station de traitement sur place également. Le réservoir aidera à desservir l’Ouest. » D’une capacité actuelle de 11,5 millions de m3, La Ferme devrait alors passer à 14,3 millions m3.
Pas question non plus d'un nouveau barrage dans le Nord. Une étude a démarré il y a quelques mois pour déterminer les possibilités d’agrandissement de La Nicolière. « C’est à partir des études que nous verrons ce qu’il sera possible de faire ou pas, indique Lormus Juggoo. D’autres sites ont été identifiés mais il faut voir la gestion et la planification dans son ensemble. »
2016 : L’eau en chiffres
Les chiffres de Statistics Mauritius pour 2016 indiquent qu’il a plu 3536 millions m3 d’eau au cours de l’année. Seule une infime partie de cette eau a été retenue. Les 353 millions de m3 qui ont rempli les réservoirs ne comptent que pour 10% de ce volume d’eau. L’évaporation compte pour 30% de l’eau de pluie (1061 millions de m3) alors que le ruissellement vers la mer comptabilise pour 60% (2122 millions de m3).
La moyenne pour le niveau d’eau dans les réservoirs a varié entre 58% et 96% durant l’année. Le volume total d’eau traité par les stations de traitement était de 247 millions de m3. Ce qui représente une hausse de 0,8%, comparé à l’année précédente. Les forages comptaient pour 53% de l’eau produite.
Les tuyaux percés de la CWA
Le problème de la disponibilité de l’eau potable est à double face. D’une part, il y a l’aspect du captage, d’autre part, il y a le vieux problème de la distribution. Kishan Padaruth, patron du consultant Gibb, qui a travaillé sur les infrastructures d’évacuation d’eau dans le passé, explique que c’est le réel problème et non le captage. « Le gros problème de l’eau à Maurice, ce n’est pas le captage, hormis le fait que 55% à 60% de l’eau se perdent dans les tuyaux », précise Kishan Padaruth. S’il loue les initiatives, telles que la construction du Rivière-des-Anguilles Dam, qui augmenteront la capacité de stockage, il estime qu’on pourrait faire plus, notamment en optant pour le dessalement qui coûte bien moins actuellement. Il s’agirait, selon lui, d’une excellente « fallback measure» en situation de sècheresse aiguë.
Sur la question du remplacement des vieux tuyaux, il relate comment Maurice a pris un retard considérable par la faute des décideurs. « Ce n’est pas difficile d’améliorer la situation, mais il faut la volonté de ceux qui sont à la tête. Depuis que Rashid Beebeejaun était ministre, on parle de remplacer les tuyaux. C’était en 2004. Toutes les études avaient été faites mais il a décidé de ne pas aller de l’avant, malgré les Rs 2 milliards de l’Union européenne. Peut-être était-ce parce que le projet a démarré sous Bérenger ? »
En septembre 2017, la CWA indiquait que 1500 km de tuyaux avaient déjà été remplacés. Cependant, il y a un total de 5000 km à remplacer et il reste encore du travail pour améliorer tout le réseau. Les travaux coûtent considérablement, soit une moyenne de Rs 10 millions par kilomètre. Dans la région de Beau-Bassin/Rose-Hill, 30 km de tuyaux ont coûté Rs 375 millions.
Il faut rappeler que la moyenne mondiale de Non Revenue Water (l’eau qui se perd dans les tuyaux) est de 25%. À Maurice, le chiffre est encore proche de 50%.
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