La recrudescence de grèves de la faim, de grèves industrielles et de manifestations à travers le pays ces dernières années est le signe d’une rupture cruel de dialogue social.
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Le sociologue Ibrahim Koodoruth est sans équivoque dans son analyse sur ces mouvements de grève. Il explique que ceux qui luttent contre des « injustices » doivent maintenant entreprendre des actions de grève pour se faire entendre. « Ils forcent alors le gouvernement ou les autorités concernées à réagir face à l’opinion publique », explique le sociologue.
Ibrahim Koodoruth estime que, si un gouvernement est ouvert au dialogue et à la négociation, les personnes qui se sentent lésées n’auront pas à aller jusqu’à l’extrême. « On ne peut alors blâmer les grévistes face à l’inaction et au manque de dialogue des autorités », ajoute notre interlocuteur.
Autre commentaire du sociologue, c’est que le gouvernement laisserait traîner les choses afin de juger si les grévistes sont sérieux ou pas dans leurs démarches. Le gouvernement veut aussi découvrir si les manifestants ou les grévistes arrivent à influencer l’opinion publique. « Mais à l’approche des élections, l’affaire devient plus sensible. Les autorités doivent alors faire machine arrière et accélérer les dossiers », soutient le sociologue.
Ibrahim Koodruth analyse également les mouvements de protestation sociale, comme celui qui a eu lieu à Forest-Side, il y a deux semaines de cela, où les habitants privés d’eau potable sont descendus dans les rues pour manifester leur colère. Selon le sociologue, ces démonstrations de colère démontrent un manque de vision du pouvoir public. « Celui-ci espère que les personnes qui souffrent se tiendront tranquilles face à la situation », explique-t-il. « Il y a eu trop de fausses promesses, comme celle d’avoir l’eau 24/7. Les faux espoirs provoquent de l’agressivité chez les gens », soutient-il.
En guise de conclusion, Ibrahim Koodoruth affirme qu’il aurait dû y avoir un moyen d’identifier les problèmes et agir avant que la situation ne dégénère. On a été trop réactif et pas suffisamment préventif face à ces problèmes, estime le sociologue.
Jane Ragoo : «Parfois, il faut des actions extrêmes pour faire bouger les choses»
La syndicaliste Jane Ragoo confie qu’il est très difficile de démarrer une grève de la faim, mais que parfois, c’est la seule manière d’agir, car les choses ne bougent pas. Elle évoque le cas des femmes Cleaners, qui ont subi une injustice pendant des années. « Nous avons dû commencer cette grève, car le gouvernement était dans l’erreur », affirme Jane Ragoo. Cette dernière explique qu’une grève de la faim ne se décide pas du jour au lendemain. « Il y a une série de circonstances qui pousse quelqu’un jusqu’à cet extrême », affirme la syndicaliste. Elle pointe du doigt le manque de considération vis-à-vis des victimes. « Plusieurs manifestations ont eu lieu. Nous avons discuté avec le ministère de l’Éducation et nous avons envoyé plusieurs requêtes, mais certains ‘grands fonctionnaires’ bloquent ces dossiers », déplore la syndicaliste. « Même dans le cas de Clency Harmon, celui-ci a dû attendre 16 jours pour une chose simple : émettre un communiqué », fustige Jane Ragoo. « Dans tout cela, c’est le gouvernement qui sort perdant, surtout dans l’opinion publique », ajoute la vice-présidente de la CTSP.
Elle estime que le gouvernement aurait dû mettre sur pied un comité composé d’avocats pour écouter les revendications et les doléances des citoyens. Un comité où les personnes peuvent rapporter des problèmes d’ordre national et où les avocats pourront alors analyser la situation et faire des recommandations sur lesquels les deux partis pourront trouver un accord.
Ashok Subron : «Le résultat d’un système représentatif»
Le syndicaliste et membre de Rezistans ek Alternativ affirme que, si la grève est l’arme ultime, son utilisation est, cependant, le fruit d’un système représentatif. « Après les élections, le pouvoir est confisqué par les élus, qui n’ont plus aucun compte à rendre. En cas de problème, ils restent impassibles face aux doléances. C’est pour cette raison que les manifestations et autres actions syndicales sont récurrentes », affirme Ashok Subron.
Il prend l’exemple du dossier de la dépossession des terres. « Dans son manifeste électoral, le gouvernement a promis de rendre justice aux victimes. Toutefois, jusqu’à présent, le dossier a été traité avec une légèreté inacceptable. Il aura fallu que Clency Harmon et plusieurs autres personnes entament une grève de la faim pour que les choses bougent », déplore Ashok Subron.
Pour Ashok Subron, la grêve est « l’arme ultime, utilisée de plus en plus souvent, car nous revenons à un système colonialiste, où les politiques sont devenus les instruments des capitalistes », soutient le porte-parole de Rezistans ek Alternativ. Selon lui, la solution serait d’avoir un système de démocratie participative : « Le citoyen doit avoir le droit de révoquer un député. Ainsi, le gouvernement se montrera davantage attentif aux doléances. »
Jean Claude de L’Estrac : «Les politiques ne réagissent qu’au rapport de force»
« Le plus souvent, les manifestations publiques indiquent un hiatus entre l’État et le citoyen. Le protestataire décide de porter ses doléances sur la place publique, parce qu’il n’en peut plus de frapper à des portes qui restent fermées. La manifestation publique, en particulier la grève de la faim, est alors son arme ultime », déclare Jean Claude de l’Estrac. « En donnant une visibilité publique à son grief, le citoyen espère renverser un rapport de force qui lui est toujours défavorable, les politiques ne réagissant qu’aux rapports de forces. »
« Le citoyen sait également que, s’il se trouve isolé, si sa cause est minoritaire, il a peu de chances d’avoir ne serait-ce qu’une écoute. Dans un régime démocratique et efficace, les manifestations de rue sont en principe rares, parce que la communication entre l’État et le citoyen n’est jamais brisée. Encore qu’ici, comme ailleurs, il peut devenir impératif de provoquer une mobilisation populaire pour faire avancer une cause collective ou loger une protestation. Nous avons connu, ainsi, dans notre évolution politique, plusieurs grandes manifestations de cette nature », ajoute l’observateur politique.
Dev Ramano : «Les autorités ne font pas de cadeaux»
L’avocat estime que le citoyen ne sera pas servi sur un plateau d’argent. « Le rapport de force est crucial dans ce genre de combat et en cas d’absence de négociations, il reste deux choix : croiser les bras et rester tranquille ou prendre les armes, l’arme étant l’action de grève et des manifestations », explique Dev Ramano.
Selon l’homme de loi, il faut que la constitution garantisse le droit de grève. D’ailleurs, il fustige les lois en vigueur, surtout le Public Gathering Act. Il prend comme exemple la manifestation soudaine des habitants de Forest-Side. « Ces personnes courageuses risquent la prison », soutient l’avocat.
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