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Matt Meyer : «Face au génocide à Gaza, l’indifférence est inexcusable»

Le militant des droits humains et auteur américain Matt Meyer était récemment à Maurice pour animer une causerie organisée par Lalit. Dans cet entretien, il analyse la crise à Gaza, dénonçant le génocide et les violations des droits humains. Il insiste sur le rôle clé des jeunes dans le changement social et les luttes pour la justice.

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Quelle était la raison de votre visite à Maurice ? 
Bien que modeste par sa superficie, Maurice a toujours su faire entendre une voix forte en faveur de la paix et de la liberté dans l’océan Indien et en Afrique de l’Est. À mes yeux, elle incarne un exemple inspirant de connexion entre l’Afrique et l’Asie, apportant une contribution unique et essentielle à la réflexion mondiale et aux mouvements unis pour les droits humains et l’humanité tout entière.

Je suis venu ici pour vérifier si cette vision que j’avais de Maurice correspondait à la réalité, et pour partager des stratégies afin de construire ensemble un monde nouveau, plus juste et meilleur.

La lutte que vous menez à travers le monde est-elle comparable à celle de Lalit et d’autres syndicats à Maurice ?
Les points communs sont clairs : l’immense majorité des peuples de la planète aspirent à la paix, à un respect fondamental et à la possibilité de vivre en bonne santé. Nous recherchons tous un équilibre au sein de nos communautés et de nos familles, afin qu’aucun individu ne domine les autres.

La lutte pour la libération est donc universelle, même si les approches socio-culturelles diffèrent quant à la manière dont se vivent et se définissent le respect et la liberté.

Gaza restera dans l’histoire comme l’une des grandes tragédies de notre époque moderne»

Former un front commun ne sera pas facile, compte tenu des différences d’approche et, surtout, du fait que chacun défend avant tout ses propres intérêts. Quel est votre avis en tant que militant chevronné ?
Les intérêts d’une très large majorité de travailleurs consistent à pouvoir travailler pour un salaire équitable ou à obtenir une part des profits générés par leur travail, afin de vivre dans la dignité et la prospérité. L’immense majorité des femmes et des filles, ainsi que certains hommes qui les soutiennent, souhaite vivre en sécurité et en égalité.

La vaste majorité des peuples, qu’ils soient définis par leur territoire, leur culture, leur langue, leur origine raciale ou ethnique, ou tout autre critère, aspire à la liberté de pratiquer ses traditions et de célébrer la vie ! Le monde entier a un intérêt vital à protéger notre planète et toutes ses espèces d’une catastrophe environnementale majeure.

Placer les intérêts des peuples au premier plan n’est pas le problème ; le véritable problème, c’est qu’une toute petite minorité a accumulé une richesse, un pouvoir et un arsenal d’une ampleur inhumaine, et fera tout pour maintenir et accroître ses privilèges, quel qu’en soit le coût pour les populations et la planète. 

Le front commun, qui doit être soigneusement construit pour perturber et finalement renverser ce contrôle minoritaire sur la majorité des terres et ressources de la planète, doit d’abord définir une stratégie efficace pour communiquer ces intérêts communs à tous. Ensuite, il faudra mobiliser et organiser cette vaste coalition.

Vous évoquez souvent les luttes menées par ce que vous appelez les « guerriers de la liberté et de la justice », citant l’Afrique du Sud et l’apartheid comme exemples. Cette ségrégation existe partout en Afrique et ailleurs, sous différentes formes et sous différents noms. En tant que militant des droits humains, comment peut-elle être éradiquée ?
Le peuple sud-africain, ainsi que de nombreux autres, a commencé à surmonter ces divisions artificielles bien avant l’ère moderne. L’African National Congress, par exemple, a une longue histoire de rassemblement de personnes de tous horizons, ethnies et confessions. Il est resté fidèle à son alliance avec le Parti communiste sud-africain, richement divers, ainsi qu’avec les associations nationales de syndicats.

L’idée d’Ubuntu, en Afrique australe et orientale – selon laquelle l’humanité d’une personne est indissociable de celle de son entourage – est un concept ancien, indigène et profondément africain. Il incombe particulièrement aux guerriers de la liberté et de la justice de retrouver ces principes et pratiques au sein des communautés dans lesquelles nous intervenons, de les respecter, de les promouvoir et de les renforcer. 

Il n’est pas nécessaire d’inventer de nouvelles formules magiques pour vaincre la ségrégation et construire l’unité ; il suffit de renouer avec des pratiques communes que les riches et puissants ont délibérément tenté de nous faire oublier.

Aucun crime de guerre, y compris les crimes contre les civils, ne peut être justifié»

Comment pouvons-nous encourager les jeunes à rejoindre les campagnes des ONG et autres organisations internationales ?
Comme je l’ai souligné lors de mon intervention mercredi dernier (NdlR, 6 août), les jeunes ont toujours été le moteur du changement social et des révolutions. Il est essentiel que les militants plus expérimentés s’efforcent de faire place à une nouvelle génération de leaders. Cela passe en partie par la clarté, la cohérence et l’attention aux autres, et par le fait de veiller à ce que l’espace soit ouvert et disponible pour être investi.

Souvent, attirer les jeunes n’est même pas le problème : il existe de nombreux jeunes consciencieux et socialement engagés, qui perçoivent clairement les injustices et les difficultés qui les entourent. Le véritable enjeu est de construire des organisations capables de créer un espace accueillant et ouvert, afin que les nouvelles générations d’organisateurs n’aient pas à se transformer entièrement pour s’adapter aux méthodes anciennes. 

Une organisation trouvera généralement un noyau solide de jeunes si elle dit simplement : « cet espace est le vôtre » ; si elle demande : « quels problèmes souhaitez-vous résoudre ? » ; et si elle s’engage à répondre à la question : « quelles méthodes de travail et quelles formes d’organisation vous permettront, à vous, recrues, de toucher les jeunes de votre entourage ? »

Tournons-nous vers Gaza, où l’on dénonce un génocide et une famine organisée. Israël, de son côté, affirme qu’il ne cessera pas de traquer le Hamas tant que les otages ne seront pas libérés, vivants ou morts. Quel est votre avis ?
L’indignation face au génocide bien documenté qui se déroule à Gaza est entièrement justifiée. Au-delà d’être la plus urgente crise en matière de droits humains et de sécurité militaire de ce premier quart du XXIe siècle, je crois que cet événement restera dans l’histoire comme l’une des grandes tragédies de notre époque moderne. Les horreurs inimaginables de l’Holocauste et les pertes dévastatrices survenues lors de la victoire contre le nazisme et le fascisme sont aujourd’hui aggravées par le fait que le cri de ce temps – « Plus jamais » – n’a jamais été pris à cœur par ceux qui l’avaient proclamé il y a 80 ans.

Il est déjà troublant de constater que certains ont combattu le Troisième Reich d’un côté, tout en se détournant de l’autre. Mais il est encore plus choquant de voir les victimes de cette époque devenir les bourreaux de la nôtre. 

Bien sûr, aucun crime de guerre n’est justifiable et les otages doivent être libérés. Mais il n’existe aucune excuse, aucun détournement de regard compatissant, face aux actes gratuits de massacre et au génocide qui se poursuivent.

Les jeunes ont toujours été le moteur du changement social et des révolutions»

Il existe une école de pensée qui affirme que les actions du Hamas – attaquer Israël, violer des enfants et des femmes et kidnapper près de 200 Israéliens – étaient injustifiables. Est-il légitime pour un pays de riposter pour protéger ses citoyens ?
À mon avis, et selon la plupart des défenseurs des droits humains et militants pour la paix, aucun crime de guerre, y compris les crimes contre les civils, ne peut être justifié. Il est également établi en droit international que tous les peuples ont le droit de se défendre, surtout face à un génocide. 

Mais il n’est pas nécessaire de considérer le Hamas comme la cause de l’impasse actuelle, ni de le soutenir comme la direction d’un mouvement de résistance anti-colonial ou libératoire. Mettre fin au génocide et défendre la liberté ainsi que les droits humains des Palestiniens dans leur ensemble est impératif. Débattre de nos sentiments personnels à propos du Hamas constitue une distraction.

Un ami palestinien qui m’est cher, ni membre ni proche du Hamas, nous rappelle : « Le Hamas fait partie du peuple palestinien. » Reconnaître cela ne signifie pas considérer le Hamas comme représentant l’ensemble du peuple palestinien, ni sa lutte, ni sa vision de l’avenir.

Donald Trump a tenté de désamorcer cette crise, mais sans succès. Quelles solutions peuvent être envisagées ?
Les solutions sont complexes et impliquent à la fois des actions étatiques et non étatiques. J’en citerai trois principales :

A) Au niveau des États-nations, la Chine a réalisé un travail exceptionnel en réunissant récemment diverses factions de la résistance palestinienne. C’est un exemple à suivre et à soutenir dans le cadre des négociations inter-étatiques.

B) La crise actuelle illustre peut-être le plus grand échec des Nations unies depuis leur création. Instituée après la Seconde Guerre mondiale, l’ONU peine aujourd’hui à agir efficacement face aux conditions auxquelles nous sommes confrontés. Il est peut-être temps de repenser la manière dont les affaires internationales sont gérées à l’ère moderne.

C) Le mouvement mondial de base visant à isoler Israël, économiquement et par d’autres moyens, doit être renforcé – à la fois approfondi et élargi. Ce mouvement a été le facteur déterminant qui a conduit à la chute du système d’apartheid politique en Afrique du Sud. Il est impératif de faire payer les responsables !

Maurice a cédé pour plus de cent ans Diego Garcia, où se trouve une base militaire sur laquelle seraient stationnées des bombes nucléaires et de l’artillerie lourde. Si ces armes destructrices devaient être utilisées depuis Diego Garcia pour attaquer un pays, Maurice ne serait-elle pas complice des dommages collatéraux, puisque l’archipel nous appartient ?
Vos lecteurs connaissent sans doute mieux l’histoire de la longue lutte de Maurice pour libérer l’archipel des Chagos du contrôle britannique et américain. Nos amis de Lalit ont été à l’avant-garde mondiale pour défendre la souveraineté du peuple des Chagos, faire de l’océan Indien une zone de paix et dénucléariser Diego Garcia.

Le piège en deux volets actuel semblait évident : le Royaume-Uni céderait enfin la souveraineté des îles Chagos à Maurice, puis imposerait immédiatement la signature de ce bail de plus de 99 ans pour la base, laissant aux États-Unis le contrôle pour un siècle supplémentaire. L’objectif était de faire apparaître Maurice comme complice — ou légalement responsable — de ce qui se passerait ensuite. D’un point de vue moral, le destin de la Terre face aux armes nucléaires doit concerner chacun d’entre nous. 

Le conflit au Moyen-Orient entre Israël, l’Iran et la Palestine, avec le Hamas en première ligne, risque-t-il d’embraser cette région du monde ?
Le Moyen-Orient est en proie à la violence depuis de nombreuses années. L’Iran, le Liban, la Jordanie, la Syrie, l’Arabie saoudite et d’autres pays y sont tous impliqués. Il s’agit d’une crise globale, où les pions en première ligne ne sont, aux yeux des véritables décideurs, que des vies jetables.

Une opinion générale sur ce qui se passe dans le monde et dans cette région.
Le monde traverse une période de transition. L’empire américain est en déclin, et cette chute se fait de manière violente et destructrice. Des puissances régionales et de nouvelles puissances mondiales émergent, avec des entités comme les BRICS qui se présentent comme des champions anti-impérialistes « du peuple », alors qu’en réalité, elles ne sont, au mieux, qu’anti-impérialistes vis-à-vis des États-Unis. En vérité, elles sont sub-impérialistes par nature, prêtes à devenir de mini-empires dès que l’occasion se présente.

Les petits pays, en particulier dans le Sud global, ont une nouvelle fois l’opportunité de dire « non » à tout cela et de refuser tout alignement avec une forme quelconque d’impérialisme, de militarisme, de colonialisme ou de néo-fascisme. Aujourd’hui, en plus des petits États-nations, existent des mouvements populaires ainsi que certaines formations et partis politiques qui, à bien des égards, sont aussi importants - voire plus – que de nombreux petits États.

La construction de fronts communs, et éventuellement, la création d’un vaste front international, pourrait jouer un rôle déterminant pour rendre cette période de transition plus positive et véritablement libératrice. C’est vers cet objectif que toute personne soucieuse d’un avenir meilleur devrait s’engager.

L’infatigable bâtisseur de paix qui relie New York à Maurice

Basé à New York City, Matt Meyer n’est pas un simple observateur des conflits mondiaux. Auteur, historien, éducateur et militant, il parcourt le globe depuis des décennies pour soutenir les mouvements de défense des droits humains et transmettre son expérience du terrain.

Secrétaire général réélu de l’International Peace Research Association (IPRA), il a aussi dirigé la Fellowship of Reconciliation et la War Resisters League, deux institutions historiques du mouvement pacifiste américain. Une carrière qui le place, selon le lauréat du prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel, parmi les grands bâtisseurs de coalitions modernes, capable de « fournir des outils pour les activistes d’aujourd’hui ».

Historien engagé, Matt Meyer a publié plusieurs ouvrages, dont l’anthologie encyclopédique Let Freedom Ring (2008), un recueil qui scrute les luttes contemporaines pour libérer les prisonniers politiques et qui illustre son approche pratique autant qu’académique de l’action pour la paix.

Le 6 août dernier, il était à Maurice pour une causerie organisée par Lalit sur le thème : Konstriksion Fron Komin, Solidarite Palestinn, Militarism, ek Droit travayer depi New York City a Port-Louis e pli lwin. Au siège de la CTSP, sous le tandem Reeaz Chuttoo – Jane Ragoo et présidée par Alain Ah-Vee, la conférence a réuni militants, étudiants et citoyens autour des grandes questions internationales : militarisme, droits des travailleurs et solidarité globale.

 

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