Interview

Hélène Legaré, de COCQ-Sida: « C’est le sida qu’il faut exclure, pas les séropositifs »

Arriver un jour à mettre fin à l’épidémie du sida. C’est dans cette optique qu’Hélène Legaré, présidente de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-Sida) et aussi membre de Coalition Plus, est actuellement à Maurice pour un partage de connaissances et d’expériences. Quel est le but de votre visite à Maurice ? Je suis ici en tant que membre de Coalition Plus avec deux collègues. À Coalition Plus, nous favorisons beaucoup le transfert des expertises et le partage, de même que des échanges d’expériences avec d’autres organisations qui travaillent dans le même domaine que nous. Pendant une dizaine de jours, nous allons partager et dresser un constat de ce qui se fait ici et, pourquoi pas, apprendre de l’expérience des Mauriciens.
Quel constat faites-vous de la lutte contre le sida à Maurice ? Mon constat général est que, même si Maurice est à l’autre bout de la planète, nous avons la même mission. Déjà au Québec, mon organisation, Sidalys, travaille beaucoup avec les usagers de drogue. Ici, c’est la même chose. Il y a peut-être quelques dossiers plus sensibles ici. Comme quoi ? L’échange de seringues et le programme de méthadone par exemple. Ce sont des programmes qui ont fait leurs preuves au Québec ? En tout cas, on y travaille sérieusement. Tout est fourni par le gouvernement qui y croit, même s’il y a des problèmes de budget. C’est prouvé que le programme d’échange des seringues et la distribution de méthadone ont des effets positifs sur la communauté.
[blockquote]« Priver quelqu’un de la méthadone étant donné sa dépendance, c’est comme priver un plâtre à quelqu’un qui a le bras cassé »[/blockquote]
Vous pensez que le ministère de la Santé mauricien a été mal conseillé sur le dossier de la méthadone ? Ce n’est pas à moi de juger. Je pense tout de même que c’est triste qu’il ait mis fin à ce programme. J’ai eu l’occasion d’aller à Sainte-Croix et j’ai rencontré des gens qui ont bénéficié de ce programme. Son arrêt peut nuire à la population. Priver quelqu’un de la méthadone, étant donné sa dépendance, c’est comme priver un plâtre à quelqu’un qui a le bras cassé. Est-ce qu’il serait souhaitable que le ministère de tutelle revienne sur sa position ? Encore une fois, ce n’est pas à moi de juger ou de décider. Je ne connais pas les enjeux. Mais je suis convaincue qu’un programme tel que la distribution de méthadone devrait être maintenu à l’échelle planétaire. Quid d’une collaboration gouvernement/ONG dans la lutte contre le sida ? Je pense que les ONG et le gouvernement doivent collaborer pour faire en sorte que les traitements et autres facilités soient plus accessibles et disponibles à ceux qui ont besoin de ce soutien. Notre travail est de sensibiliser et d’outiller les partenaires, y compris les gouvernements. Coalition Plus s’est donné pour mission d’éradiquer le sida dans le monde. Nous avons, pour cela, des méthodes bien scientifiques pour arriver à ce résultat. Il faut détecter le plusvite possible les risques de contamination et les éliminer.  Il faut que les gouvernements rendent les tests de dépistage plus accessibles et les traitements plus disponibles. Y a-t-il encore beaucoup de discrimination envers ceux qui sont infectés et ceux qui ont développé le sida ? C’est un point essentiel et cela fait que mon travail n’est pas fini alors  que je lutte contre les préjugés depuis 25 ans. Que préconisez-vous ? Je pense que le dévoilement est un pas dans la bonne direction. Je sais que ce n’est pas facile. À Maurice, plusieurs personnes, dont des membres de Pils, ont parlé librement et ouvertement de leur séropositivité. Certaines familles acceptent plus facilement que d’autres. C’est le sida qu’il faut exclure, pas les séropositifs. C’est une maladie comme une autre. C’est à nous de faire l’éducation des autres. On doit expliquer et briser les tabous, faire comprendre la sexualité aux jeunes, prévenir les comportements sexuels à risque et sensibiliser les travailleurs du sexe. C’est sûr que les tabous sont durs à combattre. Êtes-vous optimiste sur le fait qu’on arrivera un jour à éradiquer le sida de la planète ? En tout cas, on a une théorie qui prouve que c’est réalisable. Cela dépend beaucoup du comportement humain. Si tout le monde passe le même message, travaille vers un même objectif et si surtout l’argent suit, je ne vois pas pourquoi on ne triompherait pas un jour. Ce ne serait qu’une question d’argent alors ? Cela coûte beaucoup. Mais il y a aussi assez d’argent à distribuer dans la lutte contre le sida. Est-ce distribué équitablement ? Idéalement, cela devrait l’être. Il y a des montants assez conséquents consacrés à la lutte contre le sida. Je ne sais pas si à Maurice il y en a assez. En tout cas, si cet argent est utilisé judicieusement, on devrait pouvoir réduire de beaucoup les nouveaux cas d’infection. Le mot de la fin ? Aux organisations qui travaillent pour la lutte contre le sida, je dirai qu’il ne faut pas arrêter le dépistage. Il faut dépister, dépister et encore dépister, que ce soit dans la communauté, à l’hôpital ou dans des centres de santé. Il faudrait peut-être aussi envisager des autotests, genre test de grossesse car beaucoup de personnes sont encore embarrassées à le faire dans une institution. Au niveau des préjugés, il faut comprendre maintenant que les gens infectés du sida vivent plus vieux que ceux qui souffrent d’une autre maladie. C’est grâce aux avancées scientifiques et à la découverte des nouveaux médicaments. Il ne faut jamais désespérer.  
   

24 ans de lutte

Âgée de 62 ans, Hélène Legaré détient une maîtrise en Administration de la santé de l’Université de Montréal. Directrice générale de Sidalys depuis 24 ans, organisme qui héberge des personnes vivant avec le VIH à Montréal, elle est aussi présidente de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-Sida) qui regroupe 37 organismes dont Sidalys. La Québécoise est aussi membre du conseil d’administration et trésorière de Coalition Plus, qui regroupe des associations majeures de lutte contre le sida de 13 pays, dont PILS, et dont la mission est, par son plaidoyer et son soutien aux membres, de mettre fin à l’épidémie.
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