
Dans son premier entretien à la presse, Vipin Naugah, le nouveau directeur exécutif de la Competition Commission, revient sur ses priorités pour renforcer le rôle de l’institution dans l’économie mauricienne, moderniser la loi sur la concurrence et protéger les consommateurs face aux abus, notamment dans un contexte de hausse des prix et de mutation numérique.
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Vous venez de prendre vos fonctions à la tête de la Competition Commission. Quelles seront vos priorités pour renforcer son rôle dans l’économie mauricienne ?
J’assume mes nouvelles fonctions en ayant conscience que nous traversons une période économique difficile. Mais une régulation et une politique de concurrence efficaces peuvent contribuer au processus de reprise économique et doivent faire partie de l’équation pour améliorer le fonctionnement des marchés à l’avenir. Je crois qu’il est fondamental de maximiser notre impact sur les marchés qui comptent réellement pour les consommateurs les plus vulnérables. Pour y parvenir, il nous faut accentuer nos efforts de détection et d’application de la loi sur ces marchés, tout en tenant compte des dossiers déjà en cours. En tant qu’autorité nationale de la concurrence, nous devons favoriser une croissance inclusive en éliminant les barrières à l’entrée. Nous ne pouvons pas travailler en vase clos : il est essentiel de collaborer avec toutes les parties prenantes pour veiller à ce que le besoin d’une concurrence saine sur nos marchés prévaut dans la conception des politiques gouvernementales afin de stimuler l’investissement. La Competition Commission s’est engagée depuis quelque temps à reformer sa loi afin de renforcer le cadre réglementaire existant et mieux outiller nos agents dans l’exercice de leur mandat. Je souhaite mener à bien cet exercice crucial. Notre loi sur la concurrence a bien fonctionné dans le contexte économique de son adoption, mais il est temps qu’elle évolue vers les standards internationaux, au même niveau que les autres juridictions de concurrence.
Quels sont, selon vous, les principaux défis liés à l’application de la « Competition Act 2007 » aujourd’hui, près de deux décennies après son adoption ?
Notre régime actuel doit être renforcé pour déboucher sur une loi plus robuste, des processus plus efficaces, une détection proactive et une application plus percutante. Nous comptons améliorer nos lois et procédures grâce à l’exercice de révision législative, et ce projet doit désormais aboutir. Les changements de loi exigent aussi un esprit différent de la part des entreprises, souvent réticentes au changement. Nous espérons surmonter cela par une communication efficace avec toutes les parties concernées. Une application efficace passe également par l’amélioration de nos outils d’enquête et par le renforcement de nos équipes, avec les ressources disponibles. Il est aussi important de pouvoir sensibiliser le publique sur notre rôle en tant que régulateur et ce que notre travail peut accomplir pour les consommateurs, ce qui implique de parler de concurrence dans un langage accessible et d’intervenir dans des domaines qui comptent le plus dans la vie quotidienne des citoyens. C’est un défi majeur, mais nous l’acceptons pleinement et nous nous engageons à progresser en ce sens dans les années à venir.
Certains acteurs économiques estiment que les secteurs oligopolistiques restent peu affectés par la régulation. Comment la Competition Commission entend-elle répondre à ces préoccupations ?
La Competition Commission a déjà examiné des marchés oligopolistiques tels que le ciment et les télécommunications. La présence d’une structure oligopolistique n’implique pas nécessairement un dysfonctionnement du marché. Ce qui nous importe, c’est que ces marchés ne tombent pas sous l’emprise de comportements ou de politiques réglementaires qui renforcent des monopoles ou évinceraient la concurrence au détriment des consommateurs. La Competition Commission dispose désormais du pouvoir légal de mener des enquêtes sectorielles. Celles-ci sont un outil précieux pour analyser les marchés y compris oligopolistiques et identifier des problèmes structurels ou réglementaires freinant le bon fonctionnement des marchés, afin d’y apporter des solutions concrètes pour l’ensemble de l’industrie.
La Commission dispose de pouvoirs d’enquête et de sanction importants. Quelles garanties mettez-vous en place pour assurer transparence, impartialité et indépendance dans ces décisions ?
La loi impose à la Commission de se conformer aux règles de justice naturelle, au respect du principe du contradictoire et à l’équité entre les parties. Ces principes sont pour nous sacrés, à toutes les étapes : que ce soit lors des enquêtes menées au niveau du Directeur Exécutif ou lors des décisions prises par les Commissaires. Nos décisions et processus restent ouverts au contrôle judiciaire, la justice demeurant le rempart le plus solide pour toute personne estimant avoir été lésée par nos décisions.
Dans un contexte de hausse généralisée des prix à Maurice, quelle peut être la contribution concrète de la Competition Commission pour protéger les consommateurs contre des pratiques abusives comme l’entente sur les prix ?
Les marchés réagissent aux chocs économiques, souvent par des ajustements de prix. Quand les coûts augmentent, les entreprises peuvent soit les absorber, soit les répercuter sur les consommateurs. Une hausse des prix de la part des entreprises n’est pas toujours anticoncurrentielle. Ce qui est inacceptable, c’est lorsque des entreprises manipulent artificiellement la concurrence pour évincer des concurrents, décourager de nouvelles entrées ou exploiter les consommateurs. La Competition Commission surveille activement les cartels et autres pratiques qui faussent la concurrence et affectent la productivité et les consommateurs. Nous avons créé un département dédié à la lutte contre les ententes et investissons beaucoup d’efforts dans la détection et l’application de la loi. Nous envisageons également des audits de rentabilité sur les produits de première nécessité afin de mieux suivre l’évolution de leurs coûts et prix, d’accroître la transparence sur les prix pour les consommateurs et de décourager les abus de prix ou la surfacturation de la part des commerces.
La digitalisation et l’essor du commerce en ligne ouvrent de nouveaux défis en matière de concurrence. Comment la Competition Commission se prépare-t-elle à réguler ces marchés émergents ?
Renforcer notre capacité est essentiel pour affronter les défis liés à l’application de la loi de concurrence dans l’économie numérique. Les défis sont nombreux en ce qu’il s’agit de la régulation des marchés numériques : les outils traditionnels d’application sont en cours de réévaluation, les formes d’abus évoluent, et la conception de remèdes adaptés pour corriger les préjudices subis s’avère complexe. En tant qu’autorité, nous serons tôt ou tard confrontés à ces enjeux et il nous faut être prêts pour ça. Nous analysons nos propres marchés numériques afin d’identifier leurs caractéristiques, opportunités et éventuels risques. En effet, nous nous apprêtons à compléter une étude de délimitation de nos marchés numériques. Cela nous permettra d’avoir une vue d’ensemble des marchés concernés et de mieux orienter nos actions futures. Nous développons également nos compétences sur l’utilisation des algorithmes de tarification et leur impact potentiel sur la concurrence, la protection des données et nous suivons de près les travaux d’autres agences de la concurrence pour en tirer des enseignements. Au niveau régional, la Competition Commission participe à des dialogues inter-agences, notamment via le forum « African Heads of Competition Agencies Dialogue on Digital Market » (AHCAD), pour partager expériences et l’application des bonnes pratiques. Ce sont peut-être de petites étapes, mais importantes et dans la bonne direction.
Quels mécanismes de coopération la Competition Commission entretient-elle avec d’autres autorités régionales ou internationales de concurrence afin de mieux encadrer les pratiques transfrontalières ?
La Competition Commission collabore et échange des informations avec d’autres autorités de la région dans le cadre de protocoles d’accord (MOU). Nous avons signé des accords avec l’Afrique du Sud, les Seychelles, la SADC et la COMESA. Nous entretenons des liens étroits avec la COMESA Competition Commission, dont j’assure actuellement la présidence. Depuis 2015, la COMESA Competition Commission et la Competition Commission ont travaillé ensemble sur 291 fusions régionales concernant le Marché Commun. L’entrée en vigueur de l’Accord établissant la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA Treaty) est une étape majeure pour l’Afrique, avec des implications importantes pour l’application transfrontalière du droit de la concurrence et la coopération des agences à l’échelle continentale. Depuis fin 2023, la Competition Commission copréside au niveau international le groupe de travail sur les fusions de l’ICN (ICN Mergers Working Group ) et, au niveau régional, elle préside le Forum africain de la concurrence (ACF). L’ICN et l’ACF sont des réseaux de référence qui renforcent la coopération, la recherche et l’adoption de meilleures pratiques au sein des agences de concurrence. D’ailleurs, nous organiserons le prochain ICN Mergers Workshop à Maurice, du 15 au 17 octobre 2025, un événement de haut niveau consacré aux enjeux actuels du contrôle des concentrations.
Au-delà de la régulation, comment la Competition Commission peut-elle contribuer à façonner une culture de la concurrence et encourager l’innovation chez les entreprises mauriciennes ?
La promotion de la concurrence fait partie intégrante de notre mandat sous la loi et est essentielle pour instaurer une véritable culture de la concurrence dans toutes les strates de notre économie. Depuis notre création en novembre 2009, nous plaidons pour les bienfaits de la concurrence, et nous continuerons à le faire. Mais le plaidoyer seul ne suffit pas à instaurer cette culture ni à forcer les entreprises à innover.
Une entreprise innove parce qu’elle le souhaite ou parce que la pression du marché l’y oblige. Cela suppose une évolution de la culture entrepreneuriale : les entreprises doivent considérer la concurrence comme un catalyseur de croissance et comprendre que de meilleurs prix, de meilleurs produits et l’innovation leur permettront de gagner la confiance des consommateurs et d’élargir leur clientèle. Favoriser une culture de la concurrence suppose aussi que les consommateurs soient enclins à explorer différentes offres. En orientant leur demande, les consommateurs peuvent forcer les fournisseurs existants à innover pour ne pas perdre leurs clients. Souvent, des « start-ups » avec des idées novatrices peuvent bousculer les acteurs établis, mais seulement si elles arrivent à pénétrer et se faire une place sur le marché. C’est là où les politiques pro-concurrentielles jouent un rôle clé. La Competition Commission de son côté veillera à ce que les marchés restent véritablement ouverts et contestables. Mais chaque acteur doit aussi assumer sa part de responsabilité pour créer des marchés concurrentiels au service des consommateurs et de l’économie.

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