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Sunil Dowarkasing : «Maurice peut progressivement tendre vers le ‘zéro déchet’ mais…»

Le ministre de l’Environnement Rajesh Bhagwan appelle à la responsabilité collective pour instaurer le tri des déchets à Maurice. Quelles sont la faisabilité et l’urgence d’une telle réforme ? Le point avec Sunil Dowarkasing, ancien Environmental Strategist.

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Pourquoi, selon vous, le tri des déchets est devenu une priorité pour Maurice aujourd’hui?
Le tri des déchets est devenu une priorité pour plusieurs raisons étroitement liées aux contraintes environnementales, économiques et sociales de l’île Maurice. D’abord, le pays génère chaque année une quantité croissante de déchets (541 100 tonnes en 2023), dont près de 60 à 70 % sont organiques, mais ses capacités de mise en décharge sont limitées : l’unique site principal, à Mare-Chicose, arrive à saturation, créant un risque majeur pour la gestion future. 

Le tri est donc devenu une priorité pour réduire les volumes à enfouir, valoriser le compostage et protéger les écosystèmes marins et terrestres. C’est une étape clé vers une gestion durable et circulaire des ressources. 

Sur le plan économique et social, la valorisation des déchets crée de nouvelles filières d’emplois, favorise l’économie circulaire et améliore l’image du pays qui se veut une « île durable ». 

Quels sont les principaux problèmes environnementaux liés à l’absence de tri dans notre pays ?
Cela entraîne de graves conséquences environnementales. Le mélange des déchets accélère la saturation de la décharge de Mare-Chicose et provoque la pollution du sol, de l’air et de l’eau à travers les lixiviats et les gaz toxiques, sans tenir compte des risques d’incendie. Les déchets plastiques qui s’échappent finissent souvent dans l’océan, menaçant les coraux, la biodiversité marine et, par ricochet, le tourisme et la pêche.

De plus, les déchets organiques enfouis produisent de grandes quantités de méthane, un gaz à effet de serre très puissant, alors qu’ils pourraient être valorisés en compost ou en énergie. Ainsi, l’absence de tri ne fait pas seulement perdre des ressources précieuses, elle aggrave aussi la pollution et fragilise les écosystèmes dont dépend la prospérité du pays.

Comment l’annonce du ministre Rajesh Bhagwan s’inscrit-elle dans la stratégie nationale de gestion des déchets ?
Maurice ne dispose pas encore d’une stratégie nationale de gestion des déchets formellement adoptée et détaillée, si je ne me trompe pas. Ce qu’on observe, ce sont plutôt : i) des annonces politiques (comme celle sur le tri à la source d’ici 2027) ; ii) des mesures ponctuelles (interdictions de certains plastiques à usage unique, projets pilotes de compostage, collectes sélectives limitées) ; iii) des intentions affichées vers une économie circulaire et une meilleure valorisation des déchets ; iv) mais pas encore un plan national intégré, avec objectifs chiffrés, calendrier clair, responsabilités précises et suivi institutionnel.

Donc, l’annonce du ministre peut être vue comme une première étape vers l’élaboration d’une stratégie nationale, mais pour l’instant, on reste dans une logique de déclarations et projets isolés, sans cadre global adopté par le gouvernement. 

Maurice ne dispose pas encore d’une stratégie nationale de gestion des déchets formellement adoptée et détaillée.»

Le ministre appelle à la responsabilité « de tous »…
Le succès du tri à la source repose sur la responsabilité partagée de tous les acteurs de la société. Les citoyens doivent trier correctement leurs déchets, réduire leur production de déchets et sensibiliser leur entourage. 

Les collectivités locales ont pour rôle de mettre en place des infrastructures adaptées, d’assurer la collecte régulière et de mener des actions de sensibilisation. Les entreprises, quant à elles, doivent adopter des pratiques de production responsables, favoriser le tri au sein de leurs locaux et collaborer avec les filières de recyclage. 

L’État, enfin, doit définir un cadre réglementaire clair, soutenir les infrastructures et campagnes de sensibilisation, et mettre en place des mécanismes d’incitation ou de sanction pour garantir l’efficacité du système. Ainsi, l’engagement coordonné de tous permet de faire du tri à la source d’abord une réalité et ensuite une pratique durable et efficace.

Comment convaincre les Mauriciens qui sont sceptiques ou peu motivés à changer leurs habitudes ?
Il faut combiner information, motivation et facilité. Les stratégies concrètes doivent inclure une campagne de sensibilisation et d’information claire. Il faut montrer, avec des chiffres locaux, l’impact environnemental et économique des déchets mal gérés (pollution, coûts de traitement, perte de ressources) en utilisant des exemples concrets et visuels (avant/après, photos de plages polluées ou décharges saturées).

Il faut simplement bien expliquer le processus du tri et pourquoi chaque geste compte en insistant sur les avantages directs pour les citoyens comme un environnement plus propre, moins de nuisances, des opportunités de recyclage pouvant générer des revenus. Il faut proposer des guides pratiques et simples à suivre, voire des applications ou rappels pour encourager le tri quotidien. Ety ajouter des incitations et encourager les engagements communautaires.

En résumé, il ne suffit pas de dire aux gens de trier : il faut les convaincre que c’est simple, bénéfique, valorisant et soutenu par toute la communauté

Quelles sont les principales difficultés ou résistances auxquelles on peut s’attendre (manque de ressources, comportements, coût, logistique) et comment les surmonter ?
Le tri à la source à Maurice peut rencontrer plusieurs obstacles, tels que le manque de ressources financières et matérielles, les comportements ancrés des Mauriciens, le coût perçu du recyclage, la complexité logistique et le manque de confiance dans le système et les autorités. Pour les surmonter, il est essentiel de combiner sensibilisation et éducation, rendre les points de tri accessibles et simples d’utilisation, développer des filières locales de recyclage et de valorisation des déchets, et instaurer une transparence totale sur le traitement des déchets triés. 

Des incitations, la valorisation des comportements exemplaires et l’implication de la communauté permettent également de transformer le tri en habitude durable et bénéfique pour tous. 

Quels bénéfices concrets peut-on espérer à court et moyen terme ?
Le tri à la source permet de réduire significativement la quantité de déchets envoyés à Mare-Chicose, prolongeant ainsi la durée de vie de la décharge et limitant la pollution locale. Le recyclage et la valorisation des matériaux, comme les plastiques, papiers et organiques, contribuent à diminuer la dépendance aux importations et à nourrir l’économie circulaire, notamment via la production de compost pour l’agriculture. 
Ce processus favorise également la création d’emplois verts dans la collecte, le tri et la transformation des déchets, tout en améliorant l’environnement et la santé publique. Enfin, il encourage un changement culturel durable, instaurant une responsabilité collective et une fierté partagée pour une île plus propre et plus durable.

Est-ce que Maurice peut envisager à long terme d’aller vers le « zéro déchet » ou une économie circulaire ?
Maurice peut progressivement tendre vers le « zéro déchet » et une économie circulaire en combinant tri à la source, valorisation des matériaux, innovation dans la réutilisation et réglementation incitative. En réduisant les déchets dès la production, en développant des filières locales de recyclage et en mobilisant les citoyens, l’île peut optimiser ses ressources, créer des emplois verts et protéger durablement les écosystèmes, tout en affirmant son ambition d’être une « île durable ».

 

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