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Jocelyn Chan Low : «Le PM a tout intérêt à faire traîner la réforme électorale»

S’il considère que le Best Loser System est devenu superflu et obsolète en 2025, l’observateur politique Jocelyn Chan Low estime également que le Parti travailliste (PTr) reste réticent à une réforme électorale incluant une dose de proportionnelle. Selon lui, Navin Ramgoolam aurait tout intérêt à faire traîner le sujet.

La question de la réforme électorale revient sur le tapis. Bis repetita ? 
Bis repetita, si l’on considère les nombreuses occasions où ce sujet a été évoqué, que ce soit à l’Assemblée nationale où à travers divers rapports d’experts – Sachs, Carcassone, Sithanen – sans oublier les débats dans l’espace médiatique. La différence aujourd’hui est que c’est le Deputy Prime Minister (DPM), issu d’un gouvernement 60-0, détenant une majorité au-delà des trois quarts nécessaires pour toute modification profonde de la Constitution, qui relance le débat et qui a donc les moyens de faire aboutir le projet de réforme. 

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Cette question revient régulièrement parce que des dysfonctionnements reconnus sont présents dans notre système électoral. Par exemple, à trois reprises, un 60-0 a été enregistré à Maurice, alors même que l’équipe perdante recueillait plus de 25 % des voix exprimées. Le système First-Past-The-Post (FPTP) amplifie de manière démesurée le nombre de sièges au regard du nombre de votes obtenus par le vainqueur. 

De plus, dans un système parlementaire à la Westminster, l’opposition est une pièce maîtresse. Pourtant, le leader de l’opposition nationale au sens large du terme provient à chaque fois du Best Loser System (BLS), qui est un mécanisme ethnique.

Que ce soit le Mouvement socialiste militant (MSM) ou le PTr, ils ne semblent pas très enthousiastes à l’idée d’une réforme électorale… 
Effectivement. En 1956, la proposition des Britanniques d’introduire un système électoral basé sur la proportionnelle a été farouchement combattue par le PTr. Ensuite, le parti s’est opposé au rapport Banwell, en raison d’une forme de Proportionnal Representation (PR) qu’il souhaitait intégrer par un « variable corrective ». Et ce fut en raison de l’opposition du MSM que  le gouvernement MSM/MMM ne put réformer le système électoral.

C’est un fait que l’électorat du MSM, en général, est peu favorable à une réforme introduisant une forte dose de proportionnelle. Il y a aussi une partie de l’électorat du PTr qui n’est pas favorable à l’abolition du BLS. Cependant, la réforme électorale fait partie de l’accord électoral entre le Mouvement militant mauricien (MMM), Rezistans ek Alternativ (ReA) et le PTr. Elle figure en bonne place dans le programme électoral de l’Alliance du Changement. Let’s wait and see…

Paul Bérenger a toujours milité pour l’introduction d’une dose de proportionnelle. Est-ce pour assurer la survie du MMM ? 
Ce n’est pas surprenant parce que le MMM, et principalement Paul Bérenger, a été dans l’opposition la majeure partie de son histoire politique. Les défaites successives du parti aux diverses élections générales lui ont démontré à quel point le système FPTP est injuste envers les perdants, en accordant peu de sièges malgré le nombre d’électeurs les ayant soutenus.

Réformer le système électoral, surtout en introduisant une forte dose de proportionnelle, aura un impact direct sur la vie politique du pays. Cela rendra plus difficile l’obtention d’une majorité par un seul parti, fut-il dominant, et renforcera le rôle des partis d’appoint, surtout si la nouvelle formule favorise les alliances post-électorales au détriment d’alliances pré-électorales.

Le BLS a fonctionné pendant presque 60 ans. Faut-il l’abolir ? 
Le BLS est un mécanisme construit à la va-vite par John Stonehouse, un « make shift arrangement » créé pour sortir de la crise provoquée par le rejet du  rapport Banwell. Les Britanniques, tout au long du processus d’évolution constitutionnelle de Maurice depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, voulaient à tout prix éviter d’inscrire le communalisme dans la Constitution du pays.  Le BLS avait donc été conçu pour être temporaire. 

Pouvez-vous développer ? 
Dès 1958, quand il avait été question d’un « good loser system », le Colonial Office soulevait des questions éthiques : est-il juste qu’un perdant soit repêché pour siéger à la législature ? Il y a eu des cas aberrants, comme celui d’un Best Loser nommé alors qu’il n’avait récolté que 10 % à 15 % des voix exprimées. Aujourd’hui, le BLS est devenu une aberration pour plusieurs raisons. 

Premièrement, ce n’est que dans le Schedule relatif au BLS que la notion de communautés existe officiellement à Maurice. Or, cette division de la société mauricienne est très arbitraire. Deuxièmement, dès 1983, la notion de communauté a disparu des questionnaires utilisés pour le recensement ; le calcul du BLS se base toujours sur les données de 1972. Ce qui est une complète aberration.

Enfin, comme on a pu le constater dans plusieurs rapports conduits sur le système électoral de Maurice, la représentation des différents groupes de la société est déjà prise en compte dans les listes de candidats que les partis présentent aux électeurs. Le BLS est donc superflu et obsolète.

Comment assurer alors une bonne représentativité des communautés minoritaires ? 
Les partis politiques veillent déjà à obtenir des votes de toutes les composantes de la société mauricienne. Il n’existe pas de mécanisme imposant une représentation précise des groupes dans le Cabinet ministériel. Pourtant, cela se fait pour des raisons politiques. Avec l’introduction d’une dose de proportionnelle, tous seront représentés, même sans le BLS.

On sait que feu Sir Abdool Razack Mohamed avait imposé comme condition à Sir Seewoosagur Ramgoolam de le soutenir pour avoir notre indépendance en maintenant le BLS. Ce chantage n’a plus sa raison d’être aujourd’hui, selon vous ? 
Le contexte était très différent à l’époque, à la veille de l’indépendance du pays. Aujourd’hui, le CAM (Comité d’Action Musulman) a disparu et son petit-fils est un des dirigeants du PTr… 

Qu’en est-il de l’appellation « Population Générale » ? N’est-il pas temps de la reclasser comme une communauté parmi les quatre autres ? 
La « Population Générale » est bien l’une des quatre communautés reconnues et définies dans le Schedule de la Constitution relatif au BLS. 

Mais les Nations unies ont récemment affirmé que cette « Population » dite « Générale » n’existe pas à Maurice, car elle ne repose sur rien de tangible. Votre opinion ? 
Il faut remonter dans l’histoire pour comprendre la notion de « Population Générale » qui devait initialement définir l’ensemble de la population. Après la fin officielle de la discrimination raciale en 1829 et de l’esclavage en 1835, la société mauricienne était divisée, sous l’occupation française, en trois groupes distincts régis par des lois différentes : Blancs, libres de couleur et esclaves. 

Mais avec la libération des esclaves, les Britanniques ont créé le groupe des ex-apprentis pour « monitor » cette population. Cette catégorie a disparu en 1861 et le groupe intégré à la population générale. Avec l’arrivée des engagés de sucre, la catégorie « Indian » a été créée pour « monitor » cette population, mais elle ne concernait alors que les engagés du sucre. 

Ainsi, en 1846, les Indiens n’étant pas des engagés du secteur sucre de même que les Chinois étaient décrits comme faisant partie de la population générale. De ce fait, la « Population Générale » est l’ensemble de la population, sauf les groupes qu’il fallait suivre de près pour des raisons administratives. Tout cela n’avait rien à voir avec la religion ou l’identité. Ce qui pousse certains à dire qu’au fond, nous sommes tous membres d’une « general population ». 

Le DPM a proposé 60 élus, dont 20 sur la liste proportionnelle et quatre Best Losers. Ne risque-t-on pas d’avoir des candidats « colleurs d’affiches » sur cette liste pour services rendus au lieu de professionnels ? 
Les critères pour être inclus dans la liste proportionnelle seront-ils différents de ceux de la liste des candidats dans les circonscriptions, surtout si un parti veut séduire l’électorat ? Pour ce qui est la loyauté indéfectible envers des leaders inamovibles et tout-puissants, n’est-ce pas déjà le cas ? 

Ce qu’il faut surtout exiger, c’est qu’on ne retrouve pas certains noms sur les deux listes. Cela avait été envisagé par certains leaders de partis il y a quelques années. « Entrench » les leaders des partis de cette manière serait une grave entorse à la démocratie. 

Roshi Bhadain a proposé quelques idées, dont deux élus par circonscription et 20 sur la liste proportionnelle. Ne tourne-t-on pas en rond ?
En 1958, Trustram Eve avait proposé un découpage en 40 circonscriptions à membre unique (« one member constituency »). Son rapport avait été adopté. Si l’on réduit le nombre de députés élus au FPTP, cette formule mérite d’être étudiée. 

Une autre proposition du Reform Party concerne la limitation à deux mandats pour un Premier ministre (PM) et l’élection d’un président de la République par le peuple et non par l’Assemblée nationale. Deviendrions-nous finalement une République à la française ? 
La limitation des mandats d’un PM est plus que nécessaire. Il faut aussi trouver d’autres  moyens pour prévenir l’émergence de dynasties politiques. Mais l’élection d’un Président par suffrage universel pourrait engendrer une grande instabilité voire une crise constitutionnelle. Un Président et un PM détiennent tous deux la légitimité des urnes. Comment se passerait la cohabitation en cas de divergences ? 

La réforme électorale est-elle mort-née ? 
Il est trop tôt pour le dire. Le débat vient à peine d’être relancé et la réforme figure dans le programme électoral d’une alliance qui détient plus de trois quarts des sièges nécessaires à l’Assemblée nationale. Par contre, il est certain que c’est le MMM qui, depuis des décennies, milite pour une réforme électorale devant inclure une bonne dose de proportionnelle. Toutefois, le parti mauve ne pourra rien « achieve » sans le PTr qui, lui, a été moins enthousiaste sur le sujet. 

L’aboutissement de la réforme dépendra donc de la santé et du maintien de l’alliance entre les divers partis au pouvoir. Je crois que le PM et leader du PTr a tout intérêt à faire traîner les choses sur la réforme électorale. 

En tant qu’observateur politique et ex-chargé de cours, comment interprétez-vous l’action de la police envers le journaliste Narain Jasodanand ? 
Si on se fie à ce qui a été rapporté dans la presse, c’est tout simplement scandaleux. Cela démontre la présence d’une certaine culture et de pratiques foncièrement antidémocratiques chez certains dans la force policière. Heureusement qu’il y a eu une levée de boucliers contre le retour de ces pratiques indignes d’un État démocratique. Attendons la suite de l’affaire pour y voir plus clair dans cette sombre histoire.

Le DPM et l’Attorney General ont exigé des explications formelles du Commissaire de police (CP). Ces deux hommes ne seraient-ils pas en train de marcher sur des plates-bandes qui ne seraient pas les leurs au niveau du protocole ? 
Effectivement. Une spécificité de la Constitution dit que le CP est « supreme in operational matters ». À première vue, il est effectivement question d’une opération de police. En revanche, comment peut-on arrêter une personne sur la base de la simple dénonciation d’une tierce personne, qu’il soit un « nepo-kid » ou pas, sans enquête préalable ? S’il y a des abus, le DPM et l’Attorney General ont le devoir d’exiger des explications. 

 

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