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Amit Bakhirta : «Il est essentiel de réformer le pilier monétaire de notre pays»

Dans cet entretien, Amit Bakhirta, fondateur et CEO de la société ANNEAU, livre son point de vue sur l’African Growth and Opportunity Act, sur les enjeux à la Banque de Maurice, sur la main-d’œuvre, entre autres.  

À deux mois de la fin de la première année de mandat de ce gouvernement, est-ce trop tôt pour dresser un mini-bilan ou peut-on déjà voir certains signaux d’une nouvelle approche de l’administration des affaires publiques ?

De facto, invariablement et en nuances ; je présume que oui.

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La Banque de Maurice a un nouveau gouverneur : Priscilla Muthoora Thakoor. Va-t-elle traiter les enjeux déjà identifiés à sa manière ou va-t-elle devoir répondre, comme son prédécesseur, de manière collective ?

Nous ne sommes pas en mesure de répondre littéralement à cette question.

Il est important de noter que le mandat, l’objet et les pouvoirs de la Banque de Maurice, en tant qu’institution, sont clairement définis dans la loi ayant trait à la Banque de Maurice.

Naturellement, une institution, à tout moment et dans une certaine mesure, est susceptible d’être influencée par son équipe de direction.

Néanmoins, nous réitérons qu’à ce stade, il est essentiel de réformer le pilier monétaire de notre pays, d’envoyer un signal fort en faveur de la politique monétaire et de l’indépendance en matière de stabilité financière. Il faut se concentrer sur les priorités ; notamment le renforcement et la stabilisation de la monnaie du pays, l’assouplissement des conditions monétaires à court terme, la recapitalisation de la Banque centrale et la cession de la Mauritius Investment Corporation. 

C’est dans un contexte de culture d’entreprise qui, je crois comprendre, est devenue extrêmement politisée et toxique depuis quelques décennies.

« Chaque chef apporte sa propre saveur à un plat. »

L’avenir du traité de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) est pris au sérieux à Maurice. Y a-t-il des raisons de s’inquiéter si ce traité est remis en cause par Donald Trump ?
Cette hypothèse est vraisemblablement très improbable à ce stade (malgré l’application automatique des tarifs, nonobstant une prolongation officielle à cet égard avant le 30 septembre 2025). Nous nous attendons à une prolongation de l’AGOA, compte tenu des relations apparemment très consensuelles entre les deux pays, mais surtout de l’alignement des politiques commerciales américaines avec celles de certains pays d’Afrique subsaharienne. 

Des prolongations, assorties de nouvelles versions conditionnelles de l’AGOA, pourraient être envisagées à l’avenir, mais on ne sait jamais !

Sans prolongation, les droits de douane seront automatiquement réappliqués aux exportations africaines, ce qui augmenterait les coûts pour les producteurs et les importateurs. Pour Maurice, c’est une menace pour la compétitivité de son secteur textile (entre autres) et pour des milliers d’emplois.

L’avantage le plus important que notre pays pourrait perdre, c’est sa compétitivité qui en sorte est garantie par l’AGOA. Car la suppression des droits de douane sur les marchandises exportées de Maurice vers les États-Unis ; rend les produits mauriciens plus compétitifs (l’accent étant mis ici sur les textiles, les vêtements, mais aussi d’autres articles éligibles comme les articles tissés et faits main, les spécialités alimentaires et les produits de décoration intérieure).

Dans un tel cas improbable, nous pourrions perdre des investisseurs/entrepreneurs étrangers existants à Maurice, et nos entreprises textiles/autres exportateurs pourraient en subir les conséquences ; surtout en termes de compétitivité.

Les producteurs mauriciens qui exportent vers les États-Unis grâce à l’AGOA peuvent-ils trouver des marchés alternatifs et avec les mêmes bénéfices ?
De nouveaux marchés africains, moins concurrentiels (avec tout le respect que je leur dois), peuvent certainement être abordés (indépendamment de l’avenir de l’AGOA).

Il est important de diversifier davantage les principaux marchés d’exportation. Je pense notamment à des économies clés comme l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie, l’Angola, le Nigéria et le Ghana, parmi les pays africains prospères.

Des relations bilatérales solides au sein du Common Market for Eastern and Southern Africa et de l’Union africaine peuvent établir des règles de base mutuellement avantageuses pour Maurice et d’autres pays.
C’est la voie à suivre.

Les enjeux liés à la géopolitique/géoéconomique, qui ne sont pas dissociables, imposent aujourd’hui à l’ile Maurice de choisir son camp. Le vieux dicton cher à notre pays : « Amis de tout le monde, ennemi de personne » est-il encore pertinent ?
Oui, invariablement. Nous comprenons que toutes les nations ne sont pas égales !

Par conséquent, compte tenu de nos propres dynamiques microsociopolitiques, il est essentiel de maintenir et de renforcer nos relations géopolitiques existantes. Il faut surtout en forger de nouvelles, notamment avec les économies clés d’Afrique et de l’ASEAN. Car c’est dans cette direction que les choses se dirigent (d’où notre sagesse de forger des relations géopolitiques sincères pour la prospérité à moyen et long terme de notre nation).

Le monde hautement concurrentiel d’aujourd’hui ne repose pas uniquement sur le commerce et l’accès aux marchés en franchise de droits. Il est aussi question de transferts de technologies, de conseil, d’assistance financière, écologique, agricole et en matière de pêche, de santé, d’activités socioculturelles, pour ne citer que quelques domaines clés de développement des relations géographiques.

Ainsi, en tant que petite nation, les besoins actuels et à long terme de notre pays et de nos partenaires doivent être pris en considération.

Ici, la « méthode Modi » devrait probablement servir d’éclairage concret et exemplaire sur la gestion des relations géopolitiques modernes.

Plus que jamais, certains chefs d’entreprise font valoir qu’il faut revoir les lois de travail et notre modèle de développement. Le pays fait face à la concurrence étrangère – avec des pays disposant d’une main-d’œuvre abondante et moins chère et des législations favorables au patronat. Faut-il, à cet effet, répondre à cette question aujourd’hui ou continuer à « faire comme avant » ?
Nous plaidons depuis longtemps en faveur d’une approche plus durable en matière de main-d’œuvre étrangère compétitive, qualifiée et non qualifiée. 

Nous souscrivons pleinement aux propositions qui répondent à nos besoins à court et à long terme, malgré leurs implications sur notre socioéconomie, notre démographie, notre culture et notre compétitivité.
À notre humble avis, l’approche consistant à « planter un arbre dont on ne profitera pas de l’ombre » serait la bonne et nous saluons le document de travail récemment publié par les ministères concernés sur la main-d’œuvre étrangère, qu’on considère comme la bonne orientation dans le contexte actuel.

Il y a une nouvelle stratégie et de nouvelles relations géopolitiques, notamment avec les pays dont certains habitants sont susceptibles de devenir les nôtres, par le biais du travail. Il y a aussi des investisseurs, des retraités...

Le recours à la main-d’œuvre étrangère ne cesse de gagner du terrain et dans des postes auxquels on n’y avait pas pensé. Comment en est-on arrivé à une telle situation et quelles sont les mesures à adopter pour retenir les compétences locales ?
Nous réaffirmons que chez ANNEAU, malgré diverses nuances, nous considérons ce cycle de main-d’œuvre comme naturel et positif. 

Bien qu’il se soit accentué à mesure que le pays gagnait en prospérité et en développement, un meilleur niveau d’alphabétisation, une évolution croissante vers un modèle économique basé sur les services et la consommation. Il y a aussi davantage d’opportunités et de volonté pour nos jeunes d’aller travailler à l’étranger dans un contexte de mondialisation. Ces facteurs conjoncturels ont conduit à ce cycle.

Il est essentiel de noter que cette immigration de main-d’œuvre crée des relations économiques en influençant l’offre et la demande de main-d’œuvre. Elle affecte les salaires et l’emploi, contribue aux finances publiques, stimule la croissance économique et favorise le commerce et l’investissement. 

Bien que souvent associée à une concurrence accrue pour l’emploi et à des pressions salariales potentielles, la recherche montre généralement un faible impact global sur l’emploi et les salaires des travailleurs autochtones. Les effets positifs découlant de la consommation, de l’entrepreneuriat et de la complémentarité des compétences des immigrants.

Ces changements ont des effets positifs sur le marché du travail et devraient techniquement produire la même polarité sur nos finances publiques et budgétaires. 

À mesure que le paysage socioculturel et politique du pays s’améliore (ou se détériore, tant au niveau national qu’international), nous pourrions voir de plus en plus de nos concitoyens rester au pays. 
Cependant, si nous nous engageons véritablement dans un développement socio-économique plus fort, nous nous attendons à ce que cette tendance se maintienne au cours des prochaines décennies, et non l’inverse.

« L’identité ne se résume pas à un mot ! » 

Comme à différentes étapes de son développement dans le passé, l’ile Maurice s’en est sortie en misant sur la formation. Quels sont les secteurs qui nécessitent des formations afin, d’une part, d’offrir des perspectives de jobs aux jeunes et, d’autre part, de dynamiser notre économie ?
Nous pensons que les secteurs technologique et agricole en bénéficieraient grandement au cours des prochains cycles.

Il est essentiel que nos programmes d’enseignement primaire et secondaire intègrent cette dimension dans le monde hautement technologique actuel, marqué par l’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle. 

C’est vers cette transition que le monde évolue de plus en plus, et nous sommes convaincus qu’il est judicieux d’adapter nos systèmes éducatifs et professionnels.

Enfin, nous constatons que de plus en plus de jeunes, de nouveaux « agripreneurs » diplômés, reviennent vers l’activité la plus durable qui soit : l’agriculture (dont l’aquaculture et la pêche). 

Il s’agit d’un secteur très attractif et soutenable où, selon nous, les progrès technologiques amélioreront les rendements et les marges économiques.

Est-ce que vous voyez le secteur privé mauricien, dont ses conglomérats familiaux historiques – s’engager pleinement dans de gros projets à l’échelle nationale et aussi en faveur des PME ? 
Dans une certaine mesure, oui, et dans d’autres, non.

Le modèle économique des conglomérats est voué à disparaître, car il s’agit d’un modèle ancien, remontant aux années 1970 aux États-Unis.

Le modèle de conglomérat des années 1970, qui impliquait l’acquisition par des entreprises de diverses activités indépendantes, est devenu obsolète. C’est en raison d’un changement de politique antitrust au US (en partie), de difficultés économiques et d’une perte de confiance dans les avantages liés à la taille des entreprises et à la décentralisation. Cette période avait vu l’émergence d’un marché actif du contrôle des entreprises, conduisant à la dé-conglomération et à une focalisation sur la valeur actionnariale et la responsabilité managériale, marquant ainsi le déclin du modèle.

Ce modèle de conglomérat se révèle donc aujourd’hui relativement peu attrayant, avec un coût du capital relativement élevé et un rendement du capital actionnarial plus faible. Ce qui pourrait ne pas être suffisamment durable et attractif au cours des prochaines années, voire décennies.

Nous supposons, de manière plausible, que l’île Maurice, en tant que nation et, espérons-le, puissance financière et économique africaine, revienne au modèle économique spécialisé, à mesure que nous progressons sur le continent africain.

« Il y a toujours deux côtés à une médaille, surtout à l’avenir. »

Un certain nombre d’observateurs économiques font état des contraintes liées à l’étroitesse du marché mauricien, aussi font-ils valoir l’urgence de donner un nouveau souffle à nos relations bilatérales avec certains pays africains à travers nos accords. Faisons-nous suffisamment dans ce sens ?
Ces perspectives sont tout à fait justes, comme je l’ai mentionné précédemment.

« Assez n’est jamais assez. »

En conclusion, permettez- moi de citer cet ancien adage rosicrucien : « C’est de son ignorance, et surtout de son ignorance, que l’homme doit se libérer. »
 

 

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