Il a grandi bercé par les ragas de sa mère et les cassettes rock de son père. Aujourd’hui installé à Montréal, Shylome, 32 ans, incarne cette génération d’artistes qui osent croire en leurs rêves. Pour lui, la musique est une vocation absolue.
«La musique n’est pas ma passion. C’est mon mode de vie. Ma vocation. » Shylome, 32 ans, parle de musique avec un calme lumineux, comme si chaque mot portait encore une vibration. « On ne fuit pas ce pour quoi on est fait. » À l’écouter, on comprend vite : il n’a jamais vraiment eu le choix. La musique l’a choisi avant qu’il ne choisisse la musique.
Né à Mahébourg, les pieds dans le sable et les oreilles tournées vers l’horizon, il a grandi dans une maison où les frontières entre les genres n’existaient pas. Sa mère, Shalinee Appadoo, chanteuse hindustani et carnatique, répétait dans le salon ses gammes longues comme des prières. Son père, amoureux des cassettes, faisait planer Elvis, Patsy Cline, Chuck Berry, Dolly Parton, Stevie Wonder et George Michael au-dessus de la table à manger.
« Je n’ai jamais connu le silence », sourit-il. « La musique était partout, du matin au soir. » Si l’on cherche une image fondatrice, on la trouverait dans ce petit garçon fasciné par les concerts de sa mère, attentif aux nuances, absorbé par l’énergie. Ce n’était pas de la curiosité : c’était une évidence.
Ironie du destin : il rêvait d’être… batteur. Il rit en y repensant. « On me disait que la guitare était trop difficile. Et mon père était persuadé que j’abandonnerais comme les autres gamins. »
En 2005, il n’a que 12 ans quand la magie opère : sous le sapin de Noël, sa première guitare l’attend. « J’ai su tout de suite. La sonorité… c’était autre chose. Comme si quelque chose se mettait à sa place en moi. » L’apprentissage ? Chaotique. Sans professeur, sans diapason, sans internet. Il accorde sa guitare en open G, persuadé que c’était normal. Il imite un ami étudiant au Conservatoire François Mitterrand (FM). Parfois, il invente. Souvent, il se trompe. Mais il continue.
Le jazz, c’est la vérité. On ne peut pas tricher. On raconte ce qu’on est à ce moment précis.»
À 14 ans, avec un camarade, il joue à reconnaître les notes « à l’aveugle », dans un jeu improvisé. Ils ignorent alors qu’ils expérimentent… l’oreille absolue.
Les années passent, deux univers s’imposent à lui : le blues et le jazz. Dans ces musiques, il trouve ce qu’il n’a jamais cherché ailleurs : la liberté. « Le jazz, c’est la vérité. On ne peut pas tricher. On improvise, on se livre, on raconte ce qu’on est à ce moment précis. »
En 2016, lors de sa dernière année d’université, il retourne au conservatoire pour consolider ses bases, cette fois accompagné de Patrick Desvaux, figure majeure de la musique mauricienne. « Il a mis de l’ordre dans mon chaos », dit-il avec reconnaissance.
C’est à cette période qu’il fonde avec Derek Mahomudally, Patrice Madré et Florian Roussety le groupe Cadenza Moris, un projet de compositions originales, rythmé, vivant, résolument mauricien. Le groupe fait ses preuves, pose sa signature musicale, puis marque une pause de cinq ans. « Mais on revient. Décembre 2025, Cadenza Moris renaît. » Son regard s’illumine : l’histoire n’est pas terminée.
2023 marque un tournant. Le cœur lourd, il quitte Maurice pour Montréal, emportant sa guitare, quelques partitions et un espoir immense. Il poursuit un diplôme en performance jazz (University of West London – via le Conservatoire FM), sous la tutelle de Neshen Teeroovengadum. « Partir, c’est mourir un peu. Mais rester… c’est ne jamais se découvrir. »
Le froid canadien le saisit, mais la scène musicale montréalaise l’accueille. Jam sessions, studios indépendants, collaborations improvisées : il s’y jette comme on se jette à la mer. Aujourd’hui, il est musicien freelance, compositeur, arrangeur et professeur de guitare à temps partiel. Et, surtout, il joue. Presque chaque jour.
Malgré les kilomètres, il continue de collaborer avec des artistes mauriciens. « Les réseaux sociaux nous ont rapprochés. Je reçois des projets, des demandes d’arrangements, des compositions… Je travaille à distance, mais l’âme reste la même. »
Il parle de Maurice avec douceur. Les rues de Mahébourg, le vent salé, les couchers de soleil, les répétitions improvisées dans une chambre minuscule, tout cela vit encore en lui. « Je suis parti de Maurice, mais Maurice n’est jamais parti de moi. »
À 32 ans, Shylome explore, compose, enseigne. Il se cherche parfois, se trouve souvent. Il avance sans bruit, mais avec une détermination rare. Ses journées s’enchaînent entre enseignement, projets musicaux, sessions de composition tardives, répétitions, collaborations mauriciennes… Toujours avec cette phrase en tête : « La musique, c’est mon royaume. »
Et dans ce royaume, il n’est ni roi ni sujet. Il est pèlerin, libre, passionné, habité. Le fils de Mahébourg devenu musicien du monde.
L’ère de l’IA : menace ou renouveau ?
Il observe le monde musical se transformer. Les logiciels qui composent, les voix synthétiques, les arrangements automatisés. Certains musiciens ont peur. Pas lui.
« L’intelligence artificielle changera tout, oui. Mais elle ne remplacera jamais la connexion humaine, le regard entre musiciens, l’énergie du live. Une machine ne transpire pas. Elle n’a pas un cœur qui bat plus vite à cause d’une impro réussie. »
Il est lucide, pas naïf. Mais surtout, il reste optimiste.
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