Quarante tatoueurs venus d’horizons différents ont investi Ébène pour la première convention internationale de tatouage organisée à Maurice. Deux jours pour découvrir l’art sous toutes ses aiguilles.
Le bourdonnement est continu, hypnotique. Dans le hall du Hennessy Park Hotel, à Ébène, quarante dermographes vrombissent en chœur. L’air sent l’encre et l’antiseptique. Penchés sur leurs clients, des tatoueurs de Maurice, de La Réunion, de Suisse, de France et de Rodrigues gravent la peau au millimètre près. Bienvenue au Festival Tatwaz Moris, la toute première convention internationale de tatouage jamais organisée à Maurice.
« C’est la toute première convention de l’île Maurice qu’on a pu faire jusqu’à présent », lance Krish Goorye, fondateur de l’association Tatouages Maurice, en naviguant entre les stands. L’homme affiche une fierté non dissimulée. « On a 40 tatoueurs, locaux et internationaux. Donc pour nous, c’est une très belle initiative parce qu’on a pu regrouper quasiment beaucoup de tatoueurs et beaucoup d’univers qui sont complètement différents. »
Autour de lui, le spectacle est saisissant. Des motifs polynésiens côtoient des pièces réalistes en noir et gris, des compositions japonaises traditionnelles voisinent avec du néo-traditionnel explosant de couleurs. Chaque stand est un monde à part entière.
Pour Krish Goorye, cette convention comble un vide criant : « À Maurice, nous n’avons pas de plateforme pour mettre en avant les tatoueurs. Aujourd’hui, c’est ce qu’on a fait. »
À quelques mètres, Lindsay Prosper observe la scène d’un œil satisfait. Fort de quarante-sept ans de métier, le doyen des tatoueurs mauriciens a vu défiler les modes et les préjugés. « Il était temps, ça c’est une première. Là, les gens vont commencer à comprendre ce que c’est, parce que, des fois, on dit tatouage, il n’y a qu’une quantité restreinte de gens qui le savent. Aujourd’hui, on expose, les gens passent, ils voient, ils regardent. »
Justement, ils regardent. Dès l’ouverture jeudi matin, les curieux se pressent. Certains viennent admirer, d’autres franchissent le pas et tendent leur bras, leur dos, leur mollet. Les aiguilles entament leur danse.
Micky de Micky’Ink a fait le voyage depuis La Réunion. « Ça fait trois mois que j’ai vu l’annonce et j’ai voulu diversifier et voir autre chose. Il y a une bonne ambiance », sourit-il en préparant ses encres. Pour cet artiste, le voyage en valait la peine : l’effervescence est palpable, les échanges entre tatoueurs électrisent l’atmosphère.
Non loin, Séverine de Inked by Her rectifie le pochoir sur le bras de sa cliente. Cette ancienne fonctionnaire a tout plaqué pour vivre de sa passion. « Il n’y a pas beaucoup de femmes tatoueuses. Au début, il y avait des commentaires comme le fait que c’est ‘un travail d’homme’, mais quand quelqu’un montre son talent et son potentiel, c’est remplacé par des compliments », raconte-t-elle. Son regard s’illumine : « C’est une passion pour moi qui ai quitté mon emploi de fonctionnaire pour faire ça. Quand je me lève chaque jour, je suis contente d’aller au boulot. »
À ses côtés, Sarah de Lakaz Tatwaz partage un secret de fabrication : « Je dessine et mon mari tatoue. La convention se passe super bien. » Un tandem créatif qui fonctionne à merveille.
Pour départager tant de talent, il a fallu convoquer un jury de choc. Spok Tattoo, neuf ans de métier, spécialiste de la pop culture et du japonais, ne cache pas son enthousiasme : « Une expérience incroyable : organisation parfaite, participants talentueux, jury au top et une ambiance de folie. Hâte de revenir pour la prochaine édition. » Lemoine, dix ans de pratique en old school américain, abonde : « Ce fut un réel plaisir de partager ce moment avec tout le monde. »
Mais c’est peut-être Stoo, figure légendaire avec plus de trente ans de carrière et multiple vainqueur du Mondial du Tatouage, installé à La Réunion, qui résume le mieux l’enjeu : « C’est le début d’une belle aventure qui ne fait que commencer. »
Jeudi, les concours « Best of Day » ont récompensé les meilleurs tatouages dans plusieurs catégories. Vendredi, l’étau s’est resserré pour le jugement des catégories restantes avant le moment tant attendu : l’annonce du « Best of Show », le titre suprême du meilleur tatouage de la convention.
Lorsque son nom résonne dans les haut-parleurs, Miguel Leveque n’en croit pas ses oreilles. À 30 ans, ce tatoueur du salon BlackRose à Sainte-Croix vient de décrocher le Graal : le Best of Show, devant des artistes chevronnés venus d’autres cieux. « Je n’imaginais vraiment pas ce qui allait arriver… J’ai présenté une pièce qui représentait pour moi un véritable rêve, et j’ai eu l’immense honneur de décrocher la première place du Best of Show », confie-t-il, encore sous le choc. Puis, dans un souffle, comme une promesse : « Ce n’est que le début de mon histoire. »
Autour de lui, les applaudissements fusent. Des confrères viennent le féliciter, lui tapent dans le dos. Pour la communauté du tatouage mauricienne, longtemps restée dans l’ombre des grandes conventions régionales, ce triomphe local résonne comme une consécration.
Vendredi soir, quand les dernières machines s’éteignent et que les artistes rangent leurs encres, Krish Goorye et son équipe ont déjà la tête tournée vers l’avenir. La prochaine édition est dans tous les esprits.
Tatwaz Moris 2025 restera comme la date officielle de l’entrée de Maurice sur la scène internationale du tatouage. En deux jours, quarante artistes ont prouvé que l’île avait du talent à revendre. Et que l’aiguille mauricienne n’a pas fini de faire parler d’elle.
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