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Yvan Martial : «Le pays progresse heureusement sans le politicien»

Le journaliste, écrivain et ancien rédacteur en chef jette un regard sans complaisance sur nos 55 ans d’Indépendance. Selon Yvan Martial, la population mauricienne peut être optimiste par rapport à son avenir si elle prend les bonnes décisions. Il formule aussi plusieurs propositions pour avancer, dont un nouveau système électoral dont il décrit les contours.  

Ce 12 mars, Maurice fête ses 55 ans d’Indépendance. Que faut-il retenir du chemin parcouru par le pays depuis 1968 ?
Le plus simple est de comparer le 12 mars 2023 au 12 mars 1968. À cette date, notre quadricolore, aussi esthétique que les pièces d’un jeu de Lego aux couleurs tellement primaires, s’élève pour la première fois dans le ciel de notre Champ de Mars, encore le temple de la fraternisation autour du cheval de course, et pour une fois pas inondée par les pluies torrentielles de mars. Il flotte pour le plus grand plaisir d’un Mauricien sur… deux. Mais également au plus grand déplaisir d’un Mauricien sur deux. La misère sévit désespérément à Maurice comme à Rodrigues. La surpopulation de même. La population croît de 3 % chaque année. Le Sucre annonce qu’il ne peut plus nourrir les Mauriciens à raison d’une tonne de sucre par tête de pipe. La Perfide Albion se débarrasse de nous après nous avoir volé nos Chagos et permettre aux Étatsuniens, coupables du génocide d’Indiens d’Amérique, de squatter notre Diego Garcia pour y faire une base nucléaire et peut-être même une prison du genre Guantanamo. La Perfide Albion ne nous pardonne pas d’être originaires de l’Inde à raison de sept Mauriciens sur 10 et d’être originaires d’Afrique à raison de trois autres sur 10. Nous sommes de surcroît davantage francophones qu’anglophones.

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Il y aura aussi les bagarres raciales…
Le 12 mars 1968, nous sortons tout juste de semaines de bagarres raciales des plus meurtrières. Elles dépeuplent Port-Louis pour entasser des réfugiés dans de futurs ghettos à Richelieu, Barkly, Camp-Levieux, Mangalkhan, Cités Atlee et Joachim, La Cure, Roche-Bois-Dépotoir, Kalyptis. Elles dépeuplent des villes et des faubourgs pour entasser des réfugiés dans les hauteurs de Tranquebar, Vallée-Pitot, Bangladesh, Cité Gabriel-Martial. Des soldats… anglais, appelés en renfort, traquent les Mauriciens, risquant leur liberté pour se rendre au boulot en plein couvre-feu. L’état d’urgence sévit. Il ne durera que six mois. Idem pour la censure militaire de la presse. Par contre, celui décrété par Seewoosagur Ramgoolam en décembre 1971 durera jusqu’au… 12 mars 1978. Plus de six ans. Elle, l’ignoble censure de la presse, durera jusqu’au sommet de l’OUA, c’est-à-dire mi-1976. Près de cinq ans. Avec l’esclavage de devoir soumettre à des censeurs-gabelous la première épreuve de chaque page de journal à paraître.

L’humiliation de devoir mendier leur autorisation tellement capricieuse, tellement machiavélique. Voici pourtant le pire méfait des bagarres raciales : elles explosent et ridiculisent le système électoral patiemment mis au point par Banwell et Greenwood. Toujours le nôtre pourtant. Toujours en vigueur alors qu’il n’est que l’ombre de ce qu’il aurait dû être. Plus de 55 ans avec une roue électorale crevée.

Carrée de surcroît. Il prévoyait 20 circonscriptions, comptant entre 22 000 et… 25 000 électeurs. L’écart entre la plus peuplée et la moins peuplée est initialement, le 7 septembre 1968 en tout cas, de seulement 3 000.

Et maintenant ?
Nos 20 circonscriptions existent toujours. Les plus peuplées comptent jusqu’à trois fois plus d’électeurs que les moins peuplées. Honte à tous nos dirigeants politiques depuis 1968 qui nous imposent un système électoral devenu une caricature de celui adopté avant l’Indépendance. Je n’ai pas encore déploré l’exode des cerveaux des années 1960 et suivantes. Et crétin est qui pense que pareil fléau n’affecte que la composante créole de notre population salade-de-fruits. Qu’une cellule pensante émigre et c’est l’ensemble du corps qui pâtit. Je préfère encore mon pays Maurice du 12 mars 2023 à la colonie de l’occupation anglaise.Malgré la propagande ministérielle télévisée vespérale quotidienne… Malgré nos gabelous transférés punitivement pour avoir été surpris sifflotant Oh! Oh! …deep in my heart I do believe That we shall overcome some day. Nous progressons. Et il en sera toujours ainsi. Je crois en les vertus triomphantes de mes sœurs et frères mauriciens. Ensemble, nous vivons une existence sur terre que bien des peuples peuvent nous envier. Ce n’est certes pas le paradis. Mais l’enfer de nos défauts les plus criards vaut largement les paradis de peuples simplement plus menteurs que nous.

Quels sont les moments les plus marquants depuis l’Indépendance ?
Ils sont chaque heure de chaque jour de chacune des 55 années qui nous séparent de la fin de l’occupation anglaise de Maurice. Notre pays est pratiquement privé de ressources naturelles. Nous produisons et exportons le fruit du travail incessant de chaque habitant, de chaque compatriote. Pas de pétrole, ni de diamant, sous notre terre, mais chaque devise étrangère est gagnée à la sueur de notre front, à la force de nos bras, en utilisant notre matière grise. Nous avons créé des centaines de milliers d’emplois productifs, permettant à un 1,2 million de personnes de vivre heureux mais raisonnablement, sans chercher à snober voisins, proches, collègues. Nous savons nous contenter de ce que nous avons. On peut certes redire de certains d’entre nous, mais dans l’ensemble, c’est toute une population qui se lève chaque matin pour apporter, heureuse et épanouie, sa contribution à la prospérité de notre pays natal, sinon ancestral. Des politiciens plus vantards viennent certes nous raconter, à longueur de journal télévisé, que nous leur devons ceci ou cela. Laissons-les à leurs illusions, à leurs affabulations. Ils se répètent ad nauseam, car ils savent ne pas pouvoir nous convaincre. Les moments les plus marquants de notre existence demeurent tout de même quand un inconnu ou presque nous aborde pour nous confier ses rêves, ses préoccupations, ses désolations. Vous ne le connaissez pas, mais il vous choisit comme confident. Nous ne méritons pas toujours les dirigeants qui règlementent notre existence quotidienne. Mais comme nous les plébiscitons, lustre après lustre, nous devons nous prendre à nous-mêmes si nous ne sommes pas foutus de voter plus intelligemment.

Depuis son indépendance, Maurice a connu un rythme de développement plutôt élevé. Pensez-vous que le pays pourra maintenir ce cap ou est-il arrivé à la fin d’un cycle ?  
Nul ne peut prétendre savoir ce que sera demain. Mais au regard du parcours effectué hier, de la situation relativement assurée d’aujourd’hui, surtout quand nous comparons la nôtre aux innombrables doléances de peuples qui se prétendent plus développés que nous, nous pouvons, nous devons, faire confiance à notre demain, à l’avenir du pays Maurice des enfants de nos enfants. Nous devons notre présente prospérité à notre travail, s’ajoutant à celui, quotidien et tenace, de chacun de nos compatriotes. A priori, il n’y a aucune raison que notre demain diffère de notre aujourd’hui et de nos jours passés. Les temps changent. Mais les enfants d’aujourd’hui ont davantage de moyens sophistiqués pour s’instruire par eux-mêmes que les enfants colonisés de l’occupation anglaise. Demain comme aujourd’hui, comme hier, les meilleurs seront plus débrouillards que ceux attendant stupidement qu’un « catora » de riz leur tombe tout cuit du ciel. Le pays pourra toujours compter sur les meilleurs d’entre nous, sur la réussite des plus compétents, des plus serviables. Ils sauront nous consoler de ceux se prétendant notre sauveur alors qu’ils excellent dans l’art de nous rouler dans la mélasse. 

Sur le plan politique, on constate que ce sont les mêmes partis politiques et les mêmes patronymes qui se sont succédé au pouvoir. Pourquoi selon vous ? 
Normal puisque c’est une majorité d’entre nous qui tient bêtement mordicus aux mêmes fils à papa politiques. Il ne tient qu’à cette majorité d’entre nous d’oser un changement hors de ces fils à papa. La politique n’est plus un service sacré des autres mais une carrière finalement bâtie sur la démagogie la plus outrancière. Il suffit, si l’on possède un bon acte de naissance, d’investir quelques dizaines de millions, même frelatés qu’on peut blanchir si le besoin se fait sentir. Certains s’obnubilent de cette mendicité chronique derrière une carotte électorale, puis ministérielle. Laissons-les à leur sébile. Il y a peut-être des « bolom sarite » heureux. Il faut de tout pour faire un « immonde ».

Mais si la politique active doit rester ce qu’elle doit être, à savoir de se mettre jour après jour au service des autres, avec priorité pour les moins chanceux d’entre nous, il n’y a nul besoin d’un parti politique. Il suffit de se demander : comment puis-je aujourd’hui, en ce jour qui commence, servir le mieux mon pays et mes compatriotes, compte tenu de mes qualités mais aussi de mes défauts ? Et tant mieux pour nous si certains nous savent gré de ce que nous voulons faire pour être au service de tous, sinon des plus pauvres. Ne rêvons surtout pas que nos efforts puissent nous valoir l’offre d’un ticket électoral. Si demain, un leader politique de vieille souche vous fait pareille offre, subodorerez tout de suite le risque qu’il vous prenne pour quelqu’un capable du pire (métamorphoser, par exemple, vos péchés en vertus, lors d’une conférence de presse ou d’un journal télévisé, tambouriner sur un pupitre parlementaire pour masquer la malfaisance d’une démagogie ministérielle, baiser servilement une main se prétendant nourricière, présider une séance parlementaire avec ce qu’il faut de curieuse hystérie, occire un agent ou un bras droit, protéger un commerçant de la mort, bref faire rougir votre ange gardien). Laissons volontiers cette gadoue à d’autres.  

Précisons toutefois qu’une majorité d’entre nous, la gent féminine mauricienne, peut dès demain s’organiser pour créer un parti politique des femmes mauriciennes, pour les femmes et par les femmes, avec bien sûr un leader femme. À cette dernière, je donnerais un unique conseil : permettez aux femmes de chaque circonscription de décider par elles-mêmes qui seront les candidates devant défendre les chances électorales de ce parti sans homme. J’ai déjà donné ce conseil à une jeune femme prometteuse. Hélas, elle l’a échangé contre un ticket électoral. Mais je lui garde confiance. Je la connais assez pour savoir qu’elle n’a pas dit son dernier mot. Vidula Nababsing, accepte de devenir notre prochain Premier ministre !      

Le fait de toujours voir les mêmes au pouvoir, est-ce un échec de notre démocratie ? 
La démocratie est le pire des systèmes politiques, sauf que nous n’avons rien inventé de mieux à ce jour. Nous ne pouvons attendre d’un système faute de mieux qu’il soit sans faute comme qui vous savez. Mais si les mêmes sont toujours au pouvoir, c’est parce que nous, électeurs, avons honteusement fauté. Moi le premier. Cela fait 11 fois que je vote aux législatives depuis l’indépendance. Chaque fois je mets une croix sur les trois candidats que j’abhorre le plus. À ma grande déconvenue, je les retrouve réélus après l’opération casse-boîte. Comment se débarrasser des mêmes au pouvoir si nous ne pouvons même pas mettre une croix sur eux ? Mais consolons-nous. Il se peut qu’en voulant remplacer ceux au pouvoir par d’autres, nou sap dan karay pou tonb dan dife.  

Mais le pire échec de notre classe politique, c’est d’avoir réduit nos municipalités et, dans une certaine mesure, nos conseils de district à une complète insignifiance, au point qu’un maire ou un président de district ne peut plus acheter un gâteau piment sans l’aval préalable du ministère des Administrations régionales, d’un Private Parliamentary Secretary ou de la National Development Unit. Autre scandale encore plus scandaleux : la disparition de nos élections municipales. Honte aux Mauriciens tolérant pareil scandale, pareil affront à une démocratie mauricienne digne de ce nom. Nos ancêtres rougissent de honte en contemplant notre aplatissement.     

Les Mauriciens sont-ils prêts pour un vrai renouveau politique ou ont-ils peur du changement ? 
Nous sommes des froussards patentés. Une majorité d’entre nous sont convaincus que, sans nos fils à papa politiques, notre pays Maurice ira à vau-l’eau. Comment leur en vouloir d’exploiter ignominieusement notre couardise ? Tout changement est aussi sinon surtout un saut dans l’inconnu. Et si le changement était pire que le statu quo ? Enn ti lisien vaut mieux que de ti lerat. Nous réfléchissons avec nos tripes au lieu d’utiliser nos méninges. Dans un sens, nous avons peut-être beaucoup de chance. Une nation de trouillards de notre acabit aurait pu avoir de plus mauvaises notes aux classements internationaux. Mais nous devons nous ressaisir car il paraît que nous prenons une pente glissante. Des classements plutôt bidons prétendent que des pays collectionnant les coups d’État seraient plus démocratiques que nous, malgré nos 27 élections législatives entre 1885 et 2019, dont 14 au suffrage universel sans être jamais globalement contestées entre 1959 et 2019, soit une tous les quatre ans et trois mois, sans oublier les changements complets de régime comme en 1982, 1995, 2000, 2005 et 2014.    

On parle depuis 20 ans de réforme électorale, mais à chaque fois on butte pour les mêmes raisons. À quel point faut-il une réforme et quelle forme doit-elle prendre ? 
J’ignore à quelles raisons vous faites allusion. Je n’en connais qu’une depuis 1982, sinon 1967. C’est la perfidie de notre système électoral, héritage colonialiste de la Perfide Albion, aux mesures d’un dictateur démocratiquement élu, dixit le regretté Yousouf Mohamed, Seewoosagur Ramgoolam, excluant systématiquement la moindre dose de représentation proportionnelle dans nos résultats électoraux. J’en conclus que nos partis politiques, toutes tendances confondues, préfèrent subir le blizzard de la traversée du désert du 0 siège contre 60, pour mieux apprécier le confort d’un gruyère gouvernemental sans opposition aucune en cas de revanche électorale 60-0.  

Nous avons offert à nos partis politiques au moins quatre résultats électoraux du genre, sinon 60-0, du moins majorité parlementaire supérieure à trois quarts des sièges. Folie de notre part car par quatre fois nous avons permis à une alliance électorale de modifier comme bon lui semble notre Constitution, y compris de suspendre l’article 1 de ce document statutaire et décréter que Maurice n’est plus un État de droit démocratique.  

Je ne prends au sérieux un projet de réforme électorale que si c’est le parti au pouvoir qui le propose, en début de mandat, après des consultations sincères avec les partis d’opposition crédibles. Même un parti au pouvoir peut jeter de la poudre aux yeux en guise de réforme électorale. Il n’est même pas capable de légaliser une proposition unanimement acceptée, à savoir de ne plus obliger les candidats à nos législatives à devoir impérieusement déclarer leur appartenance à une de nos quatre communautés électorales, un brin raciste sous couvert de religiosité. Nous voilà condamnés à continuer de subir des candidats créoles mais ministre chinois. Il suffirait ici de remplacer « population générale », ne signifiant rien, par « population mauricienne » pour que nul ne trouve à redire.  

Cinquante-cinq ans après l’indépendance de Maurice, le financement des partis politiques n’est toujours pas réglementé. Avec les dirigeants d’aujourd’hui et les grands partis qui se succèdent à l’Assemblée nationale, est-ce que ce sera possible et pourquoi faut-il mettre de l’ordre à ce niveau-là ? 
Normalement, un parti n’a pas besoin de financement. La politique, au sens le plus noble du terme, est un acte d’amour consistant à se mettre au service des autres, de son pays et de sa ville, mais en commençant par son environnement immédiat, à savoir son village, son quartier urbain, sa cité résidentielle, ainsi que son environnement professionnel et social. On doit faire cela sans aucun intérêt vénal, sans aucune recherche de gains personnels surtout financiers, sans aucune ambition surtout carriériste, mais uniquement pour rendre service à ceux qu’on aime plus que soi-même. 

Tout leader politique qui se respecte devrait se méfier comme de la peste de tout serviteur politicien se mettant à réclamer ne serait-ce qu’un pain fourré pour avoir donné une journée de travail à la préparation d’une quelconque manifestation partisane. Ce leader ne doit jamais choisir ceux devant grimper dans l’échelle hiérarchique du parti. Il doit laisser ce soin aux partisans du secteur concerné, qu’il s’agisse d’un village, d’un quartier urbain, d’une cité résidentielle, d’une profession, d’une ville, d’un district, voire d’une candidature parlementaire. 

Nul besoin de financement politique quand on invite le Peuple à désigner les candidats qu’il préfère. Une autre conviction : pas question de demander aux contribuables de tirer le moindre sou de leur poche pour financer un quelconque parti. Après tout, nous n’obligeons personne à se porter candidat à une quelconque élection. 

Faudrait-il effectuer un toilettage de la Constitution et si oui, pourquoi ? 
Oui mais à trois conditions sine qua non. Premièrement, cela doit être une décision d’un Premier ministre en début de mandat quinquennal avec un engagement solennel de mettre à exécution, sans modification, les recommandations de la seconde condition. 

Deuxièmement, il faut la mise sur pied d’une commission de légistes présidée par un ancien juge, chef de préférence, et d’une demi-douzaine de légistes reconnus par leurs pairs pour leur maîtrise de la chose constitutionnelle. Libre à ces derniers de coopter comme bon leur semble d’autres confrères et consœurs compétents, y compris mais pas forcément, dans la classe politique, pour s’occuper de points secondaires particuliers. 

Troisièmement, cette commission procédera à une remise à jour de notre système électoral, y compris deux choses : une dose minimale initiale de représentation proportionnelle pour identifier des députés correctifs, permettant à certaines communautés ethniques ou religieuses de ne pas être lésées par une sous-représentation parlementaire excessive mais sans modifier le résultat électoral ; et un nouveau découpage de circonscriptions de nature concentrique, avec ligne médiane en cas de superposition, et axée sur vingt agglomérations majeures, à savoir 1. Cité Vallijee, 2. Rue Volcy-Pougnet, 3. Square Kadhafi 4. Terre-Rouge, 5. Triolet, 6. Goodlands, 7. Piton, 8. Saint-Pierre, 9. Centre-de-Flacq, 10. Montagne-Blanche, 11. Mahébourg, 12. Rose-Belle, 13. Rivière-des-Anguilles, 14. Chemin-Grenier, 15. Bambous, 16. Vacoas, 17. Curepipe, 18. Quatre-Bornes, 19. Rose-Hill et 20. Beau-Bassin. Elle établira statistiquement le nombre moyen d’électeurs par circonscription et permettra à certaines d’entre elles, possédant un nombre d’électeurs supérieur à la moyenne, disons par 20 %, de disposer d’un député additionnel. 

Maurice a adopté une culture de l’opacité et de l’absence de redevabilité au sein de ses institutions et de la sphère politique. Est-ce qu’une Freedom of Information Act est plus que jamais nécessaire pour permettre au pays d’avancer ? 
La Freedom of Information Act est une fumisterie seulement capable de faire fantasmer des journalistes assez paresseux pour se contenter de la soupe populaire (dixit Marcel Cabon) que constituent les conférences de presse-dictées et autres communiqués officiels. Des journalistes chevronnés se réjouissent devant une porte lourdement cadenassée. Ils pressentent que les médiocres poireauteront devant, dans l’attente d’un impossible sésame. Entre-temps, débrouillards comme ils sont ou doivent être, ils découvriront le moyen de savoir ce qui se passe dans le secret de ces portes cadenassées et en feront leurs choux gras. 

J’ai eu le privilège de côtoyer des journalistes capables de reconstituer le procès-verbal d’un Conseil des ministres ou d’une rare séance de la Chambre des Courtiers, avant l’institution de la Bourse de Port-Louis. Le mal est d’autant plus grand que les porte-parole des présentes conférences de presse n’ont guère l’envergure d’antan des Mohamad Vayid, Mic Paturau, Benoît Arouff, Harry Tirvengadum, Edouard Lim Fat, Fakhru Currimjee, José Poncini, Jugardish Manrakhan, Megh Pillay, Robert Antoine et tant d’autres penseurs, n’ayant pas une roupie sale devant chaque œil. 

Une Freedom of Information Act ne fera jamais une presse investigatrice de qualité. Mieux vaut compter sur un réseau de contacts stratégiques qui constitue le capital professionnel de chaque journaliste digne de ce nom. Mais je ne sais plus si nous parlons toujours de la même profession. Il suffit de penser aux journalistes dont l’ambition se résume à devenir un amarré de presse d’une grosse légume, politicarde de surcroît. Où peut alors se nicher le devoir sacré d’informer au mieux la population mauricienne, vraiment désireuse de savoir ce qui se passe exactement autour d’elle ? 

Après toutes ces années, on constate qu’il n’y a pas de politique pour « mauricianiser » la société ou pour promouvoir le mauricianisme. Est-ce une lacune majeure ? 
Je n’attends heureusement aucune politique pour mauricianiser notre société. Je me contente de vivre le plus fraternellement possible, en accueillant tout compatriote voulant bien m’accorder quelques minutes d’attention, d’estime et d’amitié. Par définition, le politicien divise pour pouvoir régner sur notre population. Je le sais capable de marcher sur le cadavre de ses parents pour atteindre un objectif, changeant pourtant au gré du vent. Mon pays progresse heureusement sans lui, en tenant compte même de ses méfaits. C’est l’histoire et la geste des Mauriciens et Mauriciennes les plus valeureux, sans distinction de race, de culture, de religion et d’origine, qui m’intéresse au plus haut point, qui me passionne, qui me transporte dans un pays que j’idéalise comme je le veux, sans avoir de comptes à rendre à personne. Que puis-je demander de mieux ? 

On constate que la société est de plus en plus divisée entre des personnes qui deviennent plus riches et d’autres qui stagnent au bas de l’échelle. Doit-on changer de modèle économique ? 
Je côtoie en certaines circonstances exceptionnelles des compatriotes touchant des revenus mensuels cent fois supérieurs aux miens et je me dis : qu’ont-ils que je ne possède pas ? Nous respirons le même air. Le même soleil nous éblouit quand les mêmes pluies torrentielles le permettent. Nous n’avons que 24 heures par jour. Ils collectionnent peut-être des piscines. J’ai une baignoire. 

Leurs bolides et ma « cachiak charly » possèdent pareillement quatre roues, un moteur, un volant et des freins. Nous devons respecter les mêmes limites de vitesse. Nous subissons les mêmes embouteillages. Ils se croient obligés de changer de voiture tous les trois ans ou avant s’ils s’aperçoivent qu’un rival possède un bolide plus perfectionné que les leurs. Ma « cachiak charly » va sur ses 10 ans et je veux la garder le plus longtemps possible. 

En revanche, quand je jette un regard sur ma collection de livres d’auteurs mauriciens, ma documentation, mes collections de journaux, mes notes et mes recherches, je me demande s’ils disposent de pareils trésors. Mais je ne me fais aucune illusion. Leurs richesses comme mes trésors sont poussière et redeviendront poussière. Seule compte la richesse de l’esprit, surtout si elle est immortelle. 

Le flux migratoire des Mauriciens semble avoir repris avec beaucoup de jeunes et de professionnels qui quittent le pays. Que faut-il en penser ? 
J’admire profondément ceux et celles osant aller au-delà du Bell Buoy. Ils ont un courage que je ne possède pas. Je songe ici à Malcolm de Chazal. Un journaliste parisien lui demandait : « Pourquoi ne venez-vous pas à Paris ? » Il répondit, plus superbe que jamais : « Pourquoi irais-je à Paris quand Paris vient vers moi ? » J’ai le plus grand respect pour notre diaspora. Je suis fier qu’aux quatre coins du monde, des Mauriciens et des Mauriciens font l’émerveillement de ceux et celles qu’ils côtoient professionnellement. 

J’ai déjà réclamé, mais en pure perte, le droit de vote pour les Mauriciens et Mauriciennes de notre riche diaspora. Ils sauront alors que nous ne les considérons pas comme des traîtres à la Patrie pour s’aventurer ailleurs mais pour des amoureux de leur pays. Cela nous changera de ces étrangers qui votent par dizaines de milliers sous prétexte qu’ils appartiennent, comme nous, à un Commonwealth anglophone. 

 

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