Société

Sages-femmes: les fées de l’accouchement

Depuis plus de 15 ans, le 5 mai est la Journée mondiale de la sage-femme. C’est l’occasion de découvrir ce métier méconnu du grand public et de rendre hommage aux femmes qui le pratiquent. Rencontres. La sage-femme est une personne qui joue un rôle clé dans la promotion de la santé maternelle. Elle a une place importante dans la communauté mauricienne et jouit d’une certaine considération. Il n’y a pas que les mères qui sont heureuses après l’accouchement. Il y a aussi les sages-femmes, qui participent à l’expérience d’aider la mère à donner la vie. La grossesse, surtout la première, est souvent source d’angoisse et d’interrogations. Passer du statut de femme à celui de mère est une transition rarement dépourvue de doutes. Les accoucheuses traditionnelles ont aussi un rôle de sensibilisatrices. Leur mission est de déceler les signes de danger pendant la grossesse et de proposer des consultations et services prénatals. Les sages-femmes traditionnelles assurent non seulement une naissance en toute sécurité, mais veillent aussi à la survie de la mère.

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15681","attributes":{"class":"media-image size-full wp-image-26380","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"300","alt":"Claire Isra\u00ebl."}}]] Claire Israël.

<
Publicité
/div>

L’accompagnement à la naissance

Une bonne préparation à l’accouchement est importante. C’est l’une des missions des centres de sages-femmes à Floréal et à Grand-Baie. « La grossesse est une période de grands bouleversements. Souvent, les femmes enceintes se retrouvent dans une grande solitude. Elles ressentent des choses nouvelles et différentes et ne sont pas toujours comprises par leur entourage. Elles ont besoin d’être écoutées, de comprendre ce qui se passe dans leur corps. On est donc là pour les aider », livre Claire Israël, sage-femme diplômée de la faculté de médecine Cochin-Port Royal, de l’Université Paris V. Elle se propose d’être la gardienne de la grossesse et de l’accouchement des futures mères. Cela, à travers un accompagnement professionnel. « L’arrivée d’un bébé est un événement très précieux. C’est important d’être accompagnée et préparée », explique-t-elle. Ainsi, le centre de sages-femmes propose plusieurs formations en complémentarité du suivi médical avec le gynécologue-obstétricien. Des cours de préparation à la naissance, un accompagnement à l’accouchement, des visites à domicile prénatales ou postnatales, des consultations de rééducation du périnée et des cours de gymnastique postnatale pour la mère et le bébé sont proposés.

Joie inexprimable

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15682","attributes":{"class":"media-image size-full wp-image-26381","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Feroza Bibi Rujubally."}}]] Feroza Bibi Rujubally.

[row custom_class=""][/row] Feroza Bibi Rujubally, plus connue comme Afroz, 71 ans, est célèbre dans son village natal, Plaine-de-Gersigny, Centre-de-Flacq. Cette femme aux cheveux gris est une référence dans le domaine de la santé maternelle. Aujourd’hui à la retraite, Afroz garde en mémoire son expérience de sage-femme. Car pour cette mère de deux enfants, c’est avant tout une histoire de famille. Elle a tout naturellement suivi les traces de sa grand-mère paternelle, de sa mère et d’une de ses tantes. « Elles étaient toutes sages-femmes. J’ai appris les rouages du métier avec une de mes amies. Je l’accompagnais et j’assistais aux accouchements. Je la regardais faire avec admiration. Puis, je me suis lancée. Depuis, j’ai fait accoucher plusieurs mères dans ma localité. D’ailleurs, je suis très fière lorsque je croise les enfants que j’ai aidés à mettre au monde », dit-elle. « J’ai de la peine à trouver les mots pour décrire ce que je ressens quand je prends le bébé dans mes bras. C’est une joie inexprimable », explique Afroz. « Au moment de l’accouchement, je rassure la mère que tout ira bien. Je la réconforte avec des compresses d’eau chaude posées sur les reins et le ventre. Si arive baba la finn vire dan vant mama la, mo pass delwil dan mo lame pou mo kapav tourn baba la andan. Kan baba la sorti, mo atas nombril la lor ene santimet avek difil. Apre mo koup nombril la avek lame », relate-t-elle. Selon Afroz, si le placenta ne sort pas à l’heure de l’accouchement, elle s’arrange pour provoquer la nausée chez la mère en vue de faire sortir le placenta. Après l’accouchement, Afroz fait la toilette de la mère et du nouveau-né. Ensuite, elle remet ce dernier à la mère pour l’allaitement. « Le placenta est soigneusement lavé, séché et enterré dans le jardin, au pied d’un arbre », ajoute-t-elle. « Après la section du cordon ombilical, on procède à la toilette et à l’habillement. On couvre le corps du nouveau-né d’une poudre odorante », explique Afroz. Cette dernière dit avoir une connaissance étendue des vertus thérapeutiques des plantes. Par exemple, elle fait bouillir une sélection de feuilles et verse l’infusion dans un seau. La femme s’assoit sur ce seau pour recevoir la vapeur de cette infusion. Son ventre est alors débarrassé du sang coagulé. Après cinq jours, des prières sont dites. « Nou fer bann sistem pou tir lizie ar mama e so baba. Lerla nou tap enn plato an inox avek enn gro kwiyer lakwizinn pou ki baba la pa gagn per ar bann tapaz », dit la sage-femme. C’est une tradition censée protéger la mère et le nouveau-né dans la jungle du monde des vivants.

Soins et massages

Pendant douze jours, la sage femme passera tous les jours pour des soins à la mère et au bébé. Elle les masse avec de l’huile et donne le bain à la mère avec de l’eau chaude. « Les mères et les bébés ont besoin de ce type de massage. C’est pour apaiser leurs douleurs et les rendre solides », poursuit-elle. La mère peut aussi à tout moment consulter la sage-femme si elle veut un conseil. Son professionnalisme est connu dans la localité. Elle est très sollicitée par les habitants des villages avoisinants. « Je ne fais pas ce métier pour l’argent, mais pour l’amour que j’ai pour les bébés. C’est pour cette raison qu’ils sont nombreux à solliciter mes services. De nos jours, les femmes enceintes préfèrent profiter des facilités disponibles au dispensaire et à l’hôpital. Elles ont peur d’accoucher à domicile. Nous, les sages-femmes, pouvons aider kan zanfan so likou finn deranze ou si linn gagn ledan voler ». Si le métier de sage-femme est l’un de plus vieux au monde, il a bien changé et est en pleine évolution. C’est une vocation et une passion, explique Yantee Anand. Cette mère de famille, âgée de 71 ans, parle de son métier comme on déguste un gâteau. Avec gourmandise et passion ! Pour elle, être sage-femme est avant tout une belle aventure qu’elle ne se lasse pas de vivre depuis plus d’une cinquantaine d’années. Pourtant, rien ne laissait présager que cette habitante de Pointe-aux-Piments allait un jour toucher la vie du bout de ses doigts. À l’époque, dit-elle, pratiquer un accouchement à domicile était chose courante. « J’exerce le métier de sage-femme depuis l’âge de 20 ans. J’ai appris les rouages du métier sans aucune formation ou aide. C’est pour élever mes six enfants que j’ai décidé d’exercer ce métier », raconte Yantee. Belle-mère, belles-sœurs, voisines et amies peuvent assister à l’accouchement. Les hommes se rassemblent et attendent sous la véranda. « On rassure la future mère. On la met en confiance avant l’arrivée du bébé. Si la mère prend du temps pour accoucher, j’effectue un massage pour aider le bébé à sortir. Une fois qu’il est né, je lui frotte le dos pour le faire pleurer. Mo mesir kordon so nonbri avek kat ledwa avan mo koupe. Mo ti pe servi difil pou koupe. Apre mo finn sanze pou lam ».

À la rescousse de sa sœur

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15683","attributes":{"class":"media-image size-full wp-image-26382","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Yantee Anand."}}]] Yantee Anand.

[row custom_class=""][/row] « Bien que la poche des eaux de ma sœur enceinte avait été fissurée, elle ne ressentait pas de contractions. Li finn gagn so douler trwa zour. Mo finn donn li satini pom damour e bouyon bred bien so pou manze. Ler lakousman, mo finn konstate ki bebe la finn fer tata dan vant mama la. Quand le bébé est sorti, il ne réagissait plus. J’ai tenté en vain de le ranimer pendant plus d’une quinzaine de minutes », se remémore Yantee. Selon elle, le placenta est le compagnon et le protecteur d’un nouveau-né. Pour elle, cet organe est l’ange de l’enfant. « Mo finn alim reso deswit e mo fine bril plasanta la. Juste après, l’enfant de ma sœur s’est mis à pleurer. Ma nièce est aujourd’hui âgée de 28 ans.» Yantee raconte qu’à l’époque, les sages-femmes traditionnelles assistaient 90 % des accouchements. Les femmes préféraient accoucher chez elles. Lorsqu’elles étaient presque à terme, la sage-femme entrait en scène. La majorité des sages-femmes traditionnelles n’avaient jamais reçu de formation. C’est un héritage familial : leurs mères et grand-mères étaient sages-femmes traditionnelles.

Expérience de terrain

Les préparatifs pour l’accouchement : laver la future mère avec de l’eau chaude pour rendre le corps plus fort, lui donner du jus de citron pour activer les contractions, faire des massages qui soulagent les douleurs. « On s’agenouille pour aider la femme à accueillir le bébé », observer Yantee. Les sages-femmes traditionnelles ont une extraordinaire expérience de terrain. Elles apprennent autant par la tradition que par l’expérience. Elles ne perçoivent qu’une rémunération symbolique pour leurs services. « Après la naissance, je donne du miel au bébé. Je pratique aussi des rituels pour le protéger du mauvais œil. Ceux-ci ont une charge et une efficacité symbolique. Cela fonctionne parce qu’on y croit », avance-t-elle. Le nouveau-né est très choyé et entouré par la famille et les voisins. Cette chaleur humaine est réconfortante et l’enfant se sent en sécurité. Il existe aussi des rites religieux pour protéger le bébé : on lui met des colliers, des bracelets ou des amulettes. Tous ces rituels permettent de contrôler et de maîtriser l’angoisse et la peur. Selon Yantee, le métier de sage-femme est faiblement rémunéré. Elle n’a pas bénéficié de formation et ne possédait qu’une connaissance empirique. « J’ai donné la vie à plus d’une centaine d’enfants dans différentes régions de l’île. Le métier de sage-femme est noble. Il faut le faire par vocation, car il requiert une bonne dose de patience », assure-t-elle.

Dr Areff Peerally, gynécologue: « elles ont un QI exceptionnel »

Pour le Dr Areff Peerally, « les sages-femmes traditionnelles ont un QI exceptionnel, bien qu’elles n’aient pas été formées et n’aient pas appris ce métier dans un cadre institutionnel ». Le savoir-faire des sages-femmes relève en réalité d’un apprentissage par observation : elles ont vu faire leur mère ou leur grand-mère. Ce métier est souvent héréditaire, les gestes et connaissances ayant été mémorisés. Le savoir des sages-femmes se transmet de génération en génération, c’est une pratique multiséculaire. Rien n’est écrit et ce savoir relève du patrimoine immatériel de l’humanité. « Il y a encore des cas où les femmes, aidées par des sages-femmes, accouchent à domicile. Dès qu’on est informé, la mère et le nouveau-né sont pris en charge par le personnel du SAMU qui les conduit à l’hôpital. La mère et le nouveau-né reçoivent les soins appropriés. On examine si le cordon ombilical a bien été coupé et désinfecté, entre autres », souligne le gynécologue.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !