Le nombre de femmes sans domicile fixe est en progression constante à Maurice. Malgré l’absence de statistiques pouvant le confirmer, il s’agit d’une triste réalité selon les acteurs de terrain et associatifs. Quelques-uns d’entre eux se sont rencontrés pour discuter sur des recommandations à adresser au gouvernement.
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Elles sont là, mais on ne les voit pas. Elles, ce sont les femmes sans domicile fixe, celles que l’on pourrait surnommer les invisibles. Pour venir en aide à ces femmes, des institutions gouvernementales et non gouvernementales se sont réunies, jeudi dernier. Le Bureau du Directeur des Poursuites Publiques, l’Ombudperson for Children, le National Council for Human Rights et des travailleurs sociaux participaient à cette rencontre. L’objectif de cette démarche est d’établir une liste de recommandations pour une prise en charge individuelle et pédagogique des femmes SDF à Maurice.
Selon Georgina Ragaven, membre de l’Advisory Committee de Passerelle, l’association qui a organisé cette rencontre, les femmes SDF vivent dans des conditions encore plus difficiles que les hommes. « Être à l’extérieur c’est très compliqué et pour une femme ça l’est encore plus, que ce soit sur le plan physique ou émotionnel. Les femmes sans domicile fixe sont exposées à plusieurs dangers dont le viol. Par ailleurs, ces femmes sont aussi exposées à des problèmes d’ordre hygiénique », explique-t-elle. Un White Paper est en préparation.
Priscilla Bignoux, travailleuse sociale : «Améliorer les dispositifs de prise en charge des sans-abris»
La prise en charge des femmes sans domicile fixe ne peut pas se faire à la légère. Il s’agit d’un sujet complexe qui mérite qu’on s’y attarde de façon attentive et réactive. Un avis partagé par la travailleuse sociale, Priscilla Bignoux. En se basant sur son expérience de terrain, elle se dit consternée par ce fléau. « Il existe des structures qui peuvent être utilisées pour la sensibilisation telles que les centres communautaires gérés par le gouvernement. Toutefois, il est triste de constater que l’approche adoptée par les autorités est bien trop livresque. Il s’agit d’êtres humains, nous ne pouvons pas nous contenter de remplir des dossiers qui seront ensuite placés dans des placards. Il faut améliorer les dispositifs de prise en charge des sans-abris et adopter une approche plus humaine », indique-t-elle. Et elle ajoute que ces dispositifs doivent être accessibles à tous.
Michel Vieillesse, National Human Rights Commission : «Il faut unir les familles et non les détruire»
Une femme et ses enfants, qui débarquent dans la rue après que le père se soit retrouvé derrière les barreaux, est un cas de figure très fréquent à Maurice. Ces femmes doivent serrer les dents et continuer à vivre malgré tous les changements que peuvent provoquer l’incarcération du père, pilier de la famille très souvent.
En effet, l’incarcération entraîne des changements importants dans la vie quotidienne, que ce soit sur le plan financier ou au niveau du logement. Tels ont été les points évoqués par Michel Vieillesse lors de la table ronde. Celui-ci souligne encore que les autorités doivent viser à unir les familles et non les détruire. « Dans certains cas, l’incarcération n’est pas la seule solution. Nous parlons ici de délits mineurs où des personnes se retrouvent derrière les barreaux. J’estime qu’il est dangereux de se concentrer uniquement sur comment punir les gens qui vont à l’encontre des lois, il faut également penser à l’impact de l’incarcération sur leur famille. La prison brise de nombreuses familles et de nombreuses femmes se sont ainsi retrouvées à la rue », fait comprendre ce dernier. Il indique aussi que dans certains cas, il faut trouver des alternatives à la prison telles que les travaux communautaires, entre autres.
Me Johan Moutou-Leckning, Senior Assistant, Bureau du DPP : «Il faut mettre en place une structure pour la réhabilitation»
La prise en charge des femmes sans domicile fixe est un sujet auquel le Bureau du DPP accorde une attention toute particulière. C’est ce que souligne Me Johan Moutou-Leckning. Selon elle, il est important d’étudier ce sujet sous différents angles, et ce, afin de trouver une solution à la fois efficace et durable. « II n’y a malheureusement pas de structures adéquates à Maurice pour la prise en charge des femmes SDF. Au Bureau du DPP, nous sommes persuadés que cette problématique mérite une approche holistique. Avant de s’y lancer, il est important de s’attarder sur les facteurs qui poussent les femmes à la rue. Nous œuvrons à maintenir la cellule familiale en favorisant la réhabilitation », souligne-t-elle aussi.
La Senior Assistant souligne que la création d’abris de nuit n’est pas la seule solution à ce problème. « Nous pouvons créer des milliers d’abris pour les femmes sans domicile fixe. Ils ne serviront strictement à rien si nous ne mettons pas en place une structure appropriée que ce soit au niveau judiciaire et autres institutions gouvernementales concernées. En ce moment, la prise en charge légale de ces femmes est très compliquée, car elles ne sont pas toutes des victimes de violences domestiques. Même au niveau de la police, les sans domicile fixe ne tombent sous aucun cadre légal. D’où l’importance d’une approche holistique visant à les encadrer », ajoute Johan Moutou-Leckning. Selon elle, les shelters doivent être des one stop shop offrant un encadrement complet aux femmes SDF incluant une prise en charge médicale, psychologique et pour assurer leur réinsertion sociale.
Ismail Areff Bawamia, Enquêteur au bureau de l’Ombudperson for Children : «Un enfant SDF est privé de ses droits»
Difficile de faire respecter les droits inaliénables des enfants quand on se retrouve jeté à la rue. Si au cours de ces dernières années, le respect des droits des enfants a été la thématique principale de plusieurs campagnes de sensibilisation proposées par les autorités, il reste toujours beaucoup de travail sur le sujet, soutient Ismail Areff Bawamia.
« Nous ne pouvons pas transiger avec les droits des enfants. Si un enfant se retrouve pour une raison ou une autre à la rue, ses droits sont bafoués. L’Ile Maurice est signataire de plusieurs conventions visant à faire respecter les droits humains et des décisions doivent absolument être prises pour endiguer le fléau des femmes sans domicile fixe », affirme l’enquêteur au Bureau de l’Ombudperson for Children.
Pour Ismail Areff Bawamia, un enfant qui vit dans la rue est un mineur semblable à un pilote de course qui a raté le départ, mais qui doit continuer tant bien que mal l’épreuve. « C’est demander l’impossible à l’enfant. Un enfant SDF est en quelque sorte privé de ses droits et cela est tout simplement inadmissible. Et comme pseudo solution à ce problème, nous enlevons cet enfant de sa mère pour le placer dans un centre. Qu’en est-il de ses droits d’appartenir à une famille unie ? Il ne faut pas oublier que la première institution qui doit veiller au respect des droits humains est l’État », précise-t-il. Si cette situation perdure, les enfants des femmes SDF risquent de plonger dans des cercles vicieux, ajoute notre interlocuteur. La solution n’est pas de placer ces enfants dans des shelters, mais de veiller à ce que leurs droits soient pleinement respectés. « Nous ne pouvons pas croiser les bras et attendre une solution miracle. Il faut se concentrer sur l’éducation, et ce, dès maintenant. Que chacun prenne ses responsabilités ! ».
Girty Eleonore, Ag. Citizen Advice Bureau Coordinator, National Development Unit : «La répression n’est pas une solution efficace»
Se concentrer uniquement sur la répression n’est pas une solution efficace, selon Girty Eleonore. Ce dernier précise qu’il est temps de mettre un terme à l’approche traditionnelle adoptée par plusieurs gouvernements depuis de longues décennies. « À Maurice, nous avons la fâcheuse tendance de nous attarder uniquement sur les sanctions appliquées contre ceux ou celles qui enfreignent les lois. Nous nous n’attardons pas sur les facteurs qui poussent ces personnes à commettre un délit ou les situations dans lesquelles elles évoluent. Bon nombre d’entre elles doivent lutter perpétuellement contre la pauvreté et tous les fléaux qui y sont liés. Les autorités délaissent leurs responsabilités et se fient outrancièrement sur les organisations non gouvernementales », met-il en avant.
Notre interlocuteur propose donc la mise en place d’une structure au sein du gouvernement dont la responsabilité serait d’identifier les problèmes sociaux et d’enclencher des mesures pionnières. « C’est une bonne chose de développer le pays, mais cela ne doit pas être notre seule préoccupation. Il faut prendre du recul et identifier les problèmes potentiels afin de pouvoir les prévenir. La prévention est essentielle. Pour que celle-ci soit efficace, chacun doit mettre la main à la pâte », explique-t-il également.
Dr Yasheel Aukhojee, Médecin à domicile : «La santé et l’hygiène, un combat quotidien pour les SDF»
La santé est un aspect important dans la prise en charge des femmes sans domicile fixe. Errantes dans les rues, ces dernières sont souvent exposées à des risques sanitaires. Tel est le constat du Dr Yasheel Aukhojee, directeur de « Médecin à domicile ». Ce dernier s’est donné pour mission d’aider les personnes vulnérables à avoir accès aux soins médicaux. « Les femmes sans domicile fixe sont sujettes à de nombreuses maladies. La plupart d’entre elles ont des carences en nutriments essentiels qui peuvent nuire au bon fonctionnement de leur organisme. Par ailleurs, ces dernières par leur vulnérabilité sur le plan psychologique peuvent sombrer dans la dépression. Comme nous le savons tous, la dépression est un tueur silencieux et peut causer des dégâts considérables à la santé », rapporte ce dernier.
La mise en place d’une structure pour accueillir les femmes SDF serait une solution selon le Dr Yasheel Aukhojee. Il souligne que cette structure doit disposer d’un programme de santé qui puisse répondre aux besoins de ces femmes à la rue.
Parinita Shilpa Gujadhur, fondatrice de l’Indian Women’s Association : «La violence domestique est un sujet complexe»
La violence domestique revêt plusieurs formes. À Maurice, ce type de violence a un lien direct avec la vie difficile des femmes sans domicile fixe. C’est le constat que fait Parinita Shilpa Gujadhur. « La violence domestique est un sujet complexe et qui continue à faire des victimes. Les femmes, qui sont victimes de ce type de violence, ont devant elles que deux options : fuir ou subir.
Malheureusement, quand elles fuient, elles se retrouvent bien souvent à la rue », affirme-t-elle. D’où l’importance de trouver des solutions pour éradiquer la violence domestique. Selon la fondatrice de la Indian Women’s Association, il faut appliquer des mesures avant-gardistes et attaquer le problème profondément à la racine même du mal.
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