Live News

Quand l’intelligence artificielle entre en scène : les artistes mauriciens entre fascination et prudence

Pour King Jenkins, la musique est spirituelle : même l’IA la plus avancée ne peut toucher l’âme. Bonne Jeff Steeve réinvente la musique urbaine avec l’IA, sans limites ni frontières. Ejilen Chellspen utilise l’IA pour booster sa présence médiatique, pas pour composer. Bilygane laisse l’IA gérer la paperasse pour se consacrer pleinement à sa musique.

À Maurice, l’intelligence artificielle (IA) s’invite dans les studios d’enregistrement, sur les réseaux sociaux et même dans la gestion administrative des artistes. Certains y voient un formidable tremplin, d’autres une menace pour l’authenticité de la création. Mais tous reconnaissent une évidence : l’IA change déjà la manière de faire de la musique. Reportage.

Publicité

Jadis, pour composer une chanson, il fallait réunir les musiciens, avoir les bons instruments, puis rester dans le studio d’enregistrement pendant des heures. Aujourd’hui, tout a changé. Il suffit de quelques clics pour générer une mélodie, proposer des accords ou peaufiner un texte. À Maurice, de plus en plus d’artistes expérimentent ces nouvelles possibilités offertes par l’intelligence artificielle.

King Jenkins : la foi avant la technologie

« AI is a powerful tool that can speed up production, suggest melodies, and open new creative directions. But it lacks the emotional depth and authenticity of human experience. The best music still comes when technology supports - not replaces - the artist’s heart and vision », confie l’artiste gospel King Jenkins.

Son constat illustre bien le dilemme auquel font face les créateurs mauriciens : utiliser l’IA comme une béquille technique, sans pour autant lui abandonner l’âme de la musique. Pour King Jenkins, la musique est avant tout une affaire de spiritualité. L’IA, aussi performante soit-elle, ne saurait remplacer ce lien intime avec le divin. « As a Gospel artist from a spiritual perspective, AI is capable of creating music, but not worship. Christian music is the result of prayer, faith, and the Holy Spirit’s guidance. While technology can assist us with sound, only God’s inspiration can lead to genuine worship », dit-il.

Dans son studio, il explore parfois les outils d’IA pour tester des sonorités ou enrichir ses productions. Mais jamais il ne leur confie l’essentiel : l’acte de foi qui anime ses compositions. Pour lui, la technologie n’est qu’un support, jamais un moteur. 


Bonne Jeff Steeve : l’expérimentateur

À 30 ans, Bonne Jeff Steeve incarne une autre approche : celle d’un créateur touche-à-tout qui n’hésite pas à bousculer les codes. Chanteur, auteur, compositeur, réalisateur et distributeur pour Believe Music (France), il fait partie de ces jeunes artistes qui plongent dans l’univers de l’IA avec curiosité. « AI, pou linstan, mo pe servi li pou monte bann instrumental san musiciens, me plis bann lamizik urban ek international… », explique-t-il.

Lui, ce sont surtout les musiques urbaines qui l’attirent, là où l’IA excelle à générer des rythmiques modernes et efficaces. Il raconte comment un simple abonnement peut transformer sa manière de travailler : « To pey enn labonneman, enn an travay la fer. Li koute mem pa prix enn morso ek to gagne fer preski ziska 500 morso par mwa ».

Avec ses cinq nouveaux titres en préparation, dont plusieurs instrumentaux façonnés grâce à l’IA, Bonne Jeff Steeve illustre parfaitement la mutation d’un métier. Le temps et l’argent ne sont plus des obstacles insurmontables. Toutefois, derrière son enthousiasme, une inquiétude pointe : « AI pou fer tou zafer. Zordi li pe pran enn gran lampler dan lindustrie mizikal ».

Il ajoute, avec un sourire : « Mo mem mo trouv mwa defwa koz ar ChatGPT kan mo santi mwa tousel. Li enn prezans virtuel ki fer ou gagne limpression ki ou pa totalman izole ».


Ejilen Chellspen : l’IA comme assistant de communication

À 33 ans, Ejilen Chellspen n’utilise pas l’IA pour composer de la musique, mais plutôt pour renforcer sa présence médiatique. « Mo servi IA ek ChatGPT pou bann publikation lor ban reso socio, me osi pou fer bann pubs. Ena mem bann pubs ki finn 100% desine par IA », indique-t-il. 

Dans son univers artistique, l’IA est devenue un collaborateur discret, mais indispensable. Elle rédige des textes publicitaires, affine les slogans, propose des idées visuelles pour des campagnes. « ChatGPT li byen util pou bann resers osi. Defwa, mo gagn limpresion ki li vinn kouma enn asistan personel », ajoute-t-il.

Là où certains craignent une déshumanisation de la communication artistique, Ejilen y voit au contraire une opportunité : libérer du temps pour se consacrer à la créativité. Il confie : « Kan ou gagne enn zouti ki kapav fer bann tass repetitiv, ou gagn plis lenergie pou met ou lam dan lamizik ».


Louis Emmanuel Ludovic, alias Bilygane : un usage administratif 

À 32 ans, Louis Emmanuel Ludovic, plus connu sous son nom d’artiste Bilygane, a choisi une autre voie encore. Pour lui, l’IA n’est pas d’abord un outil créatif, mais un allier administratif. « J’utilise AI pour tout ce qui concerne l’administration, dont les contrats. J’utilise ChatGPT pour rédiger, vérifier et simplifier mes documents », explique-t-il.

Dans un milieu où la bureaucratie peut vite étouffer la spontanéité artistique, Bilygane a trouvé dans l’IA un moyen de se libérer de la paperasse. Il confie : « Un artiste, ce n’est pas seulement quelqu’un qui monte sur scène. C’est aussi un gestionnaire, un entrepreneur. Si l’IA peut m’aider à clarifier un contrat ou à préparer un dossier, je dis oui ». En externalisant ainsi une partie des contraintes, il peut consacrer davantage d’énergie à ce qui compte : la création et le partage avec son public.

Maurice dans la vague mondiale

Si chaque artiste a sa manière d’utiliser l’intelligence artificielle, tous s’accordent sur un point : l’IA est déjà incontournable. D’un côté, elle offre un gain de temps, une réduction des coûts et une ouverture sur de nouveaux horizons sonores ou visuels. De l’autre, elle fait planer une menace bien réelle sur certains métiers : musiciens de studio, arrangeurs, graphistes, administratifs…

Bonne Jeff Steeve l’admet lui-même : « Li incroyable ki ou kapav fer enn instrumental en quelques minutes. Me derier sa, bizin rapel ki bann musiciens, bann dimounn ki finn etidie lart pandan des annees, zot risque perdi zot plas ». King Jenkins, lui, insiste sur la notion d’authenticité : « La musique, surtout le gospel, ce n’est pas juste des notes. C’est un cri de l’âme, une prière. Aucun algorithme ne peut remplacer ça ».

À l’international, les débats font rage. Des artistes comme Grimes ou Drake ont déjà vu leurs voix clonées par l’IA. Des plateformes, notamment Spotify, se demandent comment encadrer la diffusion de morceaux générés artificiellement. En un mot, l’IA est devenue incontournable dans les conversations artistiques.

  • salon

     

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !