Récipiendaire du Prix Jean-Fanchette 2019 pour son livre Vents d’Est, la romancière française d’origine mauricienne Gabrielle Wiehe séjourne à Maurice en ce moment, où elle rend visite à ses proches et dédicace son roman, entre autres. L’occasion aussi de la rencontrer pour esquisser le portrait d’une femme atypique.
« Je n’aurai sans doute pu écrire ce livre si j’étais restée à Maurice », lâche Gabrielle Wiehe, un madras bicolore nouant ses cheveux châtains et rentrée d’un embouteillage qui lui inspire cette réflexion. « En 10 ans, je note que Maurice a connu plus de développement qu’il aurait fait en 50 ans, mais on coupe trop d’arbres centenaires, ce n’est pas bien pour l’équilibre entre le développement et l’écologie », dit-elle, tout en se nuançant : « Mais, je ne veux pas donner de leçons ni rester dans une forme de nostalgie passéiste. »
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En ce mercredi, en fin d’après-midi, la jeune femme, qui a quitté Maurice à 18 ans et s'est établie à Nice, après avoir vécu à Paris, fait détour à Chennai, dans le Sud de l’Inde et essayé de revivre à Maurice, a choisi de marcher dans les rues de Rose-Hill, cette ville qui l’a vue naître, où elle a baigné dans une multitude ethnique pour finir par lui forger une profonde appartenance à cette ile qu’elle porte secrètement en elle. Et ce livre alors ?
« Au départ, indique-t-elle, je n’avais qu’une première partie du manuscrit et je n’avais aucune intention d’en faire un livre. J’avais un cas de conscience et il y avait trop de choses intimes que je racontais. Puis, à l’arrivée, il y a une rencontre fortuite en 2017 à Paris avec Corinne Fleury, qui dirige la maison d’édition franco-mauricienne L’Atelier des Nomades, ce qui m’a réjouie plutôt que de confier le manuscrit à un éditeur français. Ensuite, j’ai terminé la rédaction du texte. »
« …trop de choses intimes… »
Compromis entre la fiction et la réalité, livre-passerelle, récit de mémoire, Vents d’Est est loin d’être un exercice de style. « J’ai voulu restituer des émotions, une manière de vivre, des souvenirs de mon enfance, de cette Rose-Hill baignée de soleil. C’est un peu spécial pour une famille franco-mauricienne de vivre à Rose-Hill et non à Curepipe même si nous étions bien lotis. Les rapports avec les autres communautés, qu’ils soient social ou culturel, ne sont pas les mêmes. Presque tous les jours, avec mes frères et sœurs, on allait à l’Arab Town, qui n’existait qu’à Rose-Hill », se souvient-elle encore.
La parution du livre a donné lieu à des réactions contrastées, valant notamment à l’auteure quelques observations des grincements de ceux qui se sont reconnus dans ses personnages et certains details. « Pourtant, j’ai pris le soin de modifier certains noms », assure-t-elle, mais sans doute pas assez pour recomposer des faits. « Je m’attendais à ces réactions, il me fallait un matériau réel pour ce récit fictif, il fallait un compromis équilibré entre les deux genres. Je me suis documentée, j’ai obtenu des témoignages des proches, amis et parents et d’autres personnes. Tout cela m’a permise de composer une trame réelle, et même avec une forme fictive, la réalité a fini par faire surface. Mais le livre est avant tout une sorte de puzzle, assemblant des souvenirs et des rêves d’enfance, auxquels j’ai tenté de donner une unité, une cohérence pour parvenir à une lecture limpide, pas compliquée. J’ai écrit ce livre avec mes émotions, mes tripes, tout moi y est renfermée », précise-t-elle.
Quartier huppé de Balfour
Loin de régler les comptes avec un passé somme toute calme, dans ce quartier huppé de Balfour, où la vie s’égrène toujours comme un sablier, l’ouvrage, poursuit-elle, est aussi destiné à ses trois garçons, âgés de 7, 5 et 3 ans. « Je ne veux pas leur imposer l’ile Maurice, mais je souhaite qu’ils s’instruisent de mon île, de ses valeurs un peu vieille France, héritées de l’aristocratie désargentée. J’espère aussi que ce livre soit un espoir pour ceux qui prônent le métissage, car je ne me sens pas sens la porte-parole d’une communauté particulière », souhaite-t-elle, ayant en tête le fait qu’à Saint-Raphaël, où elle habite dans le Sud-Est de la France, les habitants ont du mal à la situer : « Même si je suis Franco-mauricienne, je ne leur ressemble pas, puis ils ne connaissent pas bien Maurice et, à la fin, on dit que je ressemble à une Indienne. Ça m’amuse et je me réjouis qu’on ne réussisse pas à m’enfermer dans une caste ethnique. Puis, c’est bien terminé cette référence à la race, aux couleurs », fait-elle valoir.
Chez elle, Maurice est omniprésente : des coraux ramassés sur les plages et d'autres objets font partie d’un décor où se mêlent le parfum des épices et du curry. Puis, comme pour donner encore plus de sens et de chair à cette revendication intérieure, des livres d’auteurs mauriciens s’ajoutent au tableau : Barlen Pyamootoo, Ananda Devi, Ananda Nirsimloo-Anenden, Shenaz Patel…« Plus le temps passe, plus je me sens Mauricienne », finit-elle par lâcher.
Gabrielle Wiehe dédicacera son livre au Bookcourt de Bagatelle ce samedi 3 aout, de 12 à 15 h, et le 10 août à Cascavelle.
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