Partenariat stratégique : l’ombre de Qatar Airways plane sur Air Mauritius

La compagnie aérienne nationale Air Mauritius se trouve à un tournant stratégique. Des discussions avancées au sein du gouvernement portent sur l’adoption d’un partenaire stratégique pour la compagnie. Cette réflexion, bien entamée à haut niveau, a même été abordée lors d’une récente réunion du conseil des ministres, et devrait être à nouveau abordée au Cabinet dans les semaines à venir.

L’idée d’associer Air Mauritius à un allié extérieur semble d’ores et déjà acquise dans les cercles décisionnels, bien que les modalités précises – forme du partenariat et niveau d’implication – restent à définir. L’urgence d’avancer sur ce dossier est palpable, dans un contexte où la compagnie continue à faire face à des défis structurels persistants, et à de nombreux problèmes techniques provoquant des retards et annulations de vols.

Parmi les candidats potentiels, Qatar Airways émerge comme une option privilégiée. La compagnie qatarie, basée à Doha, a déjà exprimé un intérêt marqué pour une collaboration avec Air Mauritius. Au sein du gouvernement mauricien, on estime que Qatar Airways a « beaucoup à apporter » en termes d’expertise technique, de compétences humaines et d’équipements modernes. Au-delà de ces atouts opérationnels, l’accès au hub de Doha – l’un des plus dynamiques au monde – pourrait transformer les perspectives d’Air Mauritius. En exploitant ce nœud aérien, la compagnie mauricienne pourrait élargir ses routes, optimiser ses connexions internationales et booster l’attractivité touristique de Maurice. Doha, avec ses infrastructures ultramodernes, servirait de plaque tournante pour des flux de passagers accrus vers l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient, renforçant ainsi la visibilité de l’île comme destination premium. C’est du moins ce que l’on avance dans les milieux gouvernementaux.

Qatar Airways, reconnue comme l’une des meilleures compagnies aériennes mondiales, a d’ailleurs été couronnée pour la neuvième fois « Meilleure compagnie aérienne du monde » lors des Skytrax World Airline Awards 2025. Ce palmarès, établi sur la base d’enquêtes auprès de millions de passagers, souligne l’excellence de ses services, de sa flotte et de son réseau. Pour Maurice, un tel partenariat représenterait non seulement un levier technique, mais aussi un signal fort de crédibilité internationale.

L’intérêt de Qatar Airways pour la destination Maurice n’est pas récent. Il remonte à une vingtaine d’années. Pourtant, jusqu’à présent, les gouvernements successifs ont privilégié Emirates, le rival historique basé à Dubaï. Cette préférence s’est traduite par un refus systématique des demandes d’atterrissage formulées par Qatar Airways à l’aéroport international Sir Seewoosagur Ramgoolam. Emirates, en revanche, n’a cessé de consolider sa présence sur l’île. À partir du 1er décembre prochain, la compagnie émiratie ajoutera d’ailleurs un troisième vol quotidien vers Maurice, portant sa capacité hebdomadaire à plus de 20 000 sièges – une augmentation de plus de 30 % sur cette ligne stratégique. Depuis ses premiers vols en 2002 vers Plaisance, Emirates affiche un bilan impressionnant : plus de 8,8 millions de passagers transportés sur Maurice et 126 000 tonnes de fret acheminées sur près d’un quart de siècle. Les retombées économiques sont tout aussi significatives : une contribution directe de 119 millions de dollars (Rs 5,4 milliards selon le taux de change du jour), 264 millions (Rs 12 milliards) de recettes touristiques générées, et 530 millions de dollars (Rs 24,6 milliards) injectés dans l’économie mauricienne via les dépenses des visiteurs. Cet impact se matérialise également par la création de 3 600 emplois locaux et l’embauche de centaines de Mauriciens au sein du groupe Emirates.

Briser le tabou

Face à cette dominance d’Emirates, le gouvernement actuel semble déterminé à briser le tabou, affirme une source proche du dossier. Les autorités estiment que le Qatar, au-delà de sa compagnie aérienne, pourrait offrir d’autres soutiens substantiels à Maurice. Dans le domaine énergétique, par exemple, des collaborations potentielles portent sur la fourniture de produits pétroliers et de gaz naturel liquéfié (LNG), des secteurs où le Qatar excelle en tant que premier exportateur mondial de LNG. Ces partenariats élargis pourraient diversifier les approvisionnements mauriciens et stabiliser les coûts énergétiques.

Air Mauritius, quant à elle, traverse une phase de restructuration depuis plusieurs années. Depuis 2021, la compagnie est entièrement détenue – à l’exception d’une poignée d’actions encore aux mains de petits actionnaires – par Airport Holdings Ltd (AHL). Cette entité est contrôlée à 51 % par le gouvernement mauricien et à 49 % par la Mauritius Investment Corporation, elle-même propriété de la Banque de Maurice. Cette structure actionnariale a été conçue pour permettre à Air Mauritius de sortir de la situation d’administration volontaire dans laquelle elle avait plongé début 2020, afin d’éviter une faillite imminente. La pandémie de Covid-19 avait alors exacerbé les difficultés financières de la compagnie, déjà fragilisée par des pertes accumulées et une concurrence accrue.

Interrogé lors de sa conférence de presse vendredi dernier sur la question d’un partenariat stratégique, Kishore Beegoo, président du conseil d’administration d’Air Mauritius, a adopté un ton ouvert : « Toutes les options sont ouvertes. Nous n’avons pas de barrière dans notre manière de penser. » Il a également indiqué que la compagnie envisage de lancer une expression d’intérêt pour évaluer l’appétit réel des investisseurs potentiels à entrer dans son actionnariat. « Nous verrons si l’intérêt répond à nos exigences. Nous prendrons une décision si besoin est », a-t-il ajouté, soulignant une approche pragmatique et mesurée.

Outre Qatar Airways, d’autres acteurs ont manifesté un intérêt persistant pour Air Mauritius. Ethiopian Airlines, la principale compagnie aérienne africaine, suit le dossier depuis de nombreuses années. Durant la période d’administration volontaire, elle avait même formulé une proposition formelle pour devenir partenaire stratégique, mais celle-ci s’était heurtée à un refus catégorique. Ethiopian Airlines, avec son hub à Addis-Abeba, pourrait offrir des synergies continentales, notamment pour renforcer les liaisons intra-africaines et soutenir le développement touristique régional. Cependant, les priorités gouvernementales semblent aujourd’hui pencher vers des alliances plus globales, comme celle avec Qatar Airways.

Cette quête d’un partenaire stratégique n’est pas une nouveauté pour Air Mauritius. Depuis sa création, la compagnie a souvent reposé sur des alliances internationales pour assurer sa viabilité. Fondée le 14 juin 1967 par Amédée Maingard, Air Mauritius a bénéficié dès ses débuts de partenariats solides. Grâce ses relations, des acteurs comme Air France et la British Overseas Airways Corporation (BOAC), devenue plus tard British Airways, se sont alliés au gouvernement mauricien et à Rogers & Co. Ltd pour lancer la compagnie nationale. La première réunion du conseil d’administration s’est tenue dans les locaux de Rogers, et Amédée Maingard en a été nommé président, poste qu’il occupera jusqu’en 1981.

Aujourd’hui, alors que Maurice aspire à une croissance durable dans le tourisme et les transports aériens, l’ombre de Qatar Airways plane plus que jamais sur Air Mauritius. Ce partenariat potentiel pourrait marquer un virage décisif, en injectant expertise et capitaux frais dans une compagnie qui, malgré ses défis, reste un pilier de l’économie insulaire. Reste à observer comment les négociations évolueront, si le gouvernement décide d’emprunter cette voie.

Kishore Beegoo invité d’Au Cœur de l’Info ce lundi

Le président du conseil d’administration d’Air Mauritius, Kishore Beegoo, sera l’invité de Patrick Hilbert dans l’émission « Au Cœur de l’Info » ce lundi sur Radio Plus. L’émission est à suivre à partir de 17 heures.