Interview

Pierre Dinan: «Il y aura des défis à relever dans le monde des services financiers»

Pierre Dinan
L’économiste livre son évaluation de la politique économique menée par l’Alliance Lepep lors de sa première année au pouvoir. Il exprime ses espoirs pour l’année en cours. Si vous deviez résumer l’année 2015, la première de l’Alliance Lepep au pouvoir, que diriez vous ? Je dirais que l’année 2015 a démarré avec de grandes attentes et des annonces en fanfare. Mais cela a été vite étouffé par le « nettoyage », provoqué par l’éclatement de l’affaire BAI. Puis est arrivé le budget, avec l’annonce d’un nouveau profil pour l’économie. Constitué notamment d’un développement tous azimuts du port, du recours à l’économie bleue et la construction des Smart Cities. Puis les mois ont passé, toujours englués dans les séquelles de l’affaire BAI, jusqu’au réveil de la fin du mois d’août, avec la présentation de Vision 2030. Au cours des quatre derniers mois de l’année, l’économie semble avoir quitté les coulisses. Toutefois, son apparition à l’avant-scène n’est pas encore réalisée. Voilà où nous en sommes : ‘great expectations have not yet materialised.’
Et pour l’année 2016, vous vous attendez à ce qu’elle soit meilleure ? Je ne m’y attends pas. Je la souhaite fortement. Y a-t-il des signes ? Le premier signe d’une amélioration a été Vision 2030 qui, on l’espère, sera vraiment maintenant le socle sur lequel se construira l’économie à partir de cette année. Dans le concret, on entend parler de ‘hubs’, de ce projet que Maurice deviendrait la plaque tournante entre Singapour, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique, surtout l’Afrique méridionale et orientale. Cela va dans le bon sens pour le tourisme. Il semblerait aussi que dans le port, on puisse s’attendre à des réalisations avec le concours de Dubayy. Cependant, il y aura aussi des défis à relever, notamment dans le monde des services financiers et celui de l’agriculture cannière. Les difficultés dans le secteur financier proviennent de toute cette incertitude causée par les tergiversations autour de l’accord de non double imposition avec l’Inde. Il y a aussi toute cette attitude de plus en plus hostile des grands pays développés, notamment de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des États-Unis, qui prennent des mesures pour mettre un frein à ce qu’ils appellent ‘la pratique des pays à faible fiscalité.’ En agriculture cannière, le compte à rebours a commencé. Le prix d’une tonne de sucre mauricien est supérieur au meilleur prix de vente actuel. Il est estimé qu’il en sera ainsi pour les prochaines années. La question est claire : comment faire pour que survivent les planteurs de canne à sucre ?
[blockquote]« Le premier signe d’une amélioration a été Vision 2030 qui, on l’espère, sera vraiment maintenant le socle sur lequel se construira l’économie »[/blockquote]
Vous avez mentionné l’accord de non double imposition. Croyez-vous que Maurice puisse aboutir à une entente avec l’Inde cette année ? Le souhait, c’est que, comme depuis ces dix ou quinze dernières années, ce soit un accord au niveau politique qui soit conclu et non pas au niveau de l’administration. Jusqu’ici, je ne connais pas de gouvernement indien de quelque bord qu’il soit, qui ait voulu nuire aux intérêts de Maurice. La raison étant évidente, vu les très bonnes relations existantes entre les deux pays. D’ailleurs, Narendra Modi, Premier ministre de l’Inde, a répété la même chose cette année écoulée. Maurice doit éviter le piège d’envoyer ses ministres discuter dans la Grande péninsule. C’est au Premier ministre, incarnant la République, de discuter au plus haut niveau du gouvernement indien. N’oublions pas que l’Inde compte toujours sur Maurice pour voter en sa faveur afin qu’elle soit admise au Conseil de sécurité des Nations unies. Par ailleurs, s’il est un argument économique de poids dans ce contexte, c’est de savoir que l’Inde a un grand besoin de capitaux étrangers pour construire son infrastructure et que le flux d’investissements étrangers transitant par Maurice est un apport. De huit Smart Cities annoncées dans le discours du budget, on est passé à 16. Est-ce trop ? Je ne peux me prononcer sur le nombre, mais je peux vous dire ce que je pense des Smart Cities. Le concept est intéressant, puisqu’il vise effectivement à rassembler en un seul lieu la résidence, le travail, les loisirs et sans doute l’éducation et la formation. D’un point de vue économique, si les Smart Cities sont réalisées, je vois un impact positif sur le coût des transports et aussi sur le temps qu’on y passe. Ce qui devrait apporter, on l’espère, une amélioration de la productivité au travail et aussi une amélioration de la vie de famille. Evidemment, cela, semble-t-il, repose sur le fait que les entreprises étrangères viendront poser leurs valises dans ces Smart Cities. Cela dépendra de tout à fait autre chose que les Smart Cities. Il faut que ce soit tout l’environnement des affaires qui soit porteur pour pouvoir les attirer. Une remarque que j’aurais à faire : la construction des Smart Cities créera l’emploi pour un temps seulement. Pour que les Smart Cities soient associées à l’emploi permanent, c’est sur les investissements des entreprises qu’il faut compter. Pour qu’elles soient opérationnelles, il faudrait plus de 200 000 étrangers. Cela ne causera-t-il pas  des problèmes sur les moyen et long termes ? Pour moi, dans le principe, le travailleur étranger est bienvenu. D’ailleurs, nous en voyons un exemple dans l’industrie textile qui, sans l’apport des travailleurs étrangers, n’aurait pas eu le succès qu’elle a connu. Je sens dans votre question une appréhension selon laquelle ce nombre de travailleurs étrangers pourrait être élevé.  Et là, je suis d’accord qu’il y a une ligne rouge à ne pas dépasser. Car qui dit travailleurs étrangers, dit un grand besoin d’harmonie sociale entre eux et les Mauriciens, et cela doit être sérieusement préparé. J’ai aussi un souci d’ordre économique : à moins que l’on ne veuille faire de Maurice un petit Dubayy, ce qui me paraît illusoire, si notre pays veut atteindre le statut de pays à haut revenu et qu’il veut rester à ce niveau des années durant, ce n’est pas en important la main-d’œuvre en grand nombre qu’on y parviendra. Le Fonds monétaire international a tiré la sonnette d’alarme sur le niveau de la dette publique. Le gouvernement compte sur le secteur privé pour investir dans les gros projets de développement. Est-ce la voie à suivre ? Je trouve que c’est une bonne idée de financer même l’infrastructure avec l’investissement privé. D’ailleurs, j’ai noté avec intérêt que le gouvernement envisagerait de rechercher un apport privé pour relancer la Central Water Authority. Je suis pour. D’une banque des PME annoncée, c’est finalement d’un département de la MauBank que les petits et moyens entrepreneurs devront se contenter. Quelle lecture faites-vous des changements de direction dans la politique sur les PME ? J’ai le sentiment que c’est un secteur qui n’a jamais bénéficié d’un solide support institutionnel. Les gouvernements en parlent beaucoup. Des fonds sont parfois avancés, mais pas toujours remboursés. On a l’impression que les PME fonctionnent dans un vacuum. C’est une prise en charge institutionnelle qui, me semble-t-il, fait défaut au niveau de la formation, du management, de l’étude des projets, du financement et de la recherche des marchés d’exportation.
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