Interview

Philippe Hardy: « Il est très important de respecter l’intégrité de l’État »

Dans le sillage de la démission de Raj Dayal de ses fonctions de ministre de l’Environnement, Philippe Hardy, président de Transparency Mauritius, évoque le désir de la population pour un retour de la moralité au sommet de l’État. [blockquote]« On souhaite que la Freedom of Information Act soit adoptée le plus rapidement possible. »[/blockquote] Que pensez-vous des événements qui ont débouché, cette semaine, sur la démission de Raj Dayal en tant que ministre ? Je ne veux pas trop commenter l’affaire elle-même, vu qu’une enquête vient d’être instituée. Mais je dois dire que la rapidité dans la prise de décision de démissionner est une bonne chose. C’est un bon signal. Il est très important de respecter l’intégrité de l’État. Après, il faut que l’enquête suive son cours. Ce qui est important, c’est que les institutions puissent fonctionner sereinement et en toute indépendance. Le Premier ministre a dit qu’il n’y aurait pas de cover-up. Il est donc impérieux que l’Independent Commission against Corruption (Icac) puisse mener son enquête en toute sérénité. Le leader de l’opposition affirme que la population a été choquée en écoutant la bande sonore contenant des propos attribués à l’ex-ministre Dayal. Avez-vous été personnellement choqué ? Je ne crois pas qu’il faille entrer dans les réactions émotionnelles. Cela a certes eu un impact fort sur tout le monde. Toutes ces affaires qu’on entend en ce moment – et depuis un certain temps d’ailleurs – ont eu un impact sur la population. Qu’en pensez-vous ? Je crois que cela érode la confiance et génère un climat d’incertitude. Je crois aussi que cela crée un réveil moral chez tout le monde. Je crois que la population et les stakeholders en général, que ce soit les acteurs économiques, sociaux ou politiques, s’attendent à beaucoup d’intégrité de la part de nos dirigeants. Je crois que ce gouvernement-là, en particulier, a eu un mandat d’intégrité et de morale. Ma position est apolitique, mais toute la population attend plus d’intégrité de la part de nos dirigeants. Considérez-vous que le gouvernement a échoué dans cette tâche ? Difficile de répondre à cette question. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Il y a deux perspectives : on peut soit dire qu’on est en train de crever l’abcès et que cela crée des remous ou qu’il y a une déception, puisqu’on s’attendait à davantage d’intégrité. À côté de cela, je dirai que plus il y a de la transparence, mieux c’est. Comparé à ce qu’a accompli l’ancien gouvernement, peut-on affirmer qu’on a fait des progrès sur le plan de la transparence ? Je crois qu’il y a eu une évolution dans la volonté. On travaille beaucoup avec les institutions régulatrices et publiques. C’est clair qu’il y a la volonté, mais il faut transformer cela en faits. Il y a eu beaucoup d’affaires mises au jour au cours de ces derniers mois. Nous avons encore beaucoup de progrès à faire. Vous faites la distinction entre la volonté et les faits. Pouvez-vous nous donner des exemples de cette volonté ? à titre d’exemple, il y a le fait de prendre des décisions aussi rapides que dans le cas de la démission du ministre de l’Environnement. Cela envoie un bon signal. Il faut que cela continue dans ce sens. Avant Dayal, c’est Lutchmeenaraidoo qui faisait polémique. L’opposition réclame sa démission comme ministre. Partagez-vous cet avis ? Ce n’est pas mon rôle d’établir des parallèles entre plusieurs cas. Il faut éviter de faire des amalgames. Mais là aussi, c’est une question de conscience morale et de nécessité de s’assurer que les institutions fonctionnent sereinement et en toute indépendance. S’il y a des suspicions et des enquêtes en cours, la déontologie et la morale voudraient que ceux qui sont mis en cause se mettent temporairement en retrait. Le remaniement ministériel effectué par le Premier ministre est-il insuffisant ? Je ne considère pas le ministère des Affaires étrangères comme étant moins important que celui des Finances. Il ne s’est donc pas mis particulièrement en retrait. Il y a eu le remaniement, qui est une action, mais est-ce suffisant ? Il n’est plus le ministre de tutelle de l’institution liée à l’affaire (NdlR : la State Bank of Mauritius, banque au sein de laquelle l’État est actionnaire majoritaire). Mais le portefeuille des Affaires étrangères est tout aussi important. Je ne considère pas que ce soit une mise en retrait. Est-ce à dire que les affaires de conflit d’intérêts et de corruption commencent à s’accumuler ? Ça fait quand même beaucoup ! Je refuse, une fois de plus, de faire l’amalgame. Ce sont des affaires très différentes. Mais il est essentiel aujourd’hui que nos dirigeants prennent la mesure des attentes de tous les stakeholders concernant un retour de la morale au sommet de l’État. On s’attend à ce que cela s’améliore. Quelle est votre analyse de cet enchaînement d’affaires qui mettent à mal le principe de bonne gouvernance ? Je ne sais pas si j’ai une explication. Ce que l’on peut souhaiter, c’est qu’il y ait une prise de conscience. Il y a une demande des membres du public pour plus de transparence. Et il y aura une pression de plus en plus forte, ce qui est une très bonne chose. Cela fait longtemps que l’on œuvre pour un cadre autour du whistleblowing et qu’on milite pour une Freedom of Information Act. Je pense que les choses continueront à s’accélérer en ce sens. On souhaite que la Freedom of Information Act soit adoptée le plus rapidement possible. Croyez-vous que le gouvernement ait l’intention d’introduire la ‘Freedom of Information Act’ et la ‘Whistleblowing Act’ ? La Freedom of Information Act figure dans son programme et les dirigeants ont dit, de manière assez claire, qu’ils comptent la faire adopter. On s’attend à ce que ce soit fait. Le plus rapidement sera le mieux. Dans un tel contexte, l’Icac revêt une importance capitale. Pourtant, les membres du public semblent avoir peu de confiance en cette institution. Pensez-vous qu’elle soit totalement indépendante ? Je crois que l’Icac a tous les moyens pour mener à bien sa mission. C’est vrai qu’elle souffre d’une mauvaise perception quant à son indépendance. On pense qu’il faut revoir le processus de nomination de ses responsables. L’Icac est une institution vitale. Je crois qu’elle a besoin de plus d’autonomie et d’indépendance dans ses actions. Changer le processus de nomination suffira-t-il à lui assurer une plus grande autonomie ? Je pense que le processus de nomination est important, mais il faut aussi davantage de sécurité dans la continuation. On a peut-être un peu trop tendance à politiser toutes les institutions à Maurice. Doit-on revenir à l’ancienne formule de nomination pour le directeur ou alors trouver quelque chose de neuf ? Il faut réfléchir à la formule et s’assurer que le directeur de l’Icac puisse être aussi indépendant que possible. Je ne suis pas sûr que le processus de nomination actuel soit le bon. Avec la ‘Prevention of Corruption Act’ (PoCA) et la ‘Good Governance and Integrity Reporting Act’, le pays est-il bien équipé en termes d’arsenal légal pour combattre la corruption ? De manière générale, Maurice est plutôt bien équipé en la matière. Il y a certes des améliorations à apporter à la PoCA et de même qu’une loi sur le financement des partis politiques. Ce n’est pas à cause du manque de moyens légaux que les institutions ne remplissent pas convenablement leur mission.
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