Interview

Maurice Vigier de La Tour : «Le textile n’est pas en danger avec Trump»

Maurice Vigier de La Tour

L’industriel Maurice Vigier de La Tour, qui a été parmi ceux qui ont négocié l’accès des produits mauriciens aux États-Unis sous l’Africa Growth Opportunity Act (AGOA), considère que l’élection de Donald Trump n’aura pas d’impact sur le secteur textile. Il explique que sa décision d’écarter le Trans-Pacific Partnership est une bénédiction pour Maurice.

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Que vous inspire l’élection de Donald Trump comme 45e président des États-Unis ?
C’est une surprise ! Surtout au vu des sondages qui donnaient Hillary Clinton gagnante. Beaucoup d’Américains de la classe moyenne, notamment ceux qui n’ont sans doute jamais voté de leur vie, ont vu en Donald Trump un candidat qui ne fait pas partie de l’establishment traditionnel de Washington.

Comment la communauté des affaires accueille-t-elle l’annonce du passage de relais pour le poste de Premier ministre ?
Je ne voudrais pas faire des commentaires politiques… mais l’incertitude est la pire des choses pour un industriel. Il arrêtera d’investir par prudence et va délocaliser.

Donald Trump a été élu par un électorat populaire que les sondages n’ont pas détecté. Il a fait une campagne basée sur un marketing extrêmement original. Le slogan « Making America Great Again » voulait aussi signifier « l’Amérique aux Américains ». D’où le vaste soutien des ouvriers blancs ayant perdu leur emploi dans les mines et les usines d’assemblage de voitures. En regardant le résultat des élections de plus près, on remarque que 28% des Latinos ont voté pour lui. C’est ce qui a fait la différence en Floride.

Ses promesses de mesures protectionnistes face au malaise de la société américaine ne signifient-elles pas à une mise à mort de l’AGOA ?
J’ai bien écouté Donald Trump. Il n’a jamais parlé de l’AGOA. Il a seulement annoncé qu’il va renégocier le North American Free Trade Agreement (NAFTA) qui « ne serait pas en faveur des États-Unis » et le Trans-Pacific Partnership (TPP) avec les pays d’Asie. Tout laisse croire que le TPP va être mis de côté. C’est un avantage certain pour l’Afrique sub-saharienne, Maurice en particulier. Avec le TPP, le Vietnam, qui fabrique à peu près les mêmes vêtements que nous, allait écouler ses produits sur le territoire américain hors-taxes.

Actuellement, avec la taxe, le Vietnam écoule treize fois plus de produits que huit des trente-huit pays d’Afrique subsaharienne pouvant exporter du textile aux États-Unis. La mise à l’écart du TPP nous met donc hors de danger. Les 170 millions de pièces de vêtements provenant de l’Afrique subsaharienne entre janvier et août 2016 ne représentent même pas 1% du total des importations des États-Unis du reste du monde. L’Afrique, vu ses performances, ne représente pas une menace pour les entreprises américaines comme pourraient l’être le Mexique ou le Vietnam.

Quel pourrait être le pire scénario pour Maurice sous l’administration Trump ?Il ne faut pas qu’il y ait de récession aux États-Unis, la première puissance économique et militaire au monde. S’il va mal, comme en 1929 ou en 2008, ce sera une catastrophe.

« Il ne faut pas qu’il y ait de récession aux États-Unis, première puissance économique au monde »

Comme on dit : si l’Amérique éternue, c’est le monde qui attrape la grippe. Je souhaite que Donald Trump soit bien entouré et conseillé. Son discours a changé quand il a endossé les habits de président. Il a félicité et remercié Hillary Clinton. Ce n’était pas un discours qu’on aurait attendu de lui. Il a joué à fonds sur la sensibilité de l’Amérique profonde pour se hisser au pouvoir. J’espère qu’il ne représentera pas un danger ni pour Maurice, ni pour le monde une fois qu’il sera à la Maison Blanche.

Que dois faire Maurice pour se préparer à l’après-AGOA en 2025 ?
L’administration américaine a clairement fait comprendre en renouvelant l’AGOA pour dix ans supplémentaires en 2015 que celle-ci ne sera pas reconduite dans sa forme actuelle. Les pays africains devront donc se positionner pour négocier des « Free Trade Agreements » au niveau bilatéral ou à travers des groupements tels que le Common Market for Eastern and Southern Africa ou la Southern African Development Community.

La Mauritius United States Business Association aura un rôle important à jouer, surtout Paul Ryberg, le lobbyiste du gouvernement mauricien qui a tissé des liens étroits avec ceux qui travaillent sur les « trade preferences ».

Le textile mauricien n’est-il pas condamné à monter en gamme comme vous le préconisiez ?
Nous montons déjà en gamme. Nos produits vendus aux États-Unis sont parmi les plus chers d’Afrique. Le très haut de gamme se fait en petit volume et dans des délais très courts. La plupart de nos usines ne sont pas prêtes.

Vous faisiez partie de l’aventure Harris Wilson. Une société mauricienne ne peut-elle pas lancer sa propre marque ?
Je n’y crois pas beaucoup. Harris Wilson est une marque que Floréal Knitwear a rachetée à la fin des années 80. Ça a bien fonctionné sur le marché français, mais il a fallu beaucoup réinvestir. Il faut bien séparer le job du producteur de celui qui a une marque et de celui qui fait de la vente au détail. Le producteur pense qu’il peut avoir sa propre marque et ses propres magasins. Malheureusement, c’est un métier complètement différent. Il faut une expertise que nous n’avons pas et qu’il sera difficile d’acquérir. Par contre, je suis en faveur de la mise sur pied d’équipes composées de stylistes, de graphistes et de développeurs à l’intérieur des usines mauriciennes qui viennent proposer des collections aux clients. Des packages clés en main sont offerts à des clients comme chez CMT avec laquelle je suis associé.

Le textile mauricien a-t-il un avenir ? CMT a menacé de délocaliser ses opérations et CIEL Textile enregistre une baisse de ses profits...
Le textile demeure l’employeur n° 1 à Maurice avec 43 000 emplois directs, dont des expatriés. Le secteur souffre de la compétitivité de plusieurs pays en termes de coûts de production et notre éloignement géographique de nos marchés. Il y a un problème de logistique énorme qui peut être résolu grâce à l’avion. Il nous permet d’atteindre n’importe quelle capitale du monde en 24 heures, voire 48 heures. Le fret, bien qu’il soit assez compétitif, est quand même très cher par rapport au prix final du vêtement. Il y a une proposition du ministre des Finances pour une baisse du fret pour les exportations surtout après le Brexit. Cette mesure incitative permettra au secteur de changer de division. Du groupe B, nous allons passer au groupe A. J’insiste sur la mise en place de cette mesure.

 

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