
Ce spécialiste de la santé mentale défend une approche intégrée du traitement des addictions. Face à une jeunesse de plus en plus exposée, il alerte sur les failles de la prévention et l’absence d’un vrai plan national de réinsertion post-sevrage.
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Vous défendez une approche globale de la désintoxication. En quoi le traitement médical reste-t-il insuffisant sans un accompagnement psychologique et social de long terme ?
Le traitement médical vise essentiellement à stabiliser le cerveau lorsqu’on retire du corps les substances toxiques. C’est une étape difficile, comparable à un parachute qu’on vous donne avant de sauter d’un avion : cela évite les dégâts, mais ne suffit pas. Sans suivi psychologique et social, on ne traite pas la racine du problème.
À quel moment considère-t-on qu’un patient est réellement « sorti d’affaire » ? Peut-on vraiment parler de guérison dans le cas d’une addiction lourde ?
Je ne dis jamais qu’un patient est « sorti d’affaire ». Le risque reste permanent. Les cellules du cerveau ont une mémoire : il suffit d’un déclic, d’un seul, pour replonger. On peut neutraliser les symptômes de manque (généralement en 14 jours), mais la vigilance doit rester constante. C’est là que commence le vrai travail psychologique.
Vous avez vu défiler des centaines de patients. Quels profils vous interpellent le plus aujourd’hui ? L’addiction touche-t-elle de nouveaux milieux ?
L’addiction est devenue virale, comme la grippe, mais en pire. Elle touche désormais tous les milieux. C’est un peu comme le COVID : si on ne fait pas attention, on est contaminé. Les jeunes mauriciens sont programmés pour explorer, tester, ressentir. Le problème, c’est que l’addiction devient leur maître très rapidement. Et à la différence d’une maladie, ici on devient une victime active, en quête permanente de sensations fortes.
Dans un contexte où la consommation est parfois banalisée, notamment chez les jeunes, que pensez-vous du discours public sur les drogues ? L’État en fait-il assez ?
Nous menons un combat à armes inégales. L’argent injecté dans le trafic de drogue dépasse de loin les moyens alloués à la prévention. Maurice n’est pas une exception. Les méthodes actuelles sont dépassées, l’arsenal trop faible. Il faut s’inspirer de pays plus avancés et surtout changer de mentalité. Identifier les commanditaires, responsabiliser les familles, revoir le discours public : c’est indispensable.
Vous travaillez dans un centre spécialisé, mais l’« aftercare » reste fragile. Ne risque-t-on pas de soigner pour mieux relâcher dans un environnement toxique ?
C’est un risque majeur. Une fois le patient sorti du centre, il est extrêmement vulnérable. Nous essayons de lui transmettre une meilleure compréhension de son corps, de son métabolisme, mais sans filet social solide, tout peut s’effondrer. La famille est le premier rempart. Nous établissons un contrat moral avec elle : un nouveau départ.
Mais je suis très inquiet face à l’attitude de certaines entreprises. Il y a une forme de déni. Aucun test de dépistage, aucune politique de soutien. On ne peut pas tout attendre de l’État. L’addiction est l’affaire de tous.

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