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Réforme des pensions : le gouvernement lâche du lest, mais garde le cap

L’Income Support pour les catégories de personnes éligibles s’élève à Rs 10 000.
  • 46 % des sexagénaires bénéficieront d’un soutien financier
  • Une aide ciblée de Rs 8,7 milliards pour éviter la fracture sociale

Après plusieurs jours de flou et de spéculations autour de l’éligibilité à la pension universelle, le voile est enfin levé. À l’issue d’une réunion au Prime Minister’s Office jeudi, suivie d’une validation au Conseil des ministres le lendemain, le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, a annoncé des ajustements ciblés pour soutenir ceux qui sont au bas de l’échelle.

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Dans le Budget 2025-26 présenté le 5 juin dernier, le gouvernement a annoncé une réforme graduelle de la pension universelle. Elle s’échelonnera sur cinq ans. L’âge d’éligibilité pour la pension universelle – payée à partir des caisses de l’État – passera progressivement de 60 à 65 ans. Cette mesure a soulevé un tollé dans le monde syndical, au sein du public et de l’opposition parlementaire et extraparlementaire.

Vendredi 4 juillet, soit un mois après, à l’Assemblée nationale, le Premier ministre a joué la carte de l’apaisement en affirmant que son gouvernement restait à l’écoute. Il a communiqué les conclusions des comités interministériels qui se sont penchés sur le sujet.

« Après une analyse minutieuse de tous les faits et chiffres, le gouvernement a décidé que certaines familles méritent un soutien jusqu’à ce qu’elles soient éligibles à la pension de retraite universelle, conformément à la réforme », a déclaré Navin Ramgoolam. « Le gouvernement a donc décidé d’octroyer une aide au revenu de Rs 10 000 par mois aux personnes atteignant l’âge de 60 ans à partir du 1er septembre 2025. » (voir tableau) Ce montant de Rs 10 000 représente deux tiers de la pension universelle, actuellement fixée à Rs 15 000.

Afin d’être éligible à cette aide mensuelle – l’Income Support –, le bénéficiaire célibataire ne devra pas percevoir un revenu supérieur à Rs 10 000 par mois. Pour une personne mariée, les revenus combinés du ménage ne doivent pas excéder Rs 20 000.

Coût « insoutenable »

Selon le communiqué émis après le Conseil des ministres, les bénéficiaires des pensions d’invalidité et les veuves continueront à percevoir leurs allocations respectives jusqu’à leur éligibilité à la pension universelle, mais ne seront pas admissibles à la somme additionnelle de Rs 10 000.

Tout compte fait, la majorité des bénéficiaires seront des femmes au foyer, retraités, employés ou travailleurs indépendants répondant aux critères d’éligibilité. Selon le Premier ministre, ce groupe est plus nombreux que celui des personnes actives confrontées à des difficultés d’emploi.

Ainsi, en moyenne, 7 500 bénéficiaires par tranche d’âge seront concernés chaque année au cours des cinq prochaines années. Cela représente 46 % des Mauriciens atteignant 60 ans, soit un coût global estimé à Rs 8,7 milliards sur la période, a précisé Navin Ramgoolam.

Le Premier ministre est également revenu sur les raisons ayant motivé la hausse progressive de l’âge d’éligibilité de 60 à 65 ans pour une pension universelle non contributive, financée par le Consolidated Fund. D’abord, le coût « insoutenable » de la pension universelle. Il a rappelé les chiffres-clés : en 2010, le coût de la pension universelle représentait 1,9 % du Produit intérieur brut (PIB). En 2024-25, ce coût est monté à 7,8 % du PIB, soit Rs 55,4 milliards, un montant ayant doublé en quatre ans, a-t-il rappelé. Et d’avertir que d’ici 2035, l’État devrait mobiliser Rs 100 milliards pour financer la pension. Cette croissance s’explique par le vieillissement accéléré de la population : de 186 400 personnes âgées de 60 ans et plus en 2015, le chiffre est passé à 257 600 en 2024 et atteindra 315 000 en 2028.

Autre fait marquant : la charge sur les travailleurs actifs. D’autant que la pension est payée de l’argent du contribuable : taxes sur les salaires, TVA incluses. En 2000, il y avait 7 actifs pour 1 retraité. En 2025, ce ratio est tombé à 2,7, et il tombera à 2 d’ici 2035. Il y a donc de moins en moins de cotisants pour soutenir les retraités.

« Le système de retraite actuel, s’il reste inchangé, n’est tout simplement pas viable. La situation est telle que, sans réforme, nous risquons un avenir sans pension pour les retraités, ni pour ceux d’aujourd'hui, ni pour ceux de demain », a-t-il dit à l’Assemblée nationale. « En tant que gouvernement responsable, nous ne pouvions rester indifférents face à une telle menace pour notre société, et en particulier pour les personnes âgées de ce pays. »

Les avis divergent. Pour certains, l’État cède à la pression populaire et retarde une réforme cruciale pour l’assainissement des finances publiques. Pour d’autres, le gouvernement prend en compte l’impact social d’une telle réforme sur les familles les plus vulnérables. Une minorité de figures politiques hors Parlement estiment que les finances publiques sont plus solides qu’il n’y paraît.

Durée du versement selon la date à laquelle vous atteignez 60 ans*

Date des 60 ans Durée du versement
1er sept. 2025 – 31 août 2026  1 an
1er sept. 2026 – 31 août 2027  2 ans
1er sept. 2027 – 31 août 2028  3 ans
1er sept. 2028 – 31 août 2029  4 ans
1er sept. 2029 – 31 août 2030  5 ans
1er sept. 2030 – 31 août 2031  5 ans
Bénéficiaires* : Tous les Mauriciens éligibles atteignant l’âge de 60 ans durant les périodes ci-dessus.
(Source : Conseil des ministres)

Profil des sexagénaires et plus (mai 2025)

Tranche d’âge Nombre Pension mensuelle
60 à 89 272 583 Rs 15 000
90-99 4 764 Rs 22 710
100+ 184 Rs 27 710
Selon le Premier ministre, les dépenses de l’État sur la pension universelle ont augmenté de 828 % en 14 ans.

 

POINT DE VUE DES ÉCONOMISTES

Manisha Dookhony : « Il est presque certain que ces mesures temporaires seront prolongées »

manishaEn réagissant aux mesures ciblées récemment annoncées par le gouvernement en faveur des nouveaux sexagénaires, l’économiste Manisha Dookhony estime qu’elles pourraient bien s’inscrire dans la durée. Elle alerte sur les zones d’ombre entourant l’application de ces annonces et sur leurs implications budgétaires à long terme.

Selon elle, le coût estimé de ces mesures – environ Rs 9 milliards sur cinq ans – équivaut à 1,3 % du Produit intérieur brut (PIB) et se rapproche des revenus annuels générés par l’accord sur les Chagos. Si ce montant peut paraître modeste en valeur absolue, il demeure conséquent dans un contexte de finances publiques sous tension. « La dette publique s’élève désormais à 90 % du PIB. Cela aura un impact certain sur la capacité de l’État à réduire son déficit budgétaire sur les trois prochaines années », explique-t-elle.

Autre point soulevé par l’économiste : la probable reconduction de ces mesures dites temporaires. « Tenant compte des réalités mauriciennes, il est presque certains que certaines mesures temporaires seront prolongées. Car la pression populaire serait encore plus conséquente dans les années à venir », affirme-t-elle.

Manisha Dookhony s’interroge également sur les modalités d’application. Le terme « household » utilisé dans le dispositif reste flou : « Est-ce que cela se limite au couple ? Inclut-il les grands-parents, les enfants adultes qui travaillent ? Comment l’État compte-t-il procéder ? Ce sont des zones d’ombres à éclaircir. »

L’économiste pointe également les implications administratives du processus, notamment l’enregistrement auprès de la Mauritius Revenue Authority (MRA) : « Cela alourdit la charge de l’institution et pose des difficultés, car les revenus peuvent fluctuer selon l’emploi ou la perte d’un emploi. »

Enfin, elle attire l’attention sur un chiffre révélateur : 7 500 bénéficiaires. « Que ce nombre de personnes âgées vivent dans la précarité devrait nous pousser à une réflexion plus profonde sur les inégalités persistantes dans le pays. »

Sanjay Matadeen : « Le gouvernement a d’autres mesures pour les finances publiques »

sanjayEst-ce que l’agence américaine Moody’s Investors Service réviserait ses notes et perspectives pour Maurice après l’annonce du Premier ministre ? L’économiste Sanjay Matadeen temporise. « Moody’s Investors Service ne conseille pas le pays sur la gestion de ses finances et quelles actions prendre pour les assainir. Moody’s est intéressé par une gestion rigoureuse des finances de l’État que le gouvernement doit impérativement démontrer », explique-t-il.

À ses yeux, la révision du seuil d’éligibilité à la pension universelle ne doit pas être vue comme un geste isolé, mais comme une mesure parmi d’autres. « Depuis le début de son mandat, le gouvernement a communiqué sur la situation financière du pays et a entamé des actions concrètes. Cette réforme en est une, mais pas la seule. Je ne pense pas que Moody’s va sortir le ‘rotin bazar’ après cette annonce. »

Il évoque également d’autres mesures fiscales déjà mises en place pour soutenir les finances publiques. Mais, pour lui, la question clé reste l’utilisation des fonds économisés grâce à cette réforme des pensions.

Sanjay Matadeen insiste également sur deux indicateurs rassurants : « On ne peut faire l’impasse sur deux chiffres clés des finances. Nous disposons de solides réserves internationales (en devises). L’endettement de l’Etat est libellé en majeure partie en roupies. »

Et de conclure : « Le bon sens doit prévaloir. »

 

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