
Le retour des Junior Ministers après 30 ans relance le débat : sont-ils indispensables pour épauler les ministres ou simplement des postes pour caser ceux non promus ? Entre utilité réelle et favoritisme, l’opinion publique reste divisée.
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Depuis quelque temps, certains postes au sein du nouveau gouvernement suscitent des interrogations, publiquement ou sur les réseaux sociaux. Après la nomination de seniors de plus de 75 ans comme ambassadeurs, puis leur placement dans des organismes parapublics, la polémique s’intensifie, notamment depuis le clash entre la Junior Minister, Anishta Babooram (Parti travailliste) et la ministre de l’Égalité des Genres Arianne Navarre-Marie (MMM).
Fallait-il associer des Junior Ministers de la même tendance politique au sein d’un ministère, ou au contraire faire un mélange, un « mixed-up » politique, pour montrer que l’Alliance du Changement est une famille unie ?
Le poste de Junior Minister n’est mentionné nulle part dans notre Constitution, comme nous l’a rappelé Me Ajay Daby, ancien Speaker, de même que celui des PPS. Alors, à quoi servent ces Junior Ministers et quelles sont leurs fonctions ? Une question percutante, surtout quand on sait qu’ils touchent un salaire mensuel avoisinant les Rs 160 000 mensuellement, en sus de nombreux avantages, dont un chauffeur, entre autres, alors qu’ils n’ont pas le droit de poser des questions au Parlement…
Responsabilités Partagées
Depuis l’Inde, vendredi après-midi, Anishta Babooram, nouvelle Junior Minister à la Santé après son passage au ministère de l’Égalité des Genres, nous a expliqué au téléphone que ce poste est crucial pour le bon fonctionnement d’un ministère, surtout les plus importants. « Le rôle de Junior Minister comble ce qui manquait et représente un véritable atout. Nous sommes là pour répartir les dossiers plus rapidement, car les ministres ont de nombreuses responsabilités à gérer. Même si un Junior Minister ne siège pas au Cabinet, les responsabilités sont partagées. Ce n’est donc pas un gaspillage des fonds publics ni de l’argent des contribuables », explique-t-elle.
Pas de conclusions hâtives
Patrick Belcourt d’En Avant Moris abonde dans le même sens. « Il faut tout remettre dans son contexte et ne pas tirer de conclusions hâtives. Le poste de Junior Minister a sa place de fond, surtout après la suppression du poste de PPS. Il y a cependant un gros bémol : il faut des personnes compétentes », déclare-t-il. Il prend pour exemple la Junior Minister au ministère de l’Égalité des Genres, qui sera parachutée au ministère de la Santé à cause d’un conflit avec la ministre de tutelle : « Tout est une question de compétence, et je pense que cette Junior Minister en possède. Ce qui me dérange, c’est lorsque Paul Bérenger, malgré son expérience politique, affirme son mécontentement face à certaines nominations. Soit il ignore ce qu’il dit, avec tout le respect que je lui dois, soit il est contraint de se taire. Dans les deux cas, son attitude est condamnable ». Par ailleurs, il dénonce un gouvernement perdu, où les nominations devaient se faire par un Appointment’s Committee.
L’excellent travail de Fabrice David
L’économiste Manisha Dookhony, qui n’est ni constitutionnaliste ni politicienne, s’exprime néanmoins : « Certains Junior Ministers font un bon travail. Avant, les PPS assuraient une proximité avec la population en allant sur le terrain. Je prends l’exemple du Junior Minister, Fabrice David, qui accomplit un excellent travail aux côtés de son ministre de tutelle. Ce dernier connaît bien les rouages, et Fabrice David apporte son savoir-faire. Ce tandem fonctionne très bien selon moi, car le ministère de l’Agroalimentaire est complexe à gérer seul, et le Junior Minister apporte un soutien précieux ». Elle ajoute : « Dans certains pays où il y a moins de ministres, le Secrétaire d’État dispose d’un portefeuille important, avec des dossiers qu’il étudie, analyse et sur lesquels il fait des recommandations ». Ne serait-ce pas un moyen d’apaiser ceux qui n’ont pas décroché de portefeuille ministériel ?
À cette question, l’économiste répond :
« Peut-être, pour certains, mais un Junior Minister est avant tout une formation pour devenir ministre. C’est un poste pour faire ses preuves. Prenons l’exemple d’Anishta Babooram, passée de l’Égalité des Genres à la Santé : cela lui permettra de comprendre les complexités d’un ministère important et, pourquoi pas, de se positionner comme ministre à l’avenir. Jusqu’à présent, les ministères ‘sociaux’ étaient souvent réservés aux femmes, alors qu’un grand ministère comme la Santé serait un véritable défi à relever, et elle pourrait y trouver sa place ».
Nando Bodha, du Rassemblement Mauricien : «On ne peut pas avoir deux capitaines sur un même navire»
Pour le leader du Rassemblement Mauricien, Nando Bodha, le poste de Junior Minister, non reconnu par la Constitution, demeure un véritable flou institutionnel. Sans cadre clair ni cahier des charges, ces fonctions manquent de responsabilité et de transparence, fragilisant l’efficacité des ministères. « On ne peut pas avoir deux capitaines sur un même navire », insiste-t-il, dénonçant l’ambiguïté qui règne, notamment sur la hiérarchie entre ministres, Junior Minister et chef de cabinet. Le récent transfert d’un Junior Minister a révélé une instabilité permanente et mis en lumière les dysfonctionnements profonds du système, surtout quand les ministres et leurs adjoints appartiennent à des partis différents, augmentant le risque de crise au sein de l’alliance gouvernementale.
Nando Bodha pointe plusieurs dérives : des Junior Ministers sous-exploités, d’autres jouant les « super ministers » avec la bénédiction du Premier ministre, et des conflits ouverts qui minent la cohésion gouvernementale. Après les habituels remaniements ministériels, les changements répétés au sein des Junior Ministers témoignent d’une instabilité chronique qu’il juge inacceptable.
Sanjay Matadeen, économiste : «L’essentiel réside dans la valeur ajoutée»
Pour l’économiste Sanjay Matadeen, si la réforme des Collectivités locales avait été mise en place, la présence d’adjoints ne serait pas nécessaire. En revanche, dans les ministères importants, un soutien est essentiel à condition de bien maîtriser les dossiers. « Un ministre, malgré sa bonne volonté, ne peut tout gérer seul et doit déléguer en confiance. L’essentiel réside dans la valeur ajoutée, les compétences, la responsabilité, la transparence, ainsi que la bonne entente entre le ministre de tutelle et son assistant », indique-t-il. Sanjay Matadeen rappelle un principe économique simple : « Il faut un retour sur investissement. Un Junior Minister reçoit un salaire correct avec des allocations, il doit donc être efficace. Ce poste remplace en partie celui de PPS, qui était proche du terrain et du peuple, tandis que le Junior Minister se concentre sur des dossiers sensibles nécessitant réflexion. Cependant, si on donnait plus d’autonomie aux collectivités locales, cela ne créerait-il pas un conflit entre ces deux niveaux ? Quoi qu’il en soit, l’essentiel est que les Junior Ministers prouvent leur valeur pour justifier pleinement leur rémunération ».
Sydney Pierre, Junior Minister au Toursime : «Notre rôle est essentiel»
Même si l’on pourrait penser qu’il défend sa propre chapelle, Sydney Pierre, Junior Minister au Tourisme, estime que son rôle est essentiel : « Le ministère est très vaste, avec la Tourism Authority, la MTPA et d’autres institutions sous sa responsabilité. Si le ministre devait être présent à toutes les manifestations internationales importantes, il ne serait jamais à Maurice, sauf en transit. Au niveau local aussi, la présence d’un adjoint est nécessaire, car cela inspire confiance. Cet appui permet au ministre de tutelle d’être aidé dans l’étude des dossiers et la représentation lors des salons internationaux et autres événements. Le ministre ne peut pas tout gérer seul, accaparé par ses multiples obligations. Il faut donc quelqu’un de professionnel, qui maîtrise les dossiers et connaît bien le secteur, pour défendre nos intérêts ».

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