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Karuna Rana : «C’est ensemble que le changement prend racine»

En ce mois de juillet, Big Ocean States Initiative (BOSI) met en avant le July Plastic Free Challenge, invitant les citoyens à repenser leur consommation et réduire leur empreinte plastique. Dans un entretien accordé à Le Dimanche/L’Hebdo, sa fondatrice et directrice Karuna Rana revient sur les motivations profondes qui nourrissent son combat.

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Qu’est-ce que la Big Ocean States Initiative (BOSI) et quelle est sa mission ?
Big Ocean States Initiative (BOSI) est une initiative pana-insulaire innovante pensée par et pour les petits États insulaires en développement (PEID) ou plutôt, les grands États océaniques. Basée à Maurice, BOSI vise à accélérer l’innovation océanique, le financement, l’impact et le leadership menés par les îles en soutenant les solutions locales et en portant haut la voix des insulaires sur la scène internationale.

Ses priorités incluent la lutte contre la pollution plastique, la promotion de la « Blue Food », notamment la pêche durable et les innovations autour des algues, ainsi que les solutions climatiques basées sur les océans. BOSI agit à travers les îles du monde entier – en Afrique, en Asie, dans le Pacifique et les Caraïbes – pour stimuler la coopération entre les îles et favoriser le partage des savoirs.

La participation de BOSI à la 3e Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC3) à Nice, en juin 2025, était-elle stratégique et essentielle ?
En tant qu’organisation pana-insulaire engagée pour la durabilité océanique, la présence de BOSI à l’UNOC3 était bien plus qu’une formalité. Elle traduisait une volonté forte d’affirmer que les communautés insulaires, notamment gouvernements, jeunes, ONG et société civile, sont des leaders incontournables de l’action océanique mondiale.

BOSI y a porté des voix trop souvent absentes, et a posé les questions difficiles mais nécessaires, notamment comment rendre le financement bleu accessible aux grands États océaniques ? Mais encore, comment ne pas laisser de côté les petits acteurs dans une économie océanique en pleine accélération, et comment garantir que les financements profitent aux populations, pas seulement aux projets ?

Les textiles synthétiques sont la première source de microplastiques industriels dans les océans, représentant 35 % du volume total, selon une étude récente»

Lors de cet événement, BOSI a présenté un article scientifique.
Effectivement ! BOSI a présenté un article scientifique au One Ocean Science Congress. Nous avons aussi participé au Blue Economy & Finance Forum, où BOSI a été reconnue comme une initiative de référence. BOSI a ainsi renforcé l’idée que ces grands rendez-vous internationaux sont des lieux où les décisions se prennent, les récits s’écrivent et les opportunités se jouent. Et parce qu’il est impératif que les îles racontent leur propre histoire, BOSI continuera d’être là pour représenter, questionner et agir.

Pourquoi BOSI s’associe-t-elle à Zero Waste Mauritius (ZWM) pour Plastic Free July ?
Chez BOSI, nous suivons depuis plusieurs années le travail rigoureux et engagé de ZWM. C’est l’une des rares organisations à Maurice qui met l’accent sur des solutions concrètes comme la réduction, la réutilisation et la réparation bien au-delà du simple recyclage. Leur ancrage local et leur connaissance fine du terrain en font un partenaire stratégique, porteur de transformations durables.

Nous partageons avec ZWM une vision commune d’un changement systémique et inclusif pour combattre efficacement la pollution plastique. S’unir pour Plastic Free July était donc une évidence. Cette collaboration nous permet de mutualiser nos expertises, d’élargir notre portée et de renforcer notre impact collectif pour ce mois emblématique et bien au-delà.

Les consommateurs ont un pouvoir bien réel à travers leurs choix, leurs habitudes et leur voix»

Plastic Free July, c’est bien… mais comment faire en sorte que l’élan ne s’arrête pas au 31 juillet ?
C’est précisément pour prolonger l’impact du mois sans plastique que nous avons lancé le 21-Day Plastic-Free Challenge. L’idée, c’est d’embarquer le public dans une aventure ludique et inspirante avec des récompenses attractives comme des initiations à la plongée, tout en visant un objectif bien plus profond.

On dit qu’il faut 21 jours pour créer une habitude. C’est pourquoi, pendant 21 jours, les participants relèvent chaque jour un défi unique sans plastique à usage unique pour intégrer peu à peu des gestes durables dans leur quotidien. Au fil du challenge, les participants apprennent, se questionnent et surtout inspirent leur entourage à rejoindre le mouvement. 

Car l’ambition est de faire du zéro plastique jetable un réflexe pour un mode de vie plus conscient qui dépasse largement le mois de juillet.

Comment encourager les Mauriciens à adopter un mode de vie zéro plastique ?
La première étape, je pense, est d’éliminer les plastiques à usage unique, surtout ceux qu’on utilise une ou deux fois avant de les jeter. Puis, il faut privilégier les alternatives réutilisables. Cela peut paraître contraignant au départ, mais avec le temps, cela devient un véritable réflexe.

Par exemple, nous pouvons éviter les bouteilles en plastique en buvant l’eau du robinet avec un filtre si nécessaire, et investir dans une gourde réutilisable. Ce faisant, nous restons hydratés, nous réduisons nos déchets et nous économisons de l’argent.

Un autre geste simple, c’est de dire non aux petits sachets en plastique pour les fruits et légumes au supermarché comme au « bazar ». Il n’y a pas besoin d’un sachet pour chaque article, un tote bag ou une « tant bazar » suffit largement. Malgré l’interdiction, ces sachets circulent encore trop facilement, donc changer nos habitudes peut faire toute la différence. 

Pour faire le premier pas de façon ludique, nous encourageons tout le monde à rejoindre notre 21-Day Plastic-Free Challenge en ce mois de juillet. Chaque jour, ils pourront relever un petit défi, adopter des gestes durables et inspirer les autres autour d’eux. D’ailleurs, c’est ensemble que le changement prend racine.

Des microplastiques ont également été détectés dans le sang humain, les placentas et plusieurs organes»

Que diriez-vous à quelqu’un qui pense que ces petites actions ne changent rien ?
C’est vrai que la responsabilité majeure face à la pollution plastique incombe aux industriels et aux décideurs. Pourtant, les consommateurs ont un pouvoir bien réel à travers leurs choix, leurs habitudes et leur voix. Chaque achat est un signal envoyé aux producteurs car il peut encourager ou dissuader certaines pratiques. Collectivement, les consommateurs peuvent exiger des solutions plus durables et les faire émerger.

Agir, c’est aussi vivre en accord avec ses valeurs. En faisant notre part, nous cultivons une conscience sereine et devenons une source d’inspiration pour les autres. 

Et si l’environnement ne suffit pas à convaincre, il faut penser à sa santé : les plastiques contiennent des substances toxiques et des microplastiques qui s’accumulent dans notre organisme. Réduire notre usage quotidien ne changera peut-être pas le système instantanément, mais cela peut transformer notre bien-être, aujourd’hui et demain.

Quels types de plastiques posent le plus de problèmes à Maurice et où finissent-ils ?
Les audits de déchets menés lors de nos Beach Clean-ups, notamment des collectes de données citoyennes, révèlent une réalité préoccupante : les plastiques les plus répandus sont les bouteilles en PET, suivies de celles en HDPE comme les bouteilles de Yop ou Perette. Certaines opérations permettent d’en ramasser plusieurs centaines en une seule journée.

On retrouve également des sachets plastiques en grand nombre ainsi que des mégots de cigarettes, souvent ignorés bien qu’ils contiennent aussi du plastique.

Si bon nombre de ces déchets sont théoriquement recyclables, ils le sont rarement en pratique. La majorité finit à la décharge de Mare-Chicose, faute d’infrastructures adaptées, notamment pour le recyclage des bouteilles HDPE, et de systèmes efficaces de tri à la source. 

Un autre enjeu sous-estimé concerne le secteur textile, crucial à Maurice. Les textiles synthétiques sont la première source de microplastiques industriels dans les océans, représentant 35 % du volume total, selon une étude récente. En tant que grand exportateur textile, Maurice a une responsabilité réelle pour aborder ce problème avec sérieux et vision.

La pollution plastique contribue-t-elle au changement climatique ? 
Absolument ! Le plastique est issu des énergies fossiles. Il génère des gaz à effet de serre tout au long de son cycle de vie, notamment par l’extraction, la production, le transport, l’utilisation et la gestion des déchets. D’ici 2050, il pourrait représenter jusqu’à 20 % de la consommation mondiale de pétrole et 15 % du budget carbone annuel global.

Une récente étude révèle même que l’industrie du plastique réchauffe la planète quatre fois plus que le secteur aérien. Alors que le monde tente de respecter l’Accord de Paris et de limiter le réchauffement à 1,5 °C, la production effrénée de plastique menace directement cet objectif.

Les géants des combustibles fossiles misent désormais sur le plastique pour diversifier leurs revenus, ce qui pousse certains pays producteurs à affaiblir les négociations du traité international sur le plastique afin d’éviter toute régulation de leur production. 

Mais attention, réduire la pollution plastique ne signifie pas simplement changer de matériau. Tout produit en plastique, en papier ou autre, nécessite des ressources et de l’énergie. Avant d’opter pour une alternative, il faut se demander si nous avons vraiment besoin de cet objet. Car au fond, c’est la surconsommation qui alimente à la fois la pollution et la crise climatique. La solution ? C’est d’adopter une approche basée sur le cycle de vie, qui permet d’évaluer l’impact global de chaque produit et de faire des choix réellement durables.

Même nos bouteilles d’eau souvent en plastique diffusent des microplastiques au fil de leur utilisation»

Le plastique dans nos assiettes, mythe ou réalité ? 
La science est formelle. Aujourd’hui, le plastique ne se contente plus d’envelopper nos aliments, il se retrouve dans nos corps. La majorité des emballages alimentaires contient des substances chimiques perturbatrices endocriniennes qui nuisent à la santé reproductive – baisse de la fertilité et fausses couches –, au système nerveux, immunitaire, et au développement cérébral des enfants.

Des microplastiques ont également été détectés dans le sang humain, les placentas et plusieurs organes. Chaque semaine, de nouvelles études révèlent leur présence dans une zone du corps encore inexplorée.

Comment ces particules s’infiltrent-elles ?
Les particules s’infiltrent par les poissons et fruits de mer qui ingèrent les déchets plastiques marins. Mais aussi par nos sources d’eau potable, y compris les réservoirs. Elles s’infiltrent également par nos contenants alimentaires en plastique chauffés ou en contact avec des aliments chauds qui libèrent des substances toxiques dans notre nourriture. Et même nos bouteilles d’eau souvent en plastique qui diffusent des microplastiques au fil de leur utilisation.

Un conseil : ne vous laissez pas tromper par les labels « sans BPA ». Cela ne signifie pas une absence totale de produits chimiques ou de particules plastiques nocives.

Quels sont les efforts internationaux pour réduire la pollution plastique ?
Depuis près de trois ans, les Nations unies mènent des négociations pour l’adoption d’un traité mondial juridiquement contraignant visant à lutter contre la pollution plastique. Ce traité, initialement prévu pour fin 2024, n’a pu être finalisé en raison du manque de consensus entre les pays. 

Un petit groupe de nations, de grands producteurs de plastique, de pétrole et de gaz, freine les avancées en plaidant pour un texte minimaliste centré sur la gestion des déchets plutôt que sur la réduction de la production elle-même. La prochaine session de négociations (INC-5.2) se tiendra en août et pourrait représenter la dernière ligne droite vers l’adoption du traité auquel BOSI compte bien participer activement.

Par ailleurs, il y a plusieurs coalitions qui œuvrent à faire avancer un traité ambitieux, fondé sur la science et la justice. Par exemple, la High Ambition Coalition, incluant Maurice et AOSIS, défend un traité fort au nom des États les plus vulnérables. Puis, il y a les groupes de la société civile, tels que Women’s Major Group, Youth Major Group, Break Free From Plastic, GAIA et l’International Alliance of Waste Pickers, qui s’assurent que les voix des communautés sont entendues. 

Nous avons la Scientists’ Coalition for an Effective Plastics Treaty et l’International Science Council qui plaident pour une approche fondée sur les données scientifiques, notamment sur la santé, ainsi que la Business Coalition for a Global Plastics Treaty, qui regroupe des entreprises en faveur de règles mondiales claires et cohérentes. Donc, l’objectif est de ne plus traiter le plastique comme une simple question de déchets, mais comme un enjeu systémique à la croisée du climat, de la santé, de l’économie et de la justice environnementale.

Quelles avancées majeures observe-t-on à l’échelle mondiale dans la lutte contre le plastique ?
L’une des évolutions les plus marquantes est sans doute l’élaboration du Traité mondial sur le plastique, actuellement négocié sous l’égide des Nations unies. Ce traité se distingue par son approche globale. Il ambitionne de réguler l’ensemble du cycle de vie du plastique de la production à l’usage jusqu’à la gestion en fin de vie.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), une telle approche pourrait permettre de réduire jusqu’à 96 % des fuites plastiques dans l’environnement d’ici 2040. Ce chiffre illustre l’ampleur du changement que le traité pourrait engendrer. 

Mais ce texte va plus loin car il intègre également les impacts du plastique sur la santé humaine en appelant à éliminer les additifs et produits chimiques nocifs ainsi que les types de plastiques les plus problématiques. Cette orientation marque un tournant essentiel, en passant de la gestion des déchets à la prévention en amont, en agissant sur les causes plutôt que sur les symptômes.

Karuna Rana, parlez-nous du projet « Tap Water Revolution », devenu aujourd’hui « Unbottle Revolution ».
Chaque jour, des milliers de Mauriciens consomment de l’eau en bouteille plastique, générant des tonnes de déchets acheminés vers Mare-Chicose, notre unique centre d’enfouissement, déjà dépassé. Face à cette urgence environnementale, nous avons lancé, en 2017, le projet « Tap Water Revolution » porté par l’ONG SYAH (SIDS Youth AIMS Hub) que j’ai eu l’honneur de diriger. Sa mission est de faciliter l’accès à une eau potable de qualité, normaliser l’usage de l’eau du robinet, réduire les plastiques à usage unique et inviter chacun à repenser la notion de confort au quotidien.

Ce projet s’est concrétisé à travers l’installation de fontaines publiques, la mobilisation de jeunes ambassadeurs, la sensibilisation du secteur hôtelier et un travail de plaidoyer auprès des institutions. Mais très vite, nous avons compris que le problème dépassait largement les bouteilles d’eau.

C’est ainsi qu’est née « Unbottle Revolution ». C’est une initiative élargie plus ambitieuse qui vise à réduire toutes les formes de plastique à usage unique, des bouteilles aux emballages alimentaires en passant par les contenants jetables. Aujourd’hui, nos objectifs sont d’étendre les fontaines publiques sur tout le territoire, soutenir les entreprises dans leur transition vers le zéro plastique, réinventer les modèles d’emballage, explorer des alternatives durables adaptées au contexte mauricien et surtout, canaliser l’innovation et les financements vers des solutions locales, inclusives et portées par les communautés. 
Si notre action prend racine à Maurice, elle commencera à s’étendre à d’autres îles africaines dans une dynamique de coopération insulaire et de co-construction de solutions adaptées aux réalités du terrain.

Un mot de la fin ?
(Sourire) Chaque petit geste compte et le changement commence ce mois-ci. Rejoignez le mouvement ! Nous invitons tous les citoyens à participer au 21-Day Plastic-Free Challenge porté par l’initiative « Unbottle Revolution » sous l’égide de BOSI en partenariat avec ZWM et Ocean Spirit Scuba Diving Mauritius.

Du lundi 7 juillet au dimanche 27 juillet, relevez chaque jour un nouveau défi avec des changements d’habitudes et des astuces concrètes pour repenser votre consommation. Privilégiez des échanges authentiques autour du plastique, du pouvoir citoyen et des solutions systémiques. 

Des récompenses hebdomadaires sont à la clé de ce challenge, dont des initiations à la plongée et d’autres surprises. Le challenge est ouvert à tous et vous pouvez le rejoindre à tout moment. Pour plus d’infos, consultez notre page Facebook « unbottlerevolution ».

Bio Express

Fondatrice et directrice de la Big Ocean States Initiative (BOSI), Karuna Rana incarne près de 15 ans d’un engagement passionné et multidisciplinaire au sein d’ONG, d’entreprises privées et d’institutions intergouvernementales à Maurice et à l’international. Son action se concentre sur les États insulaires africains avec une détermination affirmée à combattre la pollution plastique et à favoriser l’émergence d’une économie bleue inclusive et durable. Elle insiste sur l’importance de l’action collective pour préserver nos océans.

 

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