
Connue pour son franc-parler, le Pr. Sheila Bunwaree estime qu’une contribution, même minime, de la part de tous ceux qui doivent, dans quelques années, bénéficier de la Basic Retirement Pension, serait l’une des solutions. Sa conviction est que « biberonner le peuple à coups de subsides n’est pas nécessaire ».
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Le Budget 2025-26 n’a pas fait que des heureux. Comment l’expliquer ?
Comment faire des heureux lorsque l’élite politique promet monts et merveilles à la population durant une campagne électorale, pour ensuite prétendre qu’elle ne connaissait pas l’ampleur de la crise économique ? Pourtant, ce sont ces mêmes politiciens qui, tout au long de la campagne, affirmaient que l’économie était en ICU. Il n’y a plus de feel-good factor.
Faire des promesses électorales de manière irres-ponsable, uniquement pour gagner les élections, sans réelle considération pour la souffrance des gens, et sans projet de société profondément humaniste, démontre que la classe politique traditionnelle est en perte de repères moraux.
Venons-en au Budget lui-même : la classe travailleuse est horrifiée. La facilité avec laquelle l’Alliance du Changement commence à démanteler l’État-providence est jugée inacceptable et déshumanisante.
Certaines décisions dépassent la seule technicité et les chiffres, surtout dans un petit État comme Maurice, avec toute sa complexité historique, sociale et économique»
Les Mauriciens s’attend-aient-ils, après le retentissant 60-0, à ce que le gouvernement leur renvoie l’ascenseur ?
Ce 60-0 de novembre 2024 montre clairement que le peuple mauricien est intelligent, qu’il a un sens aigu de la démocratie et qu’il ne tolérera ni les dérives ni les atteintes à l’espace démocratique et aux droits acquis.
Le Mauricien veut respirer, vivre dignement, et nourrit des aspirations pour lui-même et ses enfants. Il fallait absolument faire tomber le régime du MSM pour que souffle à nouveau un vent de démocratie sur notre petite île. Les électeurs ont donc placé leur confiance dans cette grande Alliance du Changement, portés par l’espoir – pour être très vite désillusionnés.
Le citoyen lambda ne représente ni les gros bailleurs de fonds, ni les barons de la drogue proches des partis politiques : il n’attendait donc pas un retour d’ascenseur dans le même sens que ceux qui financent les partis politiques. Certes, il espérait que les promesses du programme électoral seraient tenues – en particulier celles ayant un impact direct sur la vie quotidienne.
On ne peut construire l’avenir d’un pays sur des mensonges et sur l’incapacité à identifier les véritables priorités, surtout lorsque les ressources sont si limitées.
Des observateurs expli-quent que les attentes de la population, en votant pour l’Alliance du Changement, étaient à la hauteur des promesses faites par les adversaires de l’ancien régime, notamment le MSM…
Durant la campagne élec-torale, il y a eu une véritable surenchère. Les politiciens sont largement responsables de cette culture du « bizin gagn tou kado », car eux-mêmes sont imprégnés d’une mentalité du « bizin gagne/aste vot ».
Les partis politiques tradi-tionnels multiplient les promesses irréfléchies pour assurer leur victoire et s’approprier le pouvoir, le tout déguisé sous l’étiquette d’un projet de société. L’absence de pédagogie politique et le manque de moyens des nouveaux partis font que de larges pans de la population tombent dans le piège des formations traditionnelles, qui ne font que reproduire le même système, sans apporter de changements fondamentaux.
À quand la réforme électorale tant promise ? Cinq ans passent très, très vite. Une véritable démocratie a besoin d’une opposition adéquate.
On ne peut construire l’avenir d’un pays sur l’incapacité à identifier les véritables priorités, surtout lorsque les ressources sont si limitées»
Les mesures budgétaires alourdissent la facture des ménages. Le caddie rend fou au passage en caisse, pendant que le ministre du Commerce affirme que certains produits réfrigérés ont connu une baisse, et que d’autres mesures suivront. Mais la vraie question est la suivante : les ministres font-ils eux-mêmes les courses de fin de mois pour mesurer réellement le poids de la cherté de la vie ?
Et ce ne sont pas seulement les ministres : les députés aussi font leurs courses mensuelles. Ils savent très bien que les Mauriciens souffrent de la vie chère. La seule différence, c’est que leurs discours tonitruants sur le coût de la vie – thème central de leurs campagnes électorales – ont aujourd’hui disparu de leur langage politique.
Ils ne sont plus habités par la souffrance du peuple : désormais, leur seul credo, ce sont les agences de notation telles que Moody’s, la Banque mondiale ou encore le FMI. Pourtant, l’histoire nous a montré comment ces mêmes institutions ont pu produire des effets néfastes sur les pays du Sud global.
Et aujourd’hui, avec l’émer-gence de nouveaux centres de pouvoir et une géostratégie en mutation rapide, il se pourrait que nous devenions le Sud du Sud, même au sein de ce soi-disant Sud global.
Les syndicalistes estiment que le Budget 2025-26 porte les marques de ceux qui ont précipité la chute de Navin Ramgoolam et de son gouvernement, il y a dix ans, en proposant des mesures déconnectées de la réalité, comme des taxes à tout-va. Partagez-vous cet avis ?
Il ne faut pas croire que tout est mauvais dans ce budget – l’une des mesures phares, par exemple, est la taxe sur les Smart Cities. Mais quelques bonnes décisions ne suffisent pas à donner une véritable orientation.
Affirmer que passer d’un modèle basé sur la consommation à un autre fondé sur l’investissement, constitue un nouveau modèle de développement n’est pas vrai. Ce budget représentait une véritable opportunité d’adopter une approche du développement globale et centrée sur l’humain.
Or, se reposer sur l’école néolibérale, avec toutes les inégalités qu’elle engendre – y compris la destruction continue de notre environnement –, se laisser guider par une petite élite, et, pire encore, le faire sans faire soi-même preuve d’exemplarité ou de sacrifice, est de très mauvais augure pour la nation mauricienne.
Biberonner la population à coups de subsides n’est pas nécessaire»
Y avait-il d’autres options que de repousser l’âge d’éligibilité à la BRP (Basic Retirement Pension), qui est universelle et non contributive ?
Repousser l’âge d’éligibilité à la BRP de manière unilatérale a été perçu comme une décision brutale et injuste. Les personnes concernées – en particulier les plus vulnérables, celles et ceux exerçant des métiers pénibles, ainsi que les femmes au foyer – vivent très mal ce report, elles qui attendent avec impatience cette « pension de vieillesse ».
Que les pensions soient devenues « insoutenables », compte tenu du rapport travailleurs/retraités dans un contexte de population vieillissante et de baisse de la natalité, est indéniable. Il est également vrai que le traitement réservé au Fonds national de pension par l’ancien régime, ainsi que les dégâts causés par l’introduction de la Contribution sociale généralisée (CSG), ont aggravé la situation.
Mais il ne suffit pas de consulter uniquement les actuaires, les membres du gouvernement et leurs conseillers. Certaines décisions dépassent la seule technicité et les chiffres, surtout dans un petit État comme Maurice, avec toute sa complexité historique, sociale et économique.
La notion de pension non contributive me pose problème. Prenons l’exemple des femmes au foyer, dont le travail non rémunéré n’est pas reconnu dans le calcul du Produit intérieur brut (PIB). Ce sont elles qui nettoient la maison, qui cuisinent, qui s’occupent des enfants et des personnes âgées ; sans leur contribution, l’économie formelle ne pourrait tout simplement pas fonctionner.
Mais allez expliquer cela à certains… Je ne suis pas sûre qu’ils comprendront. Articuler les niveaux micro, méso et macro est essentiel pour garantir la dignité humaine.
Pourquoi ne pas envisager une contribution financière minimale des bénéficiaires dans quelques années, afin d’alléger le poids de la BRP sur les caisses de l’État ?
Il existe plusieurs pistes, mais encore faut-il savoir écouter, dialoguer, et le faire avec humilité, pour aboutir à des solutions viables. L’arrogance ne mène nulle part. Oui, une contribution modeste de la part des bénéficiaires peut être envisagée pour la BRP, mais il existe bien d’autres moyens d’assurer une répartition équitable de nos ressources collectives.
Il y a quasi-unanimité sur le fait que l’État-providence est en train de plier bagage, et que cela pourrait mener à une explosion sociale. Sans accès gratuit à la santé, à l’éducation et aux transports, la majorité de la population risque de souffrir durement. Sommes-nous devenus un peuple que l’on biberonne à coups de subsides ?
On ne sait plus quelle direction prendre. Ce qui est certain, c’est qu’il faut impérativement relancer une économie surendettée, sclérosée, dans laquelle, ces dernières années, presque rien n’a été fait pour renforcer les piliers essentiels.
Une santé et une éducation de qualité, équitables et inclusives, sont absolument nécessaires à la survie même de notre société. Mais l’état actuel du système éducatif est loin de nous mener à bon port.
Avions-nous réellement besoin d’un ministère de l’Enseignement supérieur, alors que nous disposons déjà de nombreuses institutions, dont la Higher Education Commission ? Un audit a-t-il été mené dans les écoles primaires et secondaires pour évaluer leur taux de fréquentation décroissant, et repenser leur fonctionnement dans un contexte où le privé gagne du terrain ? Chaque sou compte en temps de crise, mais l’économie de l’éducation semble être une notion bien étrangère au gouvernement actuel.
Le secteur de la santé souffre toujours du manque de personnel, et les transports restent mal organisés, avec des centaines de personnes âgées témoignant qu’elles sont souvent laissées sur le bord de la route.
Biberonner la population à coups de subsides n’est pas nécessaire. Ce dont nous avons réellement besoin, c’est d’une planification rigoureuse, de vraies compétences et d’une volonté politique pour faire avancer les choses de manière positive.
On nous avait promis la méritocratie… mais il semble que l’attente sera encore longue.
La politique est devenue un vecteur de statut, de privilèges et un moyen d’enrichissement personnel»
La perception dominante veut que tout gouvernement au pouvoir voie dans la classe dite moyenne une vache à lait…
La classe moyenne, tout comme la classe ouvrière, s’est considérablement appauvrie ces dernières années. Ni la classe moyenne ni l’État ne devraient être perçus comme une vache à lait.
L’État ne peut tout offrir gratuitement. Il faut apprendre à concilier le bien-être de la population avec des choix économiques responsables et des priorités claires. On ne peut décemment investir dans de nouvelles routes ou la construction d’un Parlement, alors que des familles vivent sans toit et peinent à se nourrir.
En ce qui concerne nos routes, les embouteillages étouffent nos automobilistes. Pourtant, de nombreuses bretelles ont été construites, et le Metro Express est arrivé – deux projets censés tout fluidifier en matière de circulation…
Vous avez tout à fait raison. Décongestionner nos routes exige davantage d’ingéniosité, d’innovation et surtout de courage politique. Les dirigeants ne cessent de vanter leur capacité à prendre des décisions impopulaires : alors pourquoi ne pas envisager un système de péage, comme à Singapour, par exemple ?
Je reconnais que ce ne serait pas une solution miracle, mais cela modifierait les comportements et, à long terme, pourrait réellement soulager le pays.
Il y a eu la réforme de la BRP. Et puis, il y a la pension accordée à nos élus après seulement deux mandats, alors qu’ils ne contribuent qu’à 6 % de leur salaire mensuel, et bénéficient ensuite d’une pension à vie. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Verser une pension à vie à nos élus après deux mandats, même avec une contribution partielle, est une aberration majeure. L’injustice et l’iniquité de ce système ne doivent pas être occultées. La grande majorité de nos élus sont déjà des professionnels bien rémunérés, souvent à la tête de leur propre entreprise ou impliqués dans d’autres activités lucratives.
Et lorsqu’on parle de représentants politiques, il faut aussi rappeler la vocation de service qui doit les animer. La politique ne devrait pas être perçue comme une carrière professionnelle. D’ailleurs, ils/elles affirment tous, au moment de prêter serment, qu’ils sont fiers d’avoir l’occasion de servir le pays.
Le Bhagavad Gita, comme d’autres textes spirituels, rappelle une valeur essentielle : « Accomplis ton devoir sans attendre de récompense. » Malheureusement, la politique est devenue un vecteur de statut, de privilèges et un moyen d’enrichissement personnel.
Sur le même registre, la pension à vie accordée à nos ex-présidents de la République et à leurs ex-adjoints était-elle vraiment nécessaire, avec gardes du corps, voyages et autres allocations ?
Je rêve du jour où l’un de nos anciens – ou actuels – présidents ou vice-présidents déclarera que cette fonction doit être exercée avec noblesse et dignité, et qu’il ou elle est prêt(e) à renoncer aux salaires, pensions et privilèges qui l’accompagnent. C’est vraiment inacceptable qu’en 2025, alors que le pays traverse de multiples crises et que la pauvreté ne cesse de croître, la présidence et la vice-présidence puissent continuer à absorber autant de ressources publiques, sans que cela provoque un sursaut des consciences.
Et quelle est l’utilité réelle d’un vice-président de la République assortie d’une pension à vie ?
La fonction de vice-président est un gaspillage total – et presque tout le monde en est conscient. Ce poste aurait dû être aboli depuis longtemps, et les fonds alloués réorientés vers des projets utiles : construction de logements pour les sans-abri, création de centres de réhabilitation pour les jeunes victimes de la drogue, etc.
Le Parti travailliste avait promis de supprimer ce poste, et nous savons très bien qui a insisté pour sa préservation – et pour quelles raisons. L’île Maurice moderne mérite mieux que des calculs ethniques ou castéistes dictés par des esprits erronés.
Depuis plus de 20 ans, je dénonce le gaspillage de ressources associé à ce poste de vice-présidence.
La nomination de certains caciques du pouvoir fait grincer des dents. Reprend-on les mêmes, comme à l’ancienne ?
Certes, quelques bonnes nominations ont été faites, avec des personnes compétentes placées à la tête de certaines institutions. On ne peut que leur souhaiter bonne chance, en espérant qu’elles sauront préserver leurs valeurs et leurs principes pour garantir le bon fonctionnement de nos structures publiques.
Mais je suis d’accord avec vous : certaines nominations de vieux caciques interrogent. On nous dit qu’on a besoin de gens expérimentés… Mais expérimentés en quoi exactement ? Après avoir traversé une ère marquée par l’incompétence, la corruption et l’absence d’éthique de l’ancien régime, la moindre des choses serait de publier les termes de référence, les job descriptions et les responsabilités exactes de chaque conseiller et nominé politique.
Et qu’est devenu l’un des thèmes phares de la campagne ? La méritocratie. La population – et en particulier la jeunesse – assiste à tout cela avec un mélange de dégoût et de désespoir. L’hypocrisie du système atteint son paroxysme.
On ne peut bâtir une nation moderne, juste et inclusive en récompensant avant tout la fidélité et la loyauté politique.
Il y a eu la formation d’une « NATRESA New Look », pour reprendre les propos du DPM, avec à sa tête Sam Lauthan : la National Agency for Drug Control. Peut-on espérer un véritable combat contre les barons de la drogue, ceux-là même qui empoisonnent notre jeunesse avec des drogues bon marché, en vente libre ?
Près de huit mois se sont écoulés depuis que l’Alliance du Changement a pris les rênes du pouvoir. Compte tenu du nombre de jeunes en détresse, de la montée des violences liées à la drogue et de familles brisées, la création d’une « NATRESA New Look » ne saurait suffire.
Sam Lauthan fait preuve d’une réelle détermination et semble animé de bonnes intentions dans la lutte contre ce fléau. Mais ce combat exige une approche multisectorielle, un engagement transversal et une ouverture d’esprit sur des sujets sensibles comme la légalisation ou la dépénalisation du cannabis.
Il faut agir vite, on n’a plus de temps à perdre.
La Financial Crimes Com-mission enquête sur des dérives alléguées de l’ancien gouvernement. Peut-on y voir une forme de vendetta politique ?
Les responsables – ceux qui ont ruiné notre économie, affaibli notre démocratie, dévié notre île de sa trajectoire de développement, fait souffrir tant de familles mauriciennes et compromis l’avenir de notre jeunesse – doivent répondre de leurs actes et assumer les conséquences du tort causé.
Il est possible qu’il y ait également une part de vendetta politique – rappelez-vous, par exemple, du cas des employés des municipalités et des conseils de district. Heureusement, la Cour suprême continue de faire preuve d’une certaine indépendance et la justice fonctionne toujours dans notre pays.

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