Si Paul Bérenger quitte effectivement le navire de l’Alliance du Changement dès la semaine prochaine, la fracture ne se limitera pas au gouvernement… Elle s’en ressentira au sein même du MMM. Selon Avinaash Munohur, politologue et consultant en stratégies politiques, les mauves risquent de devenir une version Bérenger du PMSD sur l’échiquier politique.
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À la lumière des divergences exprimées ces derniers jours, estimez-vous que les relations entre le PTr et le MMM peuvent encore revenir à la normale ?
L’avenir nous le dira. Je doute personnellement que les choses puissent revenir à la normale, vu la manière dont les choses ont été faites – je pense ici notamment aux conférences de presse de Paul Bérenger attaquant ouvertement des proches du PM et le fait que les mauves aient, semble-t-il, boycotté les commémorations de l’armistice. Il y a forcément des désaccords sur un certain nombre de sujets, comme il peut y en avoir dans toutes les alliances, mais le fait de les exposer sur la place publique produit forcément une situation de tension – tension qui ne disparaîtra pas du jour au lendemain. De ce point de vu, le ver est désormais dans le fruit.
On reproche au MMM d’être trop impatient par rapport à certains projets promis, comme la réforme électorale…
La réforme électorale est l’un des points essentiels pour le MMM, comme pour ReA, d’ailleurs. Cela fait des années, voire des décennies, que le MMM pousse pour une réforme allant dans le sens de l’introduction d’une dose de proportionnelle, et nous savons que ReA a fait de l’abolition de la déclaration ethnique l’une de ses principales revendications politiques. Est-ce que le MMM est trop impatient sur ce point précis de la réforme électorale ? Sans doute. N’oubliez pas que c’est le MMM qui bénéficiera le plus d’une réforme électorale avec la proportionnelle qui lui permettra d’avoir un plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale. D’une certaine manière, l’avenir du MMM se joue dans une réforme qui favorise son statut de troisième force politique. Certains pourraient même dire que sa survie en dépend, d’où l’urgence.
L’avenir du MMM se joue dans une réforme qui favorise son statut de troisième force politique. Certains pourraient même dire que sa survie en dépend, d’où l’urgence»
Selon les caciques du MMM, le parti ne veut pas d’une cassure, mais le leader des mauves a dit que cette option ne va pas sans ses conditions…
Il est évident que la majorité des députés mauves ne veulent pas d’une cassure. Certains d’entre eux se retrouvent au gouvernement après une traversée du désert de presque 20 ans. Ils ne vont pas lâcher le morceau aussi facilement, surtout qu’il s’agit sans doute du dernier tour de piste pour un certain nombre d’entre eux. Maintenant, que le leader des mauves tente d’imposer certaines conditions pour le maintien du parti dans l’alliance me semble évident. C’est la nature même du jeu des alliances qui le veut.
Peut-on envisager que le MMM cherche à maintenir coûte que coûte sa position au pouvoir pour assurer l’adoption de la réforme électorale ?
Je fais partie de ceux qui pensent que l’avenir du MMM dépend de la réforme électorale. Il ne faut pas sous-estimer que la transition se prépare au MMM, et il ne faut pas non plus sous-estimer le fait que des figures fortes qui auraient pu porter le parti vers d’autres horizons sont parties depuis longtemps déjà. Ces départs ont laissé un vide en interne, ce qui a renforcé le Bérengisme, mais ce qui également a profondément affaibli le parti, qui ne compte plus les figures de valeur qui avaient une vision claire pour le pays. À partir de là, il est évident que la transition sera très compliquée et que le parti est exposé au risque d’une désintégration totale, lorsque Paul Bérenger tirera sa révérence.
Serait-ce alors un clap de fin pour les mauves ?
Je ne pense pas. Le MMM a su construire une base réelle au fur et à mesure des années. Cette base s’est effritée lentement, mais sûrement avec les cassures successives, avec une accélération de l’effritement à partir de 2005. D’un parti traversé par une diversité de courants, il est petit à petit devenu un parti où le Bérengisme a triomphé. Ce triomphe s’incarne dans la personne de Paul Bérenger, mais aussi de par le vide qu’il a fait autour de lui.
Si cassure il y a, le MMM pourrait bien se scinder en deux. Les Bérengistes suivront Paul et les autres resteront au gouvernement en espérant intégrer le PTr et briguer les prochaines élections sur un ticket rouge – je dis bien « en espérant »...
C’est grosso modo comme ça que se passeront les choses au MMM, selon moi… à moins bien évidemment qu’il y ait une fronde en interne et qu’une majorité de militants souhaite tourner la page du Bérengisme, afin de vraiment donner une chance au parti de redevenir une force nationale. Donc, j’imagine mal cette hypothèse prendre corps… à moins qu’une union sacrée d’anciens militants et de ceux qui resteront au gouvernement puissent se faire.
Disons que, dans le pire des cas, en quittant le gouvernement, le MMM deviendra la version Bérenger du PMSD. Ils pourront toujours prétendre à quelques tickets dans n’importe quelle alliance. Et je pense que Paul Bérenger ne serait pas malheureux de cela. Au vu des capacités actuelles du parti et de son personnel politique, ce serait le moindre mal.
Un jeu d’échecs s’est installé depuis quelque temps entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger»
Une rencontre entre les deux leaders pourrait-elle aboutir à autre apaisement ?
La posture de Paul Bérenger semble être une posture de principe. Si c’est vraiment le cas, alors il ne bougera pas, ce qui risque de mettre Navin Ramgoolam dans l’embarras. En fait, le bras-de-fer qui est entamé a, selon moi, déjà produit toutes les conditions de la cassure. La position et les demandes de Paul Bérenger mettront forcément Navin Ramgoolam dans une situation délicate. S’il les accepte, il donnera l’impression d’avoir plié devant Paul Bérenger. Est-ce que Navin Ramgoolam acceptera ce qui pourrait être perçu comme une forme de faiblesse, voire une humiliation, envers un partenaire minoritaire ? J’ai du mal à le croire.
Parallèlement, si Paul Bérenger n’obtient pas ce qu’il désire – et notamment les réformes qu’il souhaite voir menées à bien – alors il précipitera la rupture afin de commencer à préparer d’autres alliances pour les prochaines élections générales.
Après une relative accalmie entre le PTr et le MMM, vendredi, tout a basculé. Les deux raisons principales : la reconduction pour une année au poste de CP de Sooroojebally, proche du Premier ministre, sans que le leader du MMM n’en soit informé, et l’absence à l’agenda de la réforme électorale. Serait-il blessé dans son ego ?
Je constate que le renouvel-lement du contrat du Commissaire de police et le fait que les minutes du Cabinet Meeting n’incluent pas la proposition de réforme électorale sont clairement deux réponses cinglantes de Navin Ramgoolam envers Paul Bérenger.
Un jeu d’échecs s’est installé depuis quelque temps entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. En ayant eu les mots et les déclarations qu’il a tenus publiquement, Paul Bérenger a initié une guerre froide avec Navin Ramgoolam avec l’espoir de le faire plier sur un certain nombre de choses, et notamment sur les nominations et sans doute sur le contenu de la réforme électorale. Je dirais… échec et mat ! Est-ce que Paul Bérenger sera blessé dans son égo ? Il a l’habitude de ces situations, donc je ne le pense pas. Les mauvaises langues diront que le hat-trick pourrait enfin être complété.
Vous savez, la politique, c’est la sphère des rapports de force. Il faut être fort pour pouvoir imposer sa volonté aux autres. Un parti comme le MMM n’est aujourd’hui plus assez fort pour le faire, c’est aussi simple que cela. Et Navin Ramgoolam vient de le rappeler au leader mauve. Paul Bérenger est ainsi mis face à un choix clair : ou bien il ravale son ego et reste au gouvernement malgré l’humiliation publique et le fait qu’il ne pourra plus siéger à côté de Navin Ramgoolam et prétendre que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, ou bien il part en brandissant ses slogans préférés. C’est un faux choix en réalité et nous savons que le sort est déjà décidé. C’est une question de timing désormais.
En réalité, cette situation arrange sans aucun doute les affaires de Paul Bérenger, qui doit depuis un moment déjà songer à sa stratégie de sortie, surtout au regard de la vitesse à laquelle la cote de popularité du gouvernement chute. Il pourra désormais annoncer à qui voudra bien l’entendre qu’il est plus fort que jamais et commencer à planifier ses prochaines alliances en vue des prochaines élections générales.
Des 18 élus des mauves, dont certains ministres, qui sont ceux qui pourraient suivre leur leader dans l’opposition ?
Seuls les Bérengistes devraient, a priori, quitter le gouvernement pour suivre leur leader. Une poignée... Si cassure il y a, je pense que le MMM pourrait bien se scinder en deux. Les Bérengistes – pour ne pas dire les Bérengers – suivront Paul Bérenger, mais nous devinons qu’une partie des élus mauves voudra rester au gouvernement. Je pense que cette scission interne arrange en réalité Paul Bérenger et qu’il en a le désir, au fond de lui.
À partir de là, nous devinons que Paul Bérenger passera tout son temps à la réorganisation du parti. Comme par hasard, vous allez entendre qu’il y aura des élections en interne : élections du Comité central, élections du Bureau politique, etc. Et, ces élections porteront la jeune génération du parti au-devant de la scène. Il est aisé de deviner, à partir de là, comment s’organisera la passation du leadership.
Et, dans ce cas de figure, quel serait le rôle de Reza Uteem, qui est le bras droit du leader des mauves depuis des années ?
Reza Uteem est le président du parti, ce qui devrait le placer dans une position privilégiée pour prétendre au leadership. Il occupe également une circonscription et une région où le MMM reste solide – l’une de ces fameuses 4 ou 5 circonscriptions où les mauves peuvent toujours prétendre avoir une assise – donc cette prétention est légitime. Est-ce que Reza Uteem acceptera un ou une autre leader à la tête du MMM ? Difficile à dire. Cela dépend vraiment de ses ambitions.
Rama Sithanen et Kishore Beegoo, deux nominés des rouges, ont été sacrifiés. Réaction ?
Dans le cas de Rama Sithanen, il y avait clairement un immense problème. Il faut d’ailleurs féliciter Paul Bérenger d’avoir étalé les pratiques de l’ancien Gouverneur de la Banque centrale sur la place publique. Nous attendons maintenant que la police et la FCC fassent leur travail et convoquent l’ancien Gouverneur de la BoM et son fils afin qu’une enquête claire puisse être effectuée sur les graves allégations faites à leur encontre.
Pour Kishore Beegoo, c’est plus ambigu et le signal envoyé – surtout au regard des rumeurs qui circulent – est que le leader des mauves aurait effectivement une hit-list de nominés rouges qu’il voudrait voir révoqués. Est-ce qu’il a raison de vouloir leur départ ou bien souhaite-t-il simplement positionner ses pions à lui ? Nous n’en savons pas assez à ce stade.
L’ex-Gouverneur de la Banque de Maurice est parti avec un golden handshake de Rs 5,5 millions. Mais, sur les ondes de TéléPlus, mardi soir, le ministre Shakeel Mohamed a révélé que Rama Sithanen avait réclamé Rs 20 millions comme compensation de départ pour services rendus, mais le ministre des Finances, qui est aussi le chef du gouvernement, y a objecté. Votre opinion ?
Il y a une chose que je n’ai pas comprise. Comment se fait-il que quelqu’un qui a démissionné sur des soupçons extrêmement graves puisse bénéficier d’un golden handshake ? Lorsque vous démissionnez dans le privé, vous abandonnez vos privilèges et vous partez sans rien. Dans le cas présent, non seulement il a bénéficié d’un pay package, mais il a également réclamé plus d’argent. Le ministre des Finances aurait tout simplement dû refuser de payer le moindre sou à l’ancien Gouverneur de la BoM, considérant à quel point la situation de son départ forcé est grave. Vous voyez pourquoi les gens sont dans une telle désillusion actuellement ? Comme je le disais plus tôt, la FCC et la police ont des questions à poser à Rama Sithanen et à des gens de son entourage dans le cadre d’une enquête. Qu’attendent-ils pour le faire ?
Et Ashok Subron dans tout ça ? Ciblé par les syndicalistes pour la révision de la pension universelle, que ferait-il dans une posture autre que ministre : reprendrait-il le flambeau du syndicalisme ou resterait-il en retrait ?
Ashok Subron pourrait être leader de l’opposition pendant quelques semaines, peut-être quelques mois. Sinon, il reste au gouvernement pour finir le mandat et profiter du maroquin jusqu’aux prochaines élections générales, en espérant pouvoir être reconduit. Mais cette hypothèse est, pour l’instant, du wishful thinking. Ashok Subron aura appris une grande leçon de realpolitik à ses dépens : l’activisme et le fait de gouverner sont radicalement différents. En d’autres termes, il est facile de demander tout et n’importe quoi lorsqu’on est dans la revendication de l’activisme. Mais lorsqu’on gouverne, il faut souvent trancher par des décisions qui peuvent être extrêmement difficiles et à l’encontre de ses croyances. J’ai toujours pensé que trop de politiciens confondaient le gouvernement et l’activisme. Peut-être que le cas présent de ReA pourrait servir d’exemple concret au fait qu’il s’agit là de deux cultures radicalement différentes.
Estimez-vous que la révision de la pension universelle dès le premier Budget de ce gouvernement a été une erreur, même si les actuaires et les économistes s’accordent à dire qu’elle était inéluctable ?
Inéluctable, peut-être… Le problème n’est pas là. Le problème fondamental réside dans le fait qu’une réforme de la pension aussi importante a été faite sans mandat du peuple. À aucun moment cette réforme n’a été évoquée pendant la campagne électorale ou dans le programme électoral de l’Alliance du Changement. Le programme promettait monts et merveilles : augmentation de la pension, augmentation du pouvoir d’achat, baisse conséquente du prix des carburants, baisse du trafic des drogues, etc.
Une telle réforme aurait dû être discutée pendant la campagne électorale. Vu que cela n’avait pas été le cas, elle aurait dû être soumise à un référendum. J’en profite ici pour rajouter que ça doit aussi être le cas pour toute réforme électorale. Même si elle a été promise dans le programme électoral, la réforme électorale se doit d’être soumise à un référendum. La Constitution de la République de Maurice, dont fait partie le système électoral, pour le meilleur ou pour le pire, a su garantir la stabilité sociale et économique du pays depuis l’Indépendance. Elle se trouve au cœur de la réussite mauricienne et des immenses progrès que la nation a engendrés depuis plusieurs décennies. Changer de système électoral pourrait introduire une instabilité qui pourrait – petit à petit – ronger le pays jusqu’à arriver à une situation d’instabilité permanente. Nous nous devons donc d’être extrêmement vigilants ici afin de ne pas finir avec une réforme électorale qui est dans l’intérêt des partis politiques, mais pas dans l’intérêt du peuple. Et un référendum est essentiel pour garantir cela.
Un autre dossier qui occupe le devant de la scène médiatique est l’affaire Mamy Ravatomanga et le jet privé qui a atterri chez nous. Le PM affirme que tout était « prémédité ». Qui a donné l’ordre à notre aviation civile, qui a reçu les passagers au Jet Prime, y avait-il des soldats de la SMF, une ambulance et aussi la sécurité nationale et des officiers de la MRA sur le tarmac lors de l’atterrissage ?
Je ne suis pas enquêteur ou journaliste d’investigation. De ce fait, je suis au courant de ce qui est rapporté dans les médias, comme tous les Mauriciens. Je ne peux donc pas répondre à votre question. Mais je peux vous dire qu’il est important que le gouvernement ouvre une enquête et que celle-ci soit rendue publique. Il est surtout important que le gouvernement arrête de se cacher derrière des excuses du type « le MSM contrôle toujours l’aéroport ». Ce n’est pas sérieux. Ce gouvernement a gagné les dernières élections avec un mandat total, un 60-0 éclatant. Une année plus tard, il ne peut pas prétendre ne pas avoir les moyens d’agir. Et il doit arrêter de se cacher derrière l’excuse « pa mwa sa li sa ». La situation est cocasse, en fait, parce qu’ils sont en charge de tout, mais semble n’être responsables de rien. Ce n’est pas crédible.
Si l’aviation civile a donné son feu vert pour l’atterrissage du jet privé malgache, quelqu’un en haut lieu a dû intervenir, alors que le PM par intérim Paul Bérenger dit n’avoir été mis au courant que le lendemain…
Si Paul Bérenger dit vrai, alors il a été mené en bateau en étant maintenu « out of the loop », comme on dit. C’est la preuve qu’il ne contrôle rien malgré le fait qu’il soit DPM, et qu’il était PM par intérim le soir de l’atterrissage du fameux jet. Je constate que les choses se sont vraiment dégradées entre Paul Bérenger et Navin Ramgoolam depuis ce moment, d’ailleurs. Mais il faudrait se poser une autre question : quelle est la fonction et l’utilité d’un DPM qui n’a aucun ministère et qui semble n’avoir aucune autorité sur le PMO ? Ce set-up était voué à l’échec dès le départ. On ne peut pas avoir deux capitaines dans un navire, ça finit toujours mal.
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