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Mal de société : les sources de corruption à Maurice

Présente dans différentes sphères de la société, la corruption demeure l’un des principaux défis de notre pays. D’ailleurs, Maurice a obtenu un score de 51 sur 100 sur l'indice de perception de la corruption. Dans le cadre de la Journée internationale de la lutte contre la corruption observée ce lundi 9 décembre, les observateurs sont unanimes à dire qu’il est important de s’attaquer à la source même du problème.

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Détournement de fonds, blanchiment d’argent, évasion fiscale, favoritisme… Ce sont-là autant de types de corruption qui gangrènent le pays. Les chiffres du Global Corruption Barometer 10th Edition Africa 2019 sont alarmants : 5 % des utilisateurs des services publics avouent avoir offert un pot-de-vin au cours de ces 12 derniers mois, alors que 23 % des sondés estiment que les membres de l’Assemblée nationale sont corrompus. 
Rajen Bablee, directeur exécutif de Transparency Mauritius, explique qu’il existe deux types de corruption : grande et petite. Il souligne qu’il est plus facile de lutter contre la petite corruption, car elle  implique moins d’acteurs. « La corruption politique est un autre aspect qui inclut le népotisme et le financement politique, entre autres. Maurice est un cas intéressant. De nombreux Mauriciens sont d’avis que la corruption existe à différents niveaux, que ce soit au sein du gouvernement, dans les institutions ou parmi les fonctionnaires, », dit-il. 

Notre interlocuteur fait ressortir qu’il y a le corrompu et le corrupteur. « Prenons, l’exemple des dernières élections générales. Si nous partons du principe qu'il y a eu des élections truquées et où l'argent a servi pour soudoyer les votants, les corrupteurs seraient les politiciens et les corrompus, l’électorat, » lance-t-il avant de faire ressortir que la population a tendance à oublier qu’elle constitue la société, le gouvernement et les institutions.
Pour sa part, Rajendra Patil Hunma, coach et consultant, soutient qu’il faut faire la différence entre petite corruption et  corruption politique. Bien que les deux soient condamnables, à son avis, la corruption politique est plus grave en raison de l’ampleur des dégâts qu’elle cause. Selon lui, les lois et les institutions existantes ont tendance à se focaliser davantage sur la petite corruption que sur la corruption politique. « La presse publie parfois des informations sur des individus sanctionnés pour avoir reçu des pots-de-vin. La corruption politique, par contre, est de nature systémique et implique souvent le financement de partis politiques en échange de marché publics, de terrain de l’État et d’autres concessions », dit-il. 

Notre interlocuteur est d’avis que l’impact de la corruption politique sur les finances de l’État et les contribuables est important. « Cela contribue souvent à des prix excessifs des produits et services, une baisse dans les qualités et des reprises. Les discussions sur la corruption politique étaient sur la table, mais peu a été fait pour y faire face. C’est compréhensible, car il y a conflits d’intérêts », ajoute-t-il. 

Éliminer les sources

Rajendra Patil Hunma soutient qu’un moyen efficace de prévenir la petite corruption est apporter des changements dans l’environnement dans lequel ce type de corruption est commis, par exemple, en réduisant le niveau de bureaucratie et en renforçant la transparence par rapport aux décisions prises. 

En ce qui concerne la corruption politique, il estime qu’une législation pertinente doit être adoptée, obligeant les partis politiques à devenir des associations enregistrées et dont des rapports financiers audités sont déposés chaque année auprès des autorités compétentes. « Les autres mesures comprennent des reçus officiels pour tous les dons et ceux dépassant Rs 1 000 doivent être effectués par virement bancaire ou par chèque. Les partis politiques doivent être en mesure d'expliquer toutes leurs sources de financement », avance-t-il. 

Notre interlocuteur précise que la nouvelle loi doit imposer que tous ceux qui détiennent le pouvoir de nomination, de recrutement et d’allocation des contrats doivent eux aussi révéler certaines informations personnelles. « Lors de l'allocation des contrats pour des marchés publics ou de terrain d’État, les partis au pouvoir devront révéler leur relation avec ces personnes ou entreprises et s’ils ont reçu des donations de ces entités », dit-il. Il est d’avis que si les informations ne sont pas disponibles, des sanctions sévères devront être prises, y compris des peines de prison et des amendes. 


Quand les inspections encouragent la corruption

Un rapport publié par l’Independent Commission Against Corruption (Icac) intitulé « Corruption Prevention Reviews » souligne que les inspections dans le secteur public peuvent être un outil de surveillance efficace, mais en même temps, elles peuvent créer un environnement favorable à la corruption. Selon le rapport, le risque de corruption augmente dépendant de la nature des travaux d’inspection, des contacts fréquents avec les parties prenantes, de l’utilisation des pouvoirs et du manque de contrôles de surveillance. 

Un autre élément clé est la forte perception que les inspecteurs exercent une sorte de favoritisme sur la décision de sanctionner ou pas ceux qui ont commis des infractions. Malheureusement, selon le rapport, à chaque fois que les inspecteurs décident de ne pas sanctionner une infraction, il n’y pas de mécanisme en place afin d’agir ou de faire un bilan. En l’absence d’un tel mécanisme, les inspecteurs retardent les procédures contre des avantages personnels.  


Nem BoodeoImpact économique  

L’économiste Nem Boodeo affirme que la corruption a de nombreuses conséquences économiques. Il avance que la corruption engendre d’abord l'inefficacité. « La monopolisation de certaines industries, l'incapacité de certaines entreprises à se développer en raison de cadres rigides et le manque d'initiatives de modernisation contribuent à une création de valeur inférieure, rendant plus difficile la sécurisation des marchés locaux et internationaux, entraînant une baisse des revenus pour le pays, » dit-il 

Notre interlocuteur confie qu’avec le népotisme, la corruption a un impact négatif sur la productivité du pays. « La corruption entrave gravement le développement économique. En raison d'une productivité réduite, la compétitivité de l'ensemble de l'économie serait en jeu. Plus notre pays est corrompu, moins nous serons développées sur le plan économique. Cela explique pourquoi les pays à faible indice de corruption sont économiquement bien développés, tels que Singapour, la Suède, la Suisse et le Canada », ajoute l’économiste.  


Tulsidas Naraidoo : « Il faudra plus de transparence »

Chargé de cours à l’université de Maurice, Tulsidas Naraidoo confie qu’il y a une recrudescence de la corruption et chaque gouvernement qui se succède a continué à perpétuer la corruption et le népotisme. « Aucune action nationale n’a été prise pour contrecarrer la corruption. Que des actions palliatives ont été utilisées. Contrairement à d’autres pays, à Maurice, il y a plus de nominations faites par le Premier ministre. Les grosses têtes du pays sont nommées par le Premier ministre et peuvent être considérées comme des agents politiques. Ces personnes occupent souvent des postes clés et ont de grandes responsabilités et sont désignées sans prendre en considération les compétences nécessaires pour ces postes », dit-il.      
Tulsidas Naraidoo cite l’exemple des plusieurs entités où les nominations sont faites par le Premier ministre, dont Air Mauritius, la Gambling Regulatory Authority et la Public Service Commission, entre autres. Un autre cas, qu’il déplore, c’est la subvention gouvernementale à des chefs religieux. « Si nous voulons, dit-il, éliminer la corruption dans le pays, il faudra plus de transparence et revoir la façon de nommer des gens à des postes clés. »

 

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