De nos jours, le gaz ménager facilite la préparation des repas. Il n’empêche que la cuisson de certains menus au feu de bois ou à la braise de charbon dans un réchaud reste une expérience culinaire unique.
Une cabane tout près de la chute d’eau provenant des Sept Cascades sises à Henrietta. C’est la fumée qui a attiré notre attention. Curieux, nous bravons des rochers glissants pour nous rapprocher. Un homme accroupi allume un feu de bois dans un foyer.
« Zot ti lor sa ti kaskad-la ek zot inn trouv mo kaban », dit-il avec le sourire. Nous acquiesçons de la tête. Il s’appelle Swalay Khodadin et a 64 ans. Il habite Glen-Park. C’est d’ailleurs un sentier à l’état brut du quartier, à la rue Delphinium, autrefois appelée Carreaux Songes, que nous avons emprunté pour arriver à la chute d’eau.
Swalay Khodadin s’apprête à réaliser un briani de légumes. Il nous invite à l’aider. Direction, sa petite cabane. Nous entamons un brin de causette. Employé comme Office Attendant à la Compagnie nationale de transport, il prendra une retraite bien méritée le mois prochain. « Mo panse mo pou pas plis letan dan zardin ek plant legim ou al lapes. » Il compte aussi se consacrer davantage à l’association Darul-Uloom Khwajah Ghareeb Nawaaz, dédiée à l’apprentissage des textes religieux pour les enfants. Il en est membre depuis des années.
« Briani zak lor foyer »
C’est aidé de sa voisine Bazeeah qu’il entame la préparation. « Mo bann tonton ti pe fer komann briani pou mariaz. Kan mo ti tipti mo ti pe get zot kwi, koumsa em mo’nn apran », raconte-t-il. Un jour, poursuit Swalay Khodadin, il est sollicité par une connaissance du quartier. « Bandari ki li ti pran-la, so manze pa’nn vinn bon. Li’nn diman mwa si mo kav ed li. Ek se koumsa ki mo’nn fer mo premie briyani ek tou dimoun inn kontan manze-la. »
Quel est le secret d’un bon « briani » ? Motus et bouche cousue, Swalay Khodadin garde jalousement sa recette. Dans un éclat de rire, il laisse toutefois entendre que le goût d’un briani pour 10 personnes n’égale nullement celui préparé pour un plus grand nombre de personnes. « Kan pli bokou, li pli bon. Nou al kwi aster. »
Sur le feu brûlant dans le foyer, il place une grosse « karay » préalablement lavée. Il remplit le fond d’huile. Swalay Khodadin y fait frire des cubes de pommes de terre imbibés de colorant jaune. Une fois brunis, il les enlève et les mets dans un « deksi ». C’est au tour des carottes et des haricots verts qui ont été coupés par Bazeeah. Au bout de quelques minutes, il les retire de l’huile et les réserve avec les pommes de terre.
« Souvan dan briani legim met soya. Zordi nou nou pou met zak », indique-t-il. Il fait frire des bouts de « zak » qui ont été nettoyés et coupés, avant de les essorer et de les mettre dans le « deksi ». Puis, il entame la friture des oignons, qui rejoignent les autres ingrédients frits.
Place à la prochaine étape de la préparation. La « karay » est lavée et remplie à moitié d’eau ; c’est le moment de faire bouillir le riz sur le foyer. En attendant, Swalay Khodadin ajoute les épices dans le « deksi », soit petit anis, anis étoilé, ail, gingembre écrasé, sel, piment vert, élaïti, canelle, clous de girofle, « mantègue », de l’huile, de la « poudre piment », du colorant jaune, des épices pour briani Lazzat et du lait caillé. Il met aussi un peu de miel pour atténuer le goût des épices et du piment.
Comme il lui manque de la menthe, Swalay Khodadin va en chercher dans son jardin et revient avec une botte qu’il remet à Bazeeah. Elle la hache finement ainsi que de la coriandre, avant de les ajouter aux autres ingrédients dans le « deksi ».
Ça y est, le riz est prêt. Swaley Khodadin l’essore et l’ajoute au récipient contenant tous les ingrédients pour le briani. Sur le riz, il met ensuite un peu d’oignons frits et de la menthe et coriandre hachées. Avant de refermer le couvercle, Bazeeah place soigneusement tout autour du récipient une pâte de farine qu’elle a mélangée avec des épices pour faire le « bord deg ». Une fois le « deksi » bien fermé, Swalay Khodadin le place sur le foyer et y ajoute de la braise. Le briani va cuire au gré du vent.
Entre-temps, nous discutons avec lui. « Mo’nn fer siziem. Paran pa ti ena le moyen pou avoy mwa lekol. Mo’nn arete ek mo’nn koumans fer kwafer. Apre mo’nn koumans vann goyav desinn. Mo ti pe ‘stamp’ mo kard pou gagn travay osi. Lerla mo’nn rant part time dan konpani bis. Mo’nn koumans par netoye. Apre mo’nn fer gardien. »
C’est dans les années 1990 qu’il devient Office Attendant. « Mo’nn fer boukou zefor ek sakrifis pou arive dan lavi. Zame mo’nn bes lebra. Mo kontan travay. Mo determinasion ek pasians inn permet mwa zordi nouri mo fami ek avoy mo bann zanfan apran. Mo sagrin mo pe aret travay, me mo bien kontan ki mo de zanfan pe resi dan zot lavi », confie-t-il en plongeant son regard dans la cascade devant sa cabane.
Une trentaine de minutes plus tard, de la vapeur perfore le « rebor deg » du briani sur le feu. Bazeeah sourit, c’est prêt. Elle en profite pour nous dire que cette pâte de farine peut aussi être mangée. Il suffit de la couper en petits morceaux avant de les faire frire. « Kav manz li parey kouma baget fromaz. »
À l’aide d’un torchon, Swalay Khodadin enlève le « deksi » du foyer. Il attend quelques minutes avant de retirer le couvercle. Un parfum de briani nous monte au nez et l’eau nous vient à la bouche. Il faut encore patienter, lance Bazeeah dans un éclat de rire. Avec une spatule, Swalay Khodadin « casse » le briani pour que le riz, les épices et les légumes soient bien mélangés. C’est tout un art !
Il nous invite à en manger avec une salade de concombre-carottes, un « piment tamarin » et un « satini » de pommes d’amour. Bazeeah rajoute son grain de sel : « Mank zis enn kutcha mang-la. » « Ena mang-la, fer enn pou zot », répond Swalay Khodadin. Et nous voilà qui suivons Bazeeah chez elle, mangues en main.
« Kutcha mang ek so zepis krase… lor ros kari »
En cuisine, elle sort de l’ail et du piment du réfrigérateur, les épices du garde-manger. Dans une assiette « letan lontan », elle place des graines de moutarde et de methi. Du curcuma en poudre aussi, de l’huile, du sel, des piments secs, de l’ail et des petits piments verts.
C’est sur une « ros kari » aménagée dans sa cour qu’elle écrase les ingrédients pour en faire une pâte d’épices pour « kutcha ». Avec le sourire, Bazeeah roule de haut en bas le « baba ros kari ». « Kav gagn miskl kan kraz masala, satini ou zepis. Aster dimoun servi mixer pou fer sa. Servi ros kari, pa bizin al gym lerla. » Nous éclatons de rire.
Cap de nouveau sur la cuisine. « Si mo fer tou sa mang-la, zame zot pou resi manz zot briani. Mo fer enn tigit em mwa. » Tandis que Bazeeah râpe la mangue préalablement lavée et épluchée dans l’assiette, elle confie qu’elle a 61 ans et qu’elle est à la retraite. Pour meubler son temps, elle vaque à ses occupations quotidiennes ou va à la mer.
Elle aide aussi, de temps en temps, Swalay Khodadin à faire du briani. Elle coupe les légumes et autres ingrédients, fait de la salade ou le satini de pommes d’amour, notamment. Elle est la petite main qui facilite la préparation de ce menu sur un feu de bois.
Bazeeah relate que lors de sa première tentative au Certificate of Primary Education, elle a eu quatre F, ce qu’elle appelle « des flèches ». À sa seconde tentative, elle a fait mieux. « Cette fois-ci, c’était quatre fusils ! » dit-elle dans un grand éclat de rire. Après ces résultats catastrophiques, Bazeeah est contrainte d’arrêter l’école. Les tâches ménagères deviennent son quotidien. Puis, elle prend de l’emploi dans une usine.
Grâce à une connaissance qui avait une agence de voyages, elle a l’opportunité d’aller travailler au Koweït. Ne sachant pas parler l’anglais, elle se débrouille avec le peu d’ourdou qu’elle sait et finit par être employée de maison. C’est en regardant la télé qu’elle parvient à apprendre l’anglais.
Après deux ans, elle va travailler au Liban. Deux ans plus tard, elle retourne à Maurice avant de mettre le cap sur l’Arabie Saoudite. Elle n’y restera que quatre mois en raison de la Guerre du Golfe.
De retour à Maurice, Bazeeah entame des démarches pour travailler au Liban. Elle y passera deux ans et demi. Six mois après son retour à Maurice, elle s’envole pour Dubaï. C’est en 1998 qu’elle revient définitivement au pays. Elle cherche de l’emploi auprès d’une connaissance habitant le quartier, qui fait le métier de tailleur. « Li’nn donn mwa enn travay a vi. Parski nou inn kontan ek nou inn marye par la suite », soutient en riant Bazeeah.
Une fois la mangue râpée, elle ajoute la pâte d’épices écrasées sur la « ros kari ». S’ensuivent le sel et un peu d’huile. « Inn pare, nou ale. »
« Kutcha mang » en main, nous rejoignons Swalay Khodadin dans sa cabane. Il nous sert du briani encore fumant dans un plat orné de condiments. « Azout kutcha ek asiz zot laba pou manze. Kan zot pou gagn sa ankor? manz briani lor bor kaskad. Pa bliye bwar pepsi pou desann sa apre », lance-t-il.
Dès la première bouchée, nous sommes conquis par le « briani zak » cuisiné par Swalay Khodadin. Il a raison, c’est bien mieux quand c’est cuit sur un feu de bois.
« Satini brinzel griye lor reso sarbon »
Le réchaud à charbon est une autre méthode de cuisson traditionnelle. S’ils sont peu nombreux, de nos jours, à encore en faire usage, Isnoo Deojee, 92 ans, le fait par plaisir. Le Quatrebornais a gentiment accepté de nous faire « enn satini brinzel griye lor reso sarbon ».
À sa demande, nous sommes allés chercher les ingrédients auprès des marchands de légumes à La Louise. Chez Suraj, qui est marchand de légumes depuis 1992, nous avons acheté des aubergines et des petits piments. Les oignons, c’est du côté de Jayshree, marchande depuis 5 ans, que nous les avons trouvés. Et la coriandre chez Premduth.
Assis sur un tabouret devant sa cuisine, Isnoo Deojee a déjà allumé le réchaud à charbon. Il nous demande de laver les aubergines et à l’aide d’une fourchette d’y faire des trous un peu partout. Il les badigeonne ensuite d’un peu d’huile avant de les placer sur le charbon. « La nou atann li griye. »
Alors que nous hachons finement les oignons, les piments et la coriandre, le nonagénaire raconte qu’il est un ancien laboureur de l’établissement sucrier de Médine. Pourquoi utilise-t-il toujours le réchaud pour préparer certains mets ? C’est par nostalgie, répond-il. Et puis, cette technique de cuisson pour les aubergines est nettement meilleure, dit-il.
« Lontan bann ti-dimoun ki ti pe fer foyer. Nou ti pe al dan bwa ou nou ti pe ramas dibwa sek pie bouket banane (flamboyants), kan nou ti pe travay, pou amen lakaz pou kwi manze », souligne Isnoo Deojee. « Lontan pa ti ena gaz. Tou dimoun ti pe kwi lor foyer. Apre kan inn koumans gagn kas, lerla zot inn koumans kwi lor reso sarbon. Bien apre ki nou inn gagn gaz dan lakaz », fait-il ressortir.
En un tour de main, il retire les aubergines grillées hors du charbon. « Aster zot bizin tir lapo-la ek kraz brinzel-la dan enn bol. » Ensuite, il faut ajouter l’oignon, le piment et la coriandre hachée. « Apre azout enn tigit disel, en gout delwil ek enn tigit vineg. Melanz tou bien. Zot satini inn pre. Ena dipin-la. Pran zot manze ek dir mwa si li bon », dit-il avec le sourire.
Notre constat : le goût fumé des aubergines fait effectivement toute la différence.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !