
L’annonce de la gratuité prochaine du transport public à Maurice, portée par le ministre Osman Mahomed, fait débat. Si certains y voient une mesure sociale et économique structurante, d’autres alertent sur les risques budgétaires, les enjeux logistiques et l’absence de concertation.
Le ministre des Transports, Osman Mahomed, a récemment organisé une séance de travail avec les opérateurs de bus. La mise en œuvre du transport public gratuit pour tous aurait été un des sujets abordés. Cette initiative, qui figure dans le programme électoral du gouvernement, est priorité du ministre, qui a réitéré son engagement à en assurer la concrétisation dans les meilleurs délais.
La gratuité du transport public s’inscrirait dans une volonté de répondre à des enjeux d’accessibilité et de justice sociale. Cette mesure, si elle est correctement planifiée, pourrait transformer les habitudes de déplacement et contribuer à une redéfinition de l’espace urbain. L’objectif devrait être de garantir à tous les citoyens un accès équitable aux services, à l’éducation, au travail et aux loisirs, sans que le coût du transport soit un obstacle.
Areff Salauroo, président de l’Association of Human Resource Professionals of Mauritius, se montre favorable à cette mesure. Il voit dans ce projet bien plus qu’un simple soulagement financier pour les usagers. Pour lui, la gratuité du transport représente un levier stratégique pour améliorer la productivité, stimuler l’activité économique et renforcer la cohésion sociale. « Un système de transport public gratuit favorise une plus grande mobilité de toute la population, résultant en plus d’activité économique à travers le pays », indique-t-il.
Il met également en avant la réduction potentielle de la dépendance à la voiture privée. Une conséquence directe pourrait être la décongestion du réseau routier, avec à la clé une meilleure ponctualité des employés et une diminution de l’absentéisme. « Les retards ont un impact direct sur la performance des entreprises. Une mobilité facilitée améliore la gestion du temps de travail et donc de la productivité », précise-t-il.
Un outil contre les inégalités sociales
La dimension sociale du projet est au cœur des arguments d’Areff Salauroo. Il estime que cette gratuité permettra de gommer certaines inégalités structurelles. Les personnes les plus modestes, souvent contraintes de limiter leurs déplacements en raison de coûts élevés, pourront accéder plus facilement à l’emploi, à l’éducation ou à des services de santé. La gratuité pourrait ainsi favoriser une dynamique plus équitable, en particulier pour les jeunes et les habitants des zones rurales.
L’objectif devrait être de garantir à tous les citoyens un accès équitable aux services, à l’éducation, au travail et aux loisirs, sans que le coût du transport soit un obstacle.»
Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs, abonde dans ce sens. Il insiste sur l’importance de garantir un accès aux services de base pour tous. Selon lui, l’accès à l’éducation et la possibilité de se déplacer sont primordiaux. Il estime toutefois qu’il faudra veiller à ce que la gratuité ne devienne pas un poids supplémentaire pour les finances publiques. La mise en œuvre devra être encadrée avec rigueur pour éviter les effets pervers.
Suttyhudeo Tengur invite également à distinguer cette mesure des réformes touchant au système de pension. Pour lui, les deux ne doivent pas être comparées. « Il ne faut pas mélanger les serviettes et les torchons de cuisine. » Pour lui, le système de pension repose sur une logique de contribution, ce qui n’est pas le cas du transport gratuit, dont l’objectif est de soutenir la population sans contrepartie directe.
Planification et viabilité
Malgré les soutiens, la mesure ne fait pas l’unanimité. Claude Canabady, secrétaire de la Consumers’ Eye Association, exprime des réserves sur la méthode adoptée. Il s’interroge sur l’absence de concertation avec les citoyens et les parties prenantes. « Est-ce une demande de la population ? Je n’ai pas entendu une telle revendication. Est-ce une promesse électorale ? C’est une mesure énorme », souligne-t-il.
Il estime qu’avant d’envisager la gratuité, il aurait fallu d’abord améliorer le service existant. Il évoque la qualité des véhicules, la propreté, la fréquence des bus et l’accessibilité pour les personnes âgées comme des chantiers urgents. « Des personnes âgées sont souvent laissées aux arrêts, surtout par les compagnies privées. Même les horaires du premier et du dernier bus sont rarement affichés », note-t-il.
Claude Canabady soulève également la question du financement. Pour lui, les retombées économiques d’une telle mesure doivent être évaluées de manière transparente. Il craint que le coût soit absorbé par l’État sans que les citoyens voient les bénéfices à long terme. Il pointe aussi un risque de suppression des emplois, notamment chez les contrôleurs, si la collecte des paiements est supprimée.
Une autre interrogation : la gratuité sera-t-elle aussi applicable aux visiteurs étrangers ? Si oui, quel en serait l’impact sur les recettes potentielles ? Ce flou alimente les incertitudes autour de la durabilité du projet.
L’importance de la mise en œuvre
Areff Salauroo, tout en soutenant la mesure, insiste sur l’importance d’un encadrement rigoureux. Il dit qu’il y a des plaintes concernant l’absence de bus sur certaines lignes, en milieu rural. « Il faut s’assurer que cette gratuité n’entraîne pas une baisse de la qualité ou une saturation du service. »
Il envisage d’apporter sa contribution en organisant des sessions de réflexion avec ses membres. L’objectif : identifier des pistes de collaboration avec les autorités pour améliorer la communication, la disponibilité des services et leur accessibilité à l’échelle nationale. L’association souhaite également encourager une meilleure répartition des lignes de transport, en particulier dans les zones peu desservies.
Sur le plan environnemental, Areff Salauroo évoque des bénéfices potentiels. S’il y a moins de véhicules privés, il y aura moins de pollution, une meilleure qualité de l’air et une réduction de l’empreinte carbone du pays. Des résultats alignés avec les engagements environnementaux de Maurice, à condition que l’offre de transport suive la demande sans compromettre la qualité.
Sidharth Sharma, CEO de Rose Hill Transport Holding Ltd : «La hausse de fréquentation peut varier de 30 % à 60 %»

Pour Sidharth Sharma, CEO de Rose Hill Transport Holding Ltd, il ne fait aucun doute que la gratuité du transport public pour tous entraînera une hausse importante de la fréquentation des bus. Mais elle exige en contrepartie une planification rigoureuse et un soutien financier adéquat de la part de l’État.
« Nous transportons actuellement 20 000 passagers par jour. Parmi eux, 61 % sont des adultes qui paient leur ticket, tandis que 39 % sont des usagers subventionnés par le gouvernement, notamment des élèves et des retraités. À ce jour, aucune discussion n’a encore eu lieu concernant la manière dont l’État subventionnera désormais les adultes », ajoute-t-il. Ce dernier avance que l’expérience de villes comme Tallinn (Estonie) ou Dunkerque (France), qui ont instauré la gratuité des transports, offre un éclairage précieux sur les défis à venir. Selon Sidharth Sharma, « la hausse de fréquentation peut varier de 30 % à 60 %. Dans notre cas, nous pourrions envisager un retour à un volume de 40 000 passagers quotidiens, un niveau que nous atteignions il y a une dizaine d’années. Ce qui représenterait pratiquement le double du trafic actuel. »
Mais cette augmentation ne viendra pas sans défis logistiques et financiers. Rose Hill Transport n’a pas encore entamé un chiffrage précis, mais anticipe des investissements conséquents. « Il faudra renforcer la flotte, augmenter les capacités de maintenance et recruter ainsi que former davantage de personnel pour maintenir la qualité du service », indique notre interlocuteur. D’autres facteurs doivent encore être clarifiés. « Le sort de l’allocation transport versée par les employeurs reste flou : sera-t-elle intégrée dans le mécanisme de gratuité ? Par ailleurs, la décision des automobilistes de basculer vers les transports en commun dépendra aussi du confort, du temps d’attente et de la durée du trajet. »
Une gratuité mal préparée peut avoir des effets négatifs.»
Sur le plan économique, le CEO met en garde contre les effets d’une gratuité mal préparée. « Le secteur du transport public est déjà fortement réglementé. Notre modèle économique repose en grande partie sur les décisions gouvernementales. Chaque hausse du coût du diesel, de la masse salariale ou des compensations doit être compensée d’une manière ou d’une autre, mais nous ne sommes pas toujours remboursés à 100 %, ce qui affecte lourdement notre trésorerie », fait-il ressortir. Si les recettes commerciales venaient à disparaître dans le cadre de la gratuité, cette dépendance serait encore plus prononcée. « Il est essentiel d’établir un mécanisme clair, prévisible et rapide de compensation financière avec l’État pour assurer la pérennité du service. La stabilité des flux financiers est cruciale dans un secteur aussi exigeant », insiste-t-il.
Conscient des risques liés à une dépendance exclusive aux subventions, Rose Hill Transport explore déjà d’autres voies pour renforcer sa résilience. L’entreprise développe des services de transport d’entreprise. Elle investit dans des solutions technologiques comme la télématique et l’IoT, et se tourne vers la transition énergétique avec une flotte électrique et un projet de ferme solaire. « Ces initiatives visent à réduire notre dépendance vis-à-vis des subventions publiques, tout en contribuant à un modèle de transport plus innovant et durable », soutient Sidharth Sharma.
Des impacts sur le monde du travail
Une des conséquences possibles de la gratuité est la révision des allocations de transport actuellement versées par les employeurs. Pour Suttyhudeo Tengur, ces allocations représentaient déjà un coût fixe pour les entreprises, parfois mal utilisé par les employés. « Il ne faudrait pas faire d’une exception une règle. Ce qui compte, c’est l’efficacité du système », affirme-t-il.
Claude Canabady voit toutefois un risque psychologique chez certains salariés, qui pourraient percevoir cette perte d’allocation comme une perte d’un avantage personnel. Il souligne aussi que les économies réalisées par les entreprises ne profiteront pas nécessairement aux employés sous d’autres formes.
Enfin, la question de la viabilité du métro léger est également évoquée. Selon Claude Canabady, le métro, qualifié par lui d’« éléphant blanc », pourrait ne jamais atteindre un seuil de rentabilité suffisant si la population continue à privilégier d’autres modes de transport ou si la fréquentation ne suit pas les prévisions.
En somme, la gratuité du transport public soulève un ensemble de questions complexes. Si la volonté politique est manifeste, la réussite du projet dépendra largement de sa planification, de l’implication des parties prenantes, et d’une communication transparente avec le public. À ce stade, la mesure est perçue à la fois comme une opportunité de transformation structurelle et comme un défi logistique et budgétaire.
Le ministère des Transports n’a pas encore communiqué de calendrier précis pour la mise en œuvre, mais la phase actuelle de concertation avec les opérateurs laisse entrevoir un début de structuration. Reste à savoir si l’ensemble des préoccupations exprimées sera pris en compte dans les prochaines étapes.
Modernisation du transport public
Osman Mahomed annonce des mesures phares
Le ministre des Transports terrestres, Osman Mahomed, dévoile une série de mesures ambitieuses pour moderniser le réseau de bus à Maurice. Une enveloppe de Rs 78 millions a été accordée à la mise en œuvre d’un système de gestion de flotte basé sur le GPS, permettant le suivi en temps réel des 2 000 bus circulant sur les routes mauriciennes.
« Grâce à un système centralisé à la National Land Transport Authority, nous pourrons surveiller en temps réel la circulation des bus et renforcer la sécurité sur nos routes », déclare le ministre. Il a ajouté que la législation permettra également d’installer des caméras à bord des véhicules, ainsi que des dashcams dans chaque bus. « Ce qui nous donnera des informations précieuses sur le comportement des conducteurs et les circonstances des accidents. »
D’autre part, Osman Mahomed annonce la création d’un réseau d’information des passagers, qui fournira des données en temps réel sur les déplacements des bus, incluant les horaires d’arrivée estimés. Enfin, un projet de loi introduira un code de conduite à l’intention des chauffeurs, receveurs, régulateurs et passagers, afin d’améliorer l’expérience globale des usagers du transport public.

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