L’ex-journaliste, Jean-Claude de l’Estrac, est d’avis que Le Défi Plus, est « devenu un succès qu’au fil du temps, après avoir abandonné le ton qu’il s’était donné à ses débuts, celui de la presse populaire. » Le Défi Plus célèbre en ce jour ses 25 ans d’existence.
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Mais contrairement aux journaux de La Sentinelle, les titres du groupe Le Défi ne se sont pas hasardés à éditorialiser, ce qui est une prise de distance avec les contingences politiques."
Qu’est-ce qui a fait, selon vous, le succès du Défi Plus ?
Il a bâti son image sur un ton différent de son concurrent dans le créneau du matin. Il a fait montre d’une proximité avec le milieu populaire dont il a semblé vouloir faire sa cible.
Même si cela peut paraître contradictoire, le journal apparaît alors plutôt favorable aux thèses du gouvernement mais, à d’autres moments, il a su épouser l’air du temps pour répercuter, en toute indépendance, les critiques qui montent. Mais contrairement aux journaux de La Sentinelle, les titres du groupe Le Défi ne se sont pas hasardés à éditorialiser, ce qui est une prise de distance avec les contingences politiques.
Le groupe a ensuite lancé différents produits ciblés, face notamment à 5-Plus, Week-End et Le Dimanche, des titres qui jouent aussi sur le marché populaire, avec relativement moins de succès sur l’important marché du dimanche.
Il est fabuleux qu’un journal puisse fêter ses 25 ans d’existence - chapeau bas à Ehshan Kodarbux que j’ai vu débuter - mais le futur de la presse papier est incertain. Le lectorat ne cesse de faiblir ; tous titres confondus, il a régressé de plus de 50 % en dix ans. Il est loin le temps où Maurice était l’un des pays qui avaient le plus fort taux de pénétration de la presse écrite par tête d’habitants. Les recettes publicitaires baissent également. Presque tous les groupes de presse sont dans le rouge.
Et aujourd’hui, en raison du prix du journal, de l’accoutumance aux réseaux sociaux censés produire de l’information, de l’audience des radios privées, et de la MBC-TV, encore très suivie, le lecteur de la presse papier déserte de plus en plus ce qui était son seul recours à l’information. Chaque matin, au réveil, ou plus tard dans les transports, les gens sont de plus en plus nombreux à ‘lire’ sur leur smartphone que de se ruer vers les marchands de journaux pour s’acheter leur journal préféré. C’est une tendance longue.
Est-ce que Le Défi Plus, lancé en 1996, vient-il remplir un vide ?
Non, car à l’époque, il doit faire face à la concurrence des titres aussi influents et hégémoniques que l’Express, dans le créneau matinal. Il n’est devenu un succès qu’au fil du temps, après avoir abandonné le ton qu’il s’était donné à ses débuts, celui de la presse populaire.
Ensuite, si à ses débuts le journal paraît proche d’un parti politique, il va s’en éloigner pour faire de l’information avec des textes plus équilibrés. Mais son positionnement est encore en dents de scie. Après une période où il est apparu assez timoré dans sa couverture des problèmes qui affectent la majorité gouvernementale, le journal prend de nouveau ses distances tout en restant assez tempéré.
Est-ce que la presse dite traditionnelle s’y prépare-t-elle ?
Je ne le sens pas. On peut observer combien les groupes de presse se tirent eux-mêmes dans les pattes en invitant leurs lecteurs de la presse papier qui achètent leurs journaux à migrer vers leur version en ligne gratuite et déficitaire. Quand des groupes de presse l’ont fait, comme en Grande-Bretagne, ils sont sortis de l’univers de l’imprimerie. Il est vrai que le contexte est très différent.
Le journal de demain sera une publication d’influence et non plus d’audience."
Quel est l’enjeu auquel la presse écrite sera confrontée ?
Il se pourrait que la presse papier, ici comme ailleurs, devienne davantage le vecteur d’une information ciblée, produite par des journalistes spécialisés et capables de rédiger des papiers de synthèse, de mener des enquêtes de longue durée, de produire des textes de mise en perspective, de hiérarchisation de l’information, de décryptage du trop-plein d’ « informations ».
Très informé n’est pas mieux informé. Le journal de demain sera une publication d’influence et non plus d’audience. C’est déjà le cas pour un ou deux quotidiens du pays. On va peut-être revenir à ce qu’était la presse écrite au 19e siècle, un produit élitiste alors qu’on constate le déclin des publications de masse. Ce qui implique un nouveau modèle économique.
Les groupes de presse sont naturellement très affectés par les retombées de la pandémie. Ils devraient, à mon avis, commander une étude collective socio-économique sur l’avenir de la presse écrite à Maurice. Il faudrait urgemment dégager des pistes de réflexion sur la manière dont elle devrait se réinventer et trouver sa place dans le nouveau monde des nouvelles technologies de la communication et de l’information.
Plusieurs expériences sont actuellement tentées ailleurs remettant en cause, par exemple, la gratuité du contenu de sites en ligne. Il n’est plus possible de lire le New York Times en ligne sans souscrire un abonnement. Le Guardian en Grande-Bretagne fait l’inverse, l’accès est gratuit et grâce à la fréquentation du site, les recettes publicitaires sont au rendez-vous.
La presse écrite doit trouver un nouveau modèle alors que des études aux États-Unis et en Europe prédisent sa disparition et son extinction. Ces études constatent la chute brutale des ventes des journaux partout et l’attribuent à un ensemble de facteurs, pas seulement à l’Internet. Certaines posent la question du contenu des journaux dans l’environnement disruptif dans lequel ils évoluent.
Toutefois, il y a ces jours-ci à Maurice comme une petite embellie. Grâce aux affaires qui passionnent les Mauriciens, les ventes des principaux titres bénéficient d’un regain d’intérêt. L’actualité, ces jours-ci, a beaucoup de talent comme disait ce professeur de journalisme. Mais ce pain béni sera mangé rapidement.
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