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Ibrahim Malleck : «Des décisions difficiles devront être prises dans le Budget»

Comment trouver l’équilibre entre les dépenses publiques et les recettes de l’État ? Quel sort réserver aux ministères budgétivores tels que la Sécurité sociale, l’Éducation et la Santé ? Ces défis semblent indiquer que le Premier ministre et ministre des Finances est condamné à un délicat jeu d’équilibriste. Ibrahim Malleck, Managing Partner d’Ebonia Capital, fait valoir que « pour trouver un juste milieu, il faut que le gouvernement fasse de l’efficacité de toute dépense l’un des principaux éléments de son Budget. »

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Dans quelques semaines, le gouvernement issu du scrutin du 10 novembre 2024 présentera son premier Budget. Quelle doit être la philosophie de ce premier exercice ?
Un retour aux sources. Le Budget doit examiner attentivement l’état actuel de notre économie et intégrer toute décision majeure dans une vision claire à moyen terme du gouvernement en ce qui concerne la croissance socio-économique. Ce Budget sera un délicat exercice d’équilibre entre la restauration et la consolidation de nos fondamentaux macroéconomiques (contrôle de l’inflation, stabilisation de la roupie, investissement productif et innovation, amélioration du pouvoir d’achat, etc.) et une vision prospective vers un modèle économique durable et résilient (amélioration de la productivité, nouveaux secteurs de croissance, énergies renouvelables, opportunités pour la main-d’œuvre, etc.).

Un soutien à la consolidation et à la croissance ; un Budget de transition qui aide ceux qui sont dans le besoin tout en créant de nouvelles zones de croissance et en encourageant l’innovation, le développement des compétences et la résilience. Ceci doit être clairement expliqué afin que la consolidation fiscale soit acceptée par la population et puisse se faire pour construire notre résilience future.

Le retour à un Budget basé sur les performances est un signal positif...»

Compte tenu du document ‘State of the Economy’ présenté par ce même gouvernement et des ‘affaires’ liées à la Mauritius Investment Corporation (MIC), entre autres, de quelle marge de manœuvre dispose le gouvernement ?
Le document sur l’état de l’économie a été très dur envers le gouvernement précédent, en mentionnant qu’il y avait eu « un élagage délibéré » et « une falsification des données ».

L’une des principales préoccupations est l’état réel de notre dette publique, qui représente un peu moins de 90 % du PIB. Cette situation exercera une pression sur les dépenses publiques dans le prochain Budget, le Fonds monétaire international (FMI) et Moody’s insistant sur la consolidation fiscale. Cela réduit la capacité du gouvernement d’augmenter les dépenses sociales et les investissements, à moins que les recettes publiques n’augmentent de manière substantielle. La dépréciation constante de la roupie (et la pénurie de devises sur le marché) contraindra également le gouvernement à contrôler les pressions inflationnistes (pour améliorer le pouvoir d’achat), avec un effet négatif sur le déficit de la balance courante de la Balance des paiements.

Des décisions difficiles devront être prises pour améliorer les fondamentaux de notre économie, ce qui entraînera sans aucun doute une réduction des dépenses et, éventuellement, une révision de la structure fiscale actuelle.

Le gouvernement doit trouver le juste équilibre pour que ce Budget nous aide à passer d’une situation post-Covid (soutien fiscal et politique monétaire souple) à une économie résiliente, capable de faire face aux nombreux vents contraires mondiaux qui nous frappent actuellement. Cette transition doit toutefois tenir compte de la nécessité de continuer à soutenir les personnes dans le besoin, tout en maintenant la viabilité de notre État-providence.

Fondamentalement, le gouvernement doit naviguer entre nos réalités sociales, les paramètres imposés par des institutions externes telles que le FMI et Moody’s, ainsi qu’un programme de croissance et d’innovation qui nécessite des ressources supplémentaires.

Il est aussi devenu crucial de veiller à ce que la structure actuelle de la MIC soit repensée, compte tenu de l’impact qu’elle peut avoir sur le bilan de la Bank of Mauritius (BoM), à un moment où nous avons besoin d’une Banque centrale forte pour mener à bien la politique monétaire. En ce qui concerne le bruit actuel autour des différentes affaires de la MIC, cela devrait être laissé aux agences d’application de la loi concernées.

Pour trouver un juste milieu, il faut que le gouvernement fasse de l’efficacité de toute dépense l’un des principaux éléments de son Budget. Les récents rapports d’audit ont mis en évidence les gaspillages et l’utilisation sous-optimale des recettes fiscales dans les budgets récurrents et d’investissement, et cela doit changer immédiatement. Simultanément, toute augmentation de notre structure fiscale doit être clairement ciblée et expliquée afin qu’il y ait une adhésion à tout impact sur la croissance. Nous ne pouvons absolument pas nous contenter de poursuivre des politiques fiscales et monétaires expansionnistes, en particulier un soutien monétaire excessif et non ciblé, si nous aspirons à une croissance économique durable et inclusive.

Le juste milieu dépendra des secteurs prioritaires de ce gouvernement et de l’impact des diverses décisions « impopulaires » qui devront être prises. Décisions sociales contre décisions économiques.

Les récentes indications des ministres du gouvernement laissent présager des « décisions difficiles » dans le prochain Budget, mais le retour à un Budget « basé sur les performances » est un signal positif en termes de meilleure efficacité dans l’utilisation des ressources publiques au profit de la population à moyen terme.

Le document sur l’état de l’économie a été très dur envers le gouvernement précédent, en mentionnant qu’il y avait eu « un élagage délibéré » et « une falsification des données»

La question de taxer les profits excessifs réalisés par les gros conglomérats a été au centre de la campagne de Rezistans ek Alternativ (ReA), aujourd’hui au gouvernement. Une telle proposition est-elle pertinente ?
Qu’est-ce qu’un excédent de bénéfices, des profits excessifs par rapport à quoi ? Pourquoi devrions-nous limiter les bénéfices réalisés par des entités gérées efficacement, qui paient des impôts et créent des emplois ? Je ne pense pas que ce soit la question. Au contraire, les profits devraient être encouragés et récompensés.

Je vois la question sous un angle légèrement différent. Dans quels types de marchés ces profits ont-ils été réalisés ? Existe-t-il une forme de monopole ou de contrôle de la part de ces conglomérats dans la manipulation du marché pour atteindre de tels profits ? Sont-ils protégés et disposent-ils de barrières à l’entrée contraignantes envers les autres acteurs, comme les PME ?

La question devrait être de savoir dans quelles conditions des profits élevés sont réalisés. Il ne s’agit pas simplement de surtaxer ceux qui réalisent de tels profits.

Néanmoins, la question reste pertinente car nous envisageons une consolidation fiscale avec des mesures à prendre pour générer des recettes fiscales. Mais nous ne devrions pas décourager la production, surtout lorsqu’elle est réalisée de manière efficace et sans barrières.

ReA a raison de chercher des moyens d’accroître l’inclusion sociale et une meilleure redistribution des revenus. Mais cela ne peut se faire au détriment de la création de revenus.

On devrait s’assurer que la création de richesse ne mène pas vers une « financiarisation » des bénéfices des entreprises [NdlR : où les profits générés par les entreprises sont orientés vers des activités ou objectifs financiers, au lieu d’être réinvestis dans l’économie réelle (comme la production, l’innovation, la formation ou l’emploi)]. Aussi, pourquoi pas plus d’incitations telles que des réductions d’impôts spécifiquement pour les projets axés sur l’innovation, plus d’incitations pour l’amélioration des compétences humaines et de meilleures structures de marché pour favoriser les idées et la concurrence ? Cela réduira tout besoin d’une augmentation massive des impôts, qui pourrait nuire à la création de la valeur ajoutée à moyen terme. Ce processus devrait être progressif et commencer dès le prochain Budget.

Il est devenu crucial de veiller à ce que la structure actuelle de la MIC soit repensée, compte tenu de l’impact qu’elle peut avoir sur le bilan de la BoM.»

La question relative à notre modèle économique est souvent posée mais n’avance jamais. Le nouveau gouvernement disposant d’une majorité absolue doit-il envisager cette question, et quels devraient être ses grands axes selon vous ?
Le succès d’un modèle économique dépend de facteurs spécifiques tels que le niveau de croissance et d’industrialisation atteint par un pays, le type de ressources dont il dispose, la force de ses institutions, etc. Notre modèle de croissance basé sur l’exportation de biens et de services, associé à un secteur financier en pleine expansion, nous a bien servis. Ce que nous devons examiner, c’est comment continuer à bénéficier de ce que nous avons construit jusqu’à présent, tout en intégrant des mesures de durabilité, centrées sur les personnes et inclusives, dans le cadre de toute stratégie : plus de résilience ; plus d’attention aux sources d’énergie durables ; accent sur l’innovation et la croissance productive (contre les Investissements Directs Étrangers (IDE) orientés vers l’immobilier) ; synergies accrues entre les entreprises et les entités éducatives pour encourager l’ensemble des compétences requises ; ouverture à de nouveaux marchés, en particulier l’Afrique.

Les vents contraires géopolitiques mondiaux nous obligent à nous remettre à zéro. Il faut nous éloigner d’une fixation sur la croissance du PIB et sur la « shareholder value » du secteur privé, et inclure des incitations pour promouvoir un développement inclusif et soutenable.

Le gouvernement a le devoir d’en faire une priorité dès le prochain Budget.

Avec la filière textile à la traîne, une balance des paiements encore plus déficitaire, une pénurie de main-d’œuvre et des PME incapables de payer le 14e mois, entre autres, les contraintes du gouvernement sont diverses et mériteraient d’être traitées durant ce mandat. Mais il y a aussi nécessité de créer de nouvelles filières, sans oublier un accent sur la formation de ressources. Comment voyez-vous ces enjeux ?
La seule façon pour nous d’aller de l’avant, en tant que pays, et de le faire de manière durable et inclusive, est de nous concentrer sur la valeur ajoutée des secteurs productifs, en mettant l’accent sur de véritables améliorations de la productivité. Les stratégies précédentes concernant l’économie bleue, l’industrie pharmaceutique, notre secteur des énergies renouvelables, etc., n’ont jamais vraiment décollé, et les raisons en sont multiples.

On devrait s’éloigner de la dépendance à l’égard d’une croissance tirée par la consommation (au profit de la production, y compris pour les exportations) / fournir des incitations aux nouveaux secteurs et à l’innovation (réductions d’impôts, formation, cadres juridiques et industriels) / avoir une stratégie claire avec des échéances et des objectifs mesurables.

Il est essentiel de créer des synergies solides entre nos établissements d’enseignement et notre secteur industriel. La formation et l’amélioration des compétences (avec des plans de carrière pour les jeunes) pourraient également contribuer à réduire l’actuelle fuite des cerveaux.

Il s’agit là de questions très importantes qui doivent être abordées immédiatement.

Les investissements publics dans les infrastructures et les dépenses sociales sont attendus de tout gouvernement. Malheureusement, les promesses politiques se heurtent souvent aux réalités économiques.»

Ce gouvernement peut-il – enfin – assainir les dépenses de l’État comme le réclame le rapport de l’Audit chaque année ?
Le déficit budgétaire actuel est estimé à 6,7 % du PIB en juin 2025 (Rs 48,5 milliards). Il est pratiquement impossible d’avoir un budget équilibré immédiatement, mais nous nous attendons à ce que des initiatives soient prises pour faire correspondre les dépenses aux recettes récurrentes. Compte tenu des conclusions du rapport d’audit et des pressions exercées par des institutions internationales telles que le FMI, il semble que le prochain Budget n’aura d’autre choix que de revoir les dépenses du gouvernement central (et de réduire les fuites financières), tout en s’assurant que nous nous dirigions vers une base fiscale qui ne pénalise plus les revenus faibles et moyens (comme c’est le cas avec la TVA).

La consolidation fiscale sera certainement l’une des principales initiatives du prochain Budget et, si elle est bien structurée, elle nous aidera à équilibrer tout déficit à moyen terme.

Peut-on raisonnablement atteindre une forme d’équilibre budgétaire, en réduisant les dépenses et en augmentant les recettes fiscales ?
Un budget équilibré sera difficile à atteindre à moyen terme, compte tenu de la situation actuelle, mais nous avons besoin de stratégies visant à réduire les déficits futurs, ce qui ne peut se produire que si nous créons un cadre et fournissons des incitations pour une efficacité accrue de la production, conduisant à une meilleure productivité (travail et capital), ce qui se traduira alors par une économie plus résiliente, avec moins de pressions fiscales.

À court terme, cela devrait inclure : le contrôle et la rationalisation des dépenses, l’élargissement de l’assiette fiscale, et la définition des secteurs prioritaires, entre autres.

À moyen terme, on pourra alors avoir une efficacité accrue, de meilleurs ensembles de compétences, une économie plus compétitive (stimulation des exportations) et des solutions durables, etc.

ReA a raison de chercher des moyens d’accroître l’inclusion sociale et une meilleure redistribution des revenus. Mais cela ne peut se faire au détriment de la création de revenus.»

Avec une population attendant davantage du nouveau gouvernement, sur la base de ses engagements de novembre 2024, ne faudrait-il pas s’attendre à des dépenses publiques sur de gros projets afin que ce gouvernement « imprime sa marque » et crée le fameux « feel good factor » ?
Les investissements publics dans les infrastructures et les dépenses sociales sont attendus de tout gouvernement. Malheureusement, les promesses politiques se heurtent souvent aux réalités économiques. Notre situation économique actuelle, comme le souligne le rapport sur l’état de l’économie, a été bien documentée.

Les Mauriciens doivent comprendre que le modèle de « soutien » précédent, basé sur des politiques fiscales expansives et des politiques monétaires souples, n’est pas viable et qu’il nuira à nos fondamentaux macroéconomiques s’il est maintenu.

Avec sa récente victoire aux élections municipales, le gouvernement peut-il penser qu’il a les coudées franches pour la présentation de son premier Budget ?
Le Budget reste une date importante pour tout gouvernement et l’accent devrait être mis sur le maintien de notre État-providence, l’aide aux personnes dans le besoin, tout en créant une voie claire pour une croissance durable et inclusive vers une économie résiliente et compétitive.

Il convient de prendre en considération les réactions des différentes parties prenantes, les paramètres imposés par les institutions extérieures et les vents contraires mondiaux.

Il s’agit d’un Budget crucial qui définira la situation dans laquelle nous voulons nous trouver dans les cinq à dix prochaines années ; la vision doit être exposée et expliquée afin d’obtenir l’adhésion de tous.

 

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