À Maurice, près d’un mariage sur cinq s’achève en divorce. Les couples se séparent, ils en forment d’autres et des enfants d’unions différentes se côtoient.
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Ce n’est pas toujours facile de faire coexister des enfants qui n’ont pas demandé cette situation et qui auraient préféré voir et avoir leurs parents ensemble.
Priya est issue d’une famille recomposée. Il y a 25 ans, elle naît d’une union entre un homme et une femme qui décident de fonder un nouveau foyer. Lui est déjà père d’une fille. Elle est mère de quatre enfants d’une union précédente. Puis, la famille s’agrandit avec le petit frère de Priya.
« Mes parents ont toujours été justes et chez nous, tous les enfants étaient logés à la même enseigne. Il n’y avait pas de « cet enfant-là est le mien et l’autre est le tien ». Il n’y avait aucun traitement de faveur. D’ailleurs, mon père n’a jamais permis que nous nous considérions comme des demi-frères ou demi-sœurs. Ca zafer demi la ti tabou kot nou », témoigne la jeune femme.
Ainsi, la cohabitation de la tribu s’est construite de jour en jour pour devenir une relation familiale solide. « La cohabitation n’a pas été difficile du fait que l’on se considérait tous comme les enfants d’une même famille. Bien sûr, comme tous les frères et sœurs nous nous disputions mais nous étions très solidaires et prêts à défendre ou à aider quiconque en avait besoin. »
Toutes les familles recomposées ne fonctionnent malheureusement pas aussi bien. Natacha, mère d’une fillette, s’est remariée à quelqu’un qui a une fille d’un premier lit. Ensemble, ils ont eu la petite Nelly. La vie de cette famille recomposée n’est pas toujours simple. « Parfois, il y a des conflits et je dois m’interposer car il arrive que ma fille, Lucia, pense que ce n’est que moi qui ai le droit d’imposer des règles », confie Natacha. « Elle pique des crises de colère lorsque mon mari dicte des lois. À part cela, la cohabitation se passe bien, plutôt bien même si cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Petit à petit, chacun a appris à s’adapter selon les règles. »
La confiance dans le couple et l’engagement y sont pour beaucoup. « Nous nous sommes promis de nous occuper mutuellement des trois filles sans aucune préférence et surtout concernant les deux grandes, nous ne faisons aucune distinction lorsqu’il s’agit de l’éducation, des vêtements et des cadeaux », ajoute Natacha. « Nelly, notre enfant commun, a hérité d’une famille et pour elle, Lucia et Lumia sont tout simplement ses sœurs. Et du haut de ses quatre ans, elle affirme les aimer « très fort ». »
Véronique Wan Hok Chee : « Une famille recomposée, c’est le fruit de deux familles décomposées »
Instaurer un équilibre paisible au sein d’une famille recomposée n’est pas un long fleuve tranquille. Pour la psychologue, Véronique Wan Hok Chee, il est nécessaire, pour les adultes comme pour les enfants, de se donner du temps. « Il faut toujours garder à l’esprit qu’une famille recomposée est le fruit de deux familles décomposées. Tous, adultes et enfants, arrivent avec leurs bagages émotionnels dont la tristesse, la rancœur, la peur, le regret, la culpabilité, etc. et chaque membre de cette nouvelle famille va les exprimer à sa manière. »
Ainsi, la décision de refaire sa vie ne doit pas être prise dans la précipitation rien que par peur de la solitude. Il faut prendre le temps de se connaître, apprendre à connaître les enfants de l’autre et permettre à tous de faire connaissance.
La psychologue précise que le moment de s’engager dans une vie commune doit être considéré comme un nouveau départ, une nouvelle vie et qu’il est primordial de choisir ensemble le lieu de vie de la nouvelle famille.
« Il n’est pas nécessaire que le couple s’installe dans la maison existante de l’un ou de l’autre conjoint. Une nouvelle maison dans un nouveau quartier est beaucoup mieux pour un nouveau départ car cela aide à éviter des conflits entre les enfants. Car très souvent l’enfant qui demeure dans sa maison considère que l’autre n’est pas chez lui. Il faut donc impliquer les enfants dans tout le processus d’un nouveau foyer. Tout doit se faire dans le dialogue et le respect de l’autre, que ce soit avec les enfants ou dans le couple. »
Jacques Lafitte : « Après un échec, il faut se faire aider et encadrer »
«Deux naufragés qui doivent se reconstruire. » C’est ainsi que Jacques Lafitte, travailleur social et formateur en gestion des conflits, qualifie un homme et une femme divorcés qui décident de refaire leur vie ensemble. Le grand dommage collatéral, voire principal, de ces unions, sont les enfants. Car chaque « naufragé » arrive avec sa souffrance, son passé et son traumatisme. Selon lui, il est faux de dire « nous avons tout expliqué aux enfants et ils comprennent ». Ce n’est pas une question de comprendre. L’enfant est marqué à vie par une séparation, il en souffre et des séquelles peuvent perdurer.
Un homme et une femme qui ont subi le traumatisme d’un premier échec ont besoin d’un encadrement et d’un soutien particuliers qui les amènent à communiquer sur l’essentiel. « Trop souvent avant de se mettre ensemble, les couples n’évoquent que les détails matériels et pratiques. Alors qu’ils devraient plutôt apprendre à se connaître, dire leurs sentiments, leurs souffrances et parler de leurs attentes et de ses besoins. S’ils brûlent cette étape, les enfants de la famille recomposée n’en souffriront que doublement », affirme Jacques Lafitte.
Certes, les adultes ont leur propre souffrance à gérer mais ils doivent aussi pouvoir s’oublier pour aider les enfants qui ne sont que des victimes car ils n’ont pas demandé à être dans cette situation. Si dans une famille normale aujourd’hui, la communication entre parents et enfants est déjà difficile, dans une famille recomposée c’est encore plus dur. « C’est difficile mais pas impossible », rassure Jacques Lafitte. « En général, les parents doivent changer de mentalité.
Dans notre société actuelle, il n’y a plus de place pour une éducation de contrôle ou de surprotection. Il faut essayer de comprendre et d’aller rejoindre l’enfant dans son monde et ses réalités. Comprendre ce qu’il vit et ce qu’il ressent en lui permettant de s’exprimer. Bref, il faut une éducation d’accompagnement. Enfin, pour réussir toute reconstruction et former une famille recomposée stable, il faut pouvoir assumer son passé, réapprendre à vivre en toute humilité et pouvoir considérer l’enfant de l’autre comme « notre » enfant. »
Pourquoi tant de divorces ?
Les sociologues imputent le taux de divorce de plus en plus élevé à l’éducation et à la socialisation de la jeune génération. Les jeunes couples ont du mal à surmonter leurs difficultés et baissent les bras aux premiers obstacles car trop habitués à tout avoir facilement.
Suren Nowbuth : « L’autorité est un des plus gros problèmes d’une famille recomposée »
L’exercice de l’autorité est au cœur des problèmes de la famille recomposée. La situation est claire : les enfants tolèrent rarement l’autorité d’un adulte qui, à leurs yeux, n’a pas la légitimité de leur imposer quoi que ce soit. « Le beau-parent doit comprendre que préalablement à l’exercice de l’autorité, il faut d’abord un rapport de confiance avec l’enfant », explique le sociologue Suren Nowbuth. Ce qui n’est pas gagné au début de la relation. « Il n’est pas évident de se faire accepter comme le nouveau conjoint d’un de ses parents et c’est pour cela qu’il faut, dès le départ, créer un espace de dialogue et établir la règle d’or qu’est le respect mutuel. »
Pour pouvoir exercer son autorité, le beau-parent doit avoir une légitimité aux yeux de l’enfant. Selon Suren Nowbuth, le parent biologique a un rôle essentiel à jouer dans ce processus. « Le parent biologique doit comprendre que c’est essentiellement par lui ou par elle que son conjoint va devenir légitime aux yeux de ses enfants en matière d’autorité.
Le parent doit soutenir son/sa partenaire dans ses décisions, même s’il n’est pas à 100 % d’accord. On constate que sans ce soutien ferme et constant, la cause du beau-parent est perdue d’avance. C’est très souvent dans ce contexte que les relations du nouveau couple explosent car le beau-parent se sent abandonné et sans protection face aux assauts des enfants de son conjoint... »
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