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L’arrestation, le week-end dernier, de l’ancien Premier ministre pour blanchiment d’argent présumé met en lumière un fléau qui ronge discrètement la société mauricienne. Quels sont les mécanismes sous-jacents et les différentes formes que prend le blanchiment d’argent ? Tour d’horizon.
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Les étapes du blanchiment d’argent
Le blanchiment d’argent est un processus utilisé pour dissimuler l’origine criminelle de fonds obtenus illégalement, en les intégrant dans le circuit économique légal. En général, il se fait en trois étapes :
- Le placement : l’argent issu d’activités illégales (trafic de drogue, corruption, fraude, etc.) est introduit dans le système financier.
- L’empilement (ou la dissimulation) : des transactions complexes sont effectuées pour brouiller la piste de l’origine des fonds. Cela se fait alors à travers des transferts internationaux, fausses factures, sociétés-écrans, entre autres.
- L’intégration : les fonds réapparaissent, souvent sous forme d’investissement à travers des acquisitions immobilières, mise sur pied de commerces, etc.
Le luxe, un refuge doré pour l’argent sale
Les articles de luxe sont devenus des instruments privilégiés du blanchiment d’argent, offrant aux criminels un cocktail parfait d’avantages : valeur élevée, portabilité discrète et transactions opaques. Montres d’exception, bijoux précieux, sacs de créateurs, voitures de prestige et œuvres d’art constituent autant de véhicules permettant de transformer subtilement des fonds illicites en actifs respectables.
Simple et efficace
Cette méthode de blanchiment s’appuie sur un mécanisme aussi simple qu’efficace : l’argent sale est d’abord converti en objets de luxe hautement désirables, qui peuvent ensuite être revendus en toute légalité, à un prix différent (parfois à l’étranger). Cette transformation permet de créer une apparence de légitimité pour des fonds d’origine douteuse, tout en générant une justification plausible de leur provenance. Certains criminels organisent de fausses enchères ou utilisent des prête-noms pour rendre l’origine de l’argent intraçable.
L’attrait particulier de cette méthode réside dans la nature même des transactions luxueuses. Les paiements en espèces, encore courants dans ce secteur, permettent d’éviter les traces bancaires traditionnelles. Cette caractéristique rend particulièrement ardue la tâche des autorités cherchant à suivre le parcours de l’argent sale. Le luxe offre ainsi un double avantage aux blanchisseurs : il permet à la fois de « nettoyer » les fonds illicites et de brouiller efficacement les pistes pour les enquêteurs.
Les montres de luxe et bijoux haut de gamme, tels que Rolex, Cartier et Bvlgari, sont prisés par les individus impliqués dans des activités douteuses. Ils se parent également de sacs prestigieux, comme des Hermès, Chanel et Louis Vuitton. Les voitures de sport et de prestige, telles que Ferrari, Lamborghini et Rolls-Royce, viennent compléter ce tableau, devenant des signes extérieurs de richesse obtenue par des moyens illégaux. Certains vont même jusqu’à acquérir des œuvres d’art, des antiquités ou des objets de collection, comme des pièces rares ou des éditions limitées.
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Les « couvertures » les plus utilisées
Commerces : Les trafiquants créent des restaurants, supermarchés ou stations de lavage pour injecter leur argent sale dans l’économie légale. Ils gonflent artificiellement leur chiffre d’affaires et utilisent des prête-noms ou des emprunts bancaires pour légitimer les fonds illicites.
Hawala : Un système de transfert informel permet d’envoyer de l’argent sale à l’étranger via des intermédiaires (money changers) en utilisant des devises. Les paiements sont ensuite effectués depuis l’étranger pour acheter des biens de valeur. Ils gèrent une activité de change d’argent clandestine sans nécessiter de bureau ou de local physique.
Cartes de crédit étrangères : Les criminels obtiennent des cartes bancaires à l’étranger et les alimentent avec de l’argent sale via l’online banking, évitant ainsi toute trace locale.
Cash Courriers : De l’argent liquide est transporté discrètement par des passagers dans leurs valises, puis converti en devises à l’étranger avant d’être réintroduit à Maurice.
Concessionnaires de voitures : Achat de véhicules en payant un montant supérieur au prix réel, souvent sans déclaration officielle de la vente, permettant ainsi de blanchir l’argent.
Prête-noms : Des proches ou complices enregistrent des biens à leur nom pour cacher le véritable propriétaire, au risque de lourdes sanctions judiciaires. Exemple : Enregistrement de biens immobiliers sous des noms tiers pour masquer le véritable propriétaire.
Secteur immobilier : Achat et embellissement de maisons avec des fonds illicites, souvent via des prêts bancaires frauduleux.
Tickets gagnants : Achat de tickets de paris ou de casino gagnants pour transformer l’argent sale en gains « légitimes », notamment dans les courses hippiques.
Cryptomonnaies : Les criminels achètent des cryptomonnaies (Bitcoin ou autres) avec de l’argent sale via des plateformes d’échange, souvent en utilisant des comptes anonymes ou des prête-noms. Le blanchiment d’argent via les cryptomonnaies repose sur l’anonymat et la rapidité des transactions.
Le cas Franklin
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L’affaire Franklin (Jean Hubert Celerine, alias Le Patron de l’Ouest) est révélatrice. Ce dernier purge actuellement une peine de six ans de prison à la Réunion pour trafic international de drogue entre les deux îles. Son arrestation a mis en lumière un système de blanchiment d’argent présumé, méthodiquement orchestré.
Poursuivi pour délit de blanchiment d’argent, Franklin était accusé d’avoir mis en place une structure sophistiquée. Ses richesses, comprenant une luxueuse forteresse en pierre taillée à La Gaulette (estimée à Rs 25 millions), des véhicules de luxe, la gestion d’une société de location de voitures (TopFleet), l’acquisition de deux speedboats, un jet-ski et un bateau de type Legend de 26 pieds, ainsi que sa présence dans l’industrie de l’événementiel, ont alors été révélées.
L’enquête a également mis en cause plusieurs de ses prête-noms, inquiétés par les autorités et faisant l’objet d’enquêtes sur leurs avoirs. Franklin a finalement vu les accusations de blanchiment d’argent à son encontre abandonnées après son extradition vers l’île sœur pour y purger sa peine.
Une question demeure : après avoir purgé sa peine à la Réunion, Franklin sera-t-il, à son retour à Maurice, poursuivi pour blanchiment d’argent ou sera-t-il un homme libre ?
Des recettes « propres »
Le blanchiment d’argent remonte à l’époque d’Al Capone, le célèbre gangster américain. Ce procédé consiste à recycler des fonds obtenus par des activités criminelles telles que le trafic de drogue et d’autres opérations illégales, afin de les intégrer dans le système financier légal.
Pour mener à bien cette opération, l’intervention de prête-noms ou d’hommes de paille est essentielle. Ces individus sont chargés de dissimuler les origines de l’argent sale, en l’occurrence les bénéfices tirés des activités mafieuses. Afin d’échapper à la détection, les prête-noms servent d’intermédiaires pour blanchir ces fonds.
Ces sommes sont ensuite dissimulées à travers des sociétés-écrans telles que des entreprises, des restaurants ou des centres de lavage de voitures, parmi d’autres. À travers ces structures, le blanchisseur crée de fausses transactions pour justifier des recettes « propres » qui peuvent ensuite être déclarées auprès des autorités fiscales. Une fois l’argent blanchi, il est réintroduit dans l’économie légale, notamment dans des secteurs tels que l’immobilier ou les placements financiers, rendant ainsi l’origine criminelle de ces fonds indétectable.
Les cambistes marron
Dans l’industrie mafieuse qui gangrène l’île Maurice, notamment à travers le trafic de drogue et la circulation d’argent sale, chacun semble avoir sa propre méthode. Des cambistes opérant au noir agissent dans l’ombre dans différentes régions du pays, mais bénéficient d’une clientèle fidèle. « Nous avons de meilleurs taux là-bas. Si la banque échange l’euro à Rs 51, chez eux, nous pouvons l’avoir à Rs 50, voire à Rs 49,50 », explique un voyageur régulier.
Les transactions effectuées auprès de ce « black market » ne laissent aucune trace. « Pena resi, pena nanye », précise-t-il.
Avec la présence de ces cambistes informels, il devient facile de justifier l’achat et la vente de grosses quantités de devises. « Si enn dimounn deza ena biznes e pe gagn gro pansion, par exanp enn ansien Premie minis, li kapav sanz so kas sal laba, li servi li trankil, san tous so pansion. Li deza pe viv enn lavi lix », ironise un commerçant.
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