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Violence numérique : Maurice confronté à son impréparation

L’éducation numérique est un levier essentiel pour protéger les jeunes. Illustration générée par l’IA

Le suicide d’une adolescente après la diffusion de photos intimes révèle l’urgence d’agir. Entre régulation des réseaux sociaux et éducation numérique, Maurice cherche des réponses face à cette violence invisible.

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Le suicide d’une adolescente de 17 ans, survenu fin octobre, après la diffusion de ses photos intimes sur les réseaux sociaux, a plongé Maurice dans une prise de conscience brutale. Au-delà de l’émotion, ce drame révèle l’impréparation d’une société confrontée à une violence d’un nouveau genre : celle qui se joue derrière un écran. Entre appels à la régulation et propositions législatives, le pays cherche désormais à combler un vide éducatif et institutionnel face à l’omniprésence du numérique chez les mineurs.

Les faits sont d’une cruauté implacable. Selon les premières informations, les clichés auraient été diffusés par l’ancien petit ami de la victime, après leur rupture. En quelques heures, ces images se sont propagées sur plusieurs plateformes, dont Telegram, plongeant la jeune fille dans un profond désarroi. Ses proches décrivent une adolescente réservée, brillante et très attachée à ses parents. Fille unique, elle vivait une vie ordinaire jusqu’à ce que l’irréparable se produise.

Pour Aneeta Goorah, Ombudsperson for Children, cette affaire ne doit pas être traitée comme un simple fait divers. « C’est choquant et révoltant à la fois. Avec la venue de l’intelligence artificielle, les choses pourraient être encore pires », déclare-t-elle.

La tragédie pose une question centrale : qui est responsable de l’usage du téléphone chez les mineurs ? Pour l’Ombudsperson, la réponse ne peut plus être éludée. « Les parents doivent avoir un droit de regard sur ce qui se passe », insiste-t-elle. 

« L’utilisation du portable ne doit plus être seulement l’affaire de l’enfant. Il faut savoir avec qui son enfant parle, pas pour le contrôler, mais pour comprendre son entourage. Les prédateurs sont souvent des personnes avec lesquelles on interagit très régulièrement. L’objectif est d’éduquer, de comprendre et d’éviter les drames. » Aneeta Goorah plaide ainsi pour une éducation numérique à la fois préventive et structurée. 

Les travailleurs sociaux confirment une hausse inquiétante des cas de sextorsion et de chantage sexuel impliquant des adolescents. La facilité avec laquelle une photo privée peut être diffusée ou détournée transforme Internet en un espace à haut risque. Honte, isolement, culpabilité… les séquelles psychologiques sont souvent dévastatrices.

Pistes et solutions

Le débat a pris une tournure concrète lors de l’émission « Au Cœur de l’Info » sur Radio Plus, lundi, animée par Patrick Hilbert. Parmi les invités – le Dr Vedhiyen Moonsamy, Acting director au Health & Wellness Directorate du ministère de l’Éducation, Avni Dussoa et Zaakir Nasroolah, National Advisors au National Forum for Colleges (Nafco), Hissen Caramben, Research Officer au sein du groupe Jakarta, spécialiste de la psychologie digitale, et en ligne Émilie Rivet, psychologue clinicienne et COO de Konekte –, plusieurs propositions ont émergé, dont celle de contrôler le temps d’accès au smartphone, avec le feu vert des parents.

Pour Émilie Rivet, il faut s’inspirer du modèle australien : « Une loi nationale devrait fixer un âge minimal de 16 ans pour accéder aux plateformes sociales. On ne peut pas offrir un smartphone à 14 ans sans aucun contrôle parental. »

Elle explique, documents et chiffres à l’appui, que pas moins de 10 000 jeunes sont accros au Snapchat et que « 1 fille sur 8 est approchée par des prédateurs qui la poussent à leur offrir des images d’elle juste pour ‘chat’, mais après ces mêmes images sont utilisées à des fins obscures, poussant vers la honte et l’irréparable ».

Hissen Caramben va plus loin en proposant une mesure radicale : « Introduire une carte SIM spéciale pour les jeunes, bloquant l’accès aux réseaux sociaux pendant les heures de classe et après 21 heures. » Interrogé sur la faisabilité de cette proposition, il répond : « Notre pays a créé MauCAS et d’autres applications, pourquoi pas cela ? »

Du côté des organisations de la société civile, l’urgence est aussi palpable. Prisheela Mottee, fondatrice de Raise Brave Girls, parle d’une dérive sociale qui dépasse le simple cadre moral. « Dans l’inconscience, on partage. Dans l’immaturité, on expose. Dans la vengeance, on détruit », résume-t-elle.

Entre législation et éducation

Pour l’activiste, les jeunes filles sont trop souvent manipulées par la pression affective ou l’illusion de l’amour. « Ce que tu crois être une preuve d’amour peut devenir ton pire cauchemar. En une seconde, ton univers peut s’écrouler. Des regards scrutateurs, des jugements cruels… ta vie peut basculer à cause d’une seule image », souligne-t-elle.

Raise Brave Girls appelle à une réaction collective et à une réforme urgente des pratiques de sensibilisation. Les campagnes ponctuelles, souvent limitées à des affiches ou messages institutionnels, ne suffisent plus. « Il faut dénoncer ceux qui demandent des photos intimes, pas les tolérer. La confiance ne doit pas se transformer en vulnérabilité. À l’Ombudsperson for Children, nous demandons d’être plus visible et engagée. À la ministre de l’Égalité des genres : éduquons filles et garçons. Et au ministère de l’Éducation : ouvrons les portes à la collaboration avec les ONG », plaide Prisheela Mottee.

Les experts s’accordent sur un point : Maurice se trouve à un tournant. Entre régulation technique, encadrement parental et éducation au numérique, le pays doit trouver la bonne formule pour protéger ses jeunes.

Certains demandent des lois plus contraignantes ; d’autres sont en faveur de l’introduction d’une matière obligatoire sur la cybercitoyenneté à l’école. Tous s’accordent à dire qu’il faut réapprendre aux adolescents à respecter l’autre, à ne pas abuser de la confiance et à comprendre les dangers de l’addiction numérique. Car au-delà de la législation, une réalité s’impose : le smartphone agit comme une drogue. Il fascine, isole, enferme, et parfois, détruit.

Et derrière l’écran, trop de jeunes continuent de payer le prix du silence et de la honte.

 

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